Éric Lux et Gerard Lopez, les fondateurs de Genii Group (Photos : Luc Mullenberger/arhives)

Éric Lux et Gerard Lopez, les fondateurs de Genii Group (Photos : Luc Mullenberger/arhives)

Messieurs, jusqu’à présent, les activités de Genii étaient plutôt discrètes. Mais vous avez, ces dernières semaines, beaucoup communiqué, notamment sur la restructuration du groupe sous la bannière Genii Group. Pourquoi ce changement de stratégie ?

Éric Lux : « Notre volonté première est de mieux gérer notre communication. Nous souhaitons présenter nous-mêmes nos activités, et ne pas laisser les autres le faire à notre place.

Gerard Lopez : « Nous restons un groupe privé. Une de nos valeurs est la confidentialité. Nous sommes actifs dans plusieurs domaines qui génèrent, en eux-mêmes, beaucoup de communication autour. Je pense par exemple à la Formule 1. Et immanquablement, cette communication dévie vers d’autres sujets qui n’ont rien à voir. Alors sans pour autant abandonner ce principe de confidentialité, nous nous présentons un peu plus, pour dire qui nous sommes vraiment, tout simplement, plutôt que de laisser les gens fantasmer.

Cela vous a-t-il demandé un effort particulier d’aller un peu contre votre nature discrète ?

G. L. : « L’important est de trouver le juste équilibre dans ce que nous sommes amenés à dire. Le fait que nous communiquons davantage ne veut pas dire non plus que nous allons devenir un groupe super public qui raconte tout ce qu’il fait.

E. L. : « Pas vraiment, dans la mesure où nous avons fait le choix, au départ, que Gerard soit un peu plus mis en avant et moi-même un peu plus en retrait. C’est l’organisation des rôles qui veut ça. Nous formons un duo très complémentaire, qui fonctionne bien. Nous établissons toujours la stratégie ensemble. Même lorsque nous ne sommes pas physiquement au même endroit, nous arrivons aux mêmes avis dans 99 % des cas.

Et pour le pourcent restant ? C’est pile ou face ?

E. L. : « Non. Nous en discutons et nous suivons l’une des directions proposées. Il faut aussi savoir qu’il y a plus que deux personnes. Il y a tout un groupe, avec différentes sociétés de gestion.

Dans le domaine de la communication que vous ne maîtrisiez pas forcément, avez-vous été touchés par votre proximité à la fois personnelle et professionnelle avec Flavio Becca, notamment lorsqu’il y a eu toute cette agitation médiatico-judiciaire l’automne dernier ?

E. L. : « Non. Je tiens d’abord à dire que devant la justice, une personne est innocente tant qu’il n’a pas été prouvé qu’elle est coupable. Quelques fois, oui, il y a eu des amalgames qui ont été faits. Mais en général, cela ne nous a pas touché. Les relations que nous avons avec Flavio Becca sont connues par les gens. Les affaires ont continué.

G. L. : « Les gens savent faire la part des choses.

Comment s’est créé le groupe Genii ? Et d’abord, pourquoi ce nom ?

G. L. : « Le nom vient d’une tierce personne, qui nous l’a proposé. C’est un nom qui est court et punchy, et qui exprime une certaine intelligence. Et puis la façon dont nous avons tourné les lettres, c’est pour exprimer une certaine façon de réfléchir différemment, de penser un peu en dehors des normes. Mais même en tournant pratiquement toutes les lettres dans le mot, on arrive encore à le lire…

E. L. : « Genii Capital a été créée parce que nous avions des structures qui géraient tout ce qui était venture capital dans les technologies et l’immobilier, mais entre les deux, il manquait quelque chose. Nous sommes des entrepreneurs, et nous avons des difficultés à nous arrêter dans ce que nous faisons. Nous avons donc créé une structure de gestion. L’idée de base était plutôt une structure de type family office, pour la gestion de nos propres investissements. Mais en très peu de temps, cela a pris une autre envergure, avec des mandats et des associés dans les industries dans lesquelles nous sommes actifs.

Comment est structurée la société ?

E. L. : « Nous avons trois sociétés de gestion. Aucune d’entre elles ne compte plus de 15-20 personnes. De là, nous dirigeons les autres sociétés…

G. L. : « Tout est détenu par un groupe d’associés à titre privé. Mais nous sommes actuellement en pleine restructuration du partnership et intégration de différentes sociétés. La création de Genii Group n’a été qu’une première étape. Nous préparons le futur.

E. L. : « Il est normal, après quatre ou cinq années, de se remettre en question et de revoir la structure.

Et sur le plan capitalistique ?

E. L. : « Ca, ça fait partie des choses que nous ne communiquons pas…

G. L. : « On revient à la notion de balance que nous évoquions tout à l’heure. Prenons l’exemple de Mangrove : historiquement, nous n’avons jamais vraiment communiqué les montants des investissements, des pourcentages de détention, sauf lorsque ce sont les sociétés cibles qui le communiquaient elles-mêmes. La raison toute simple : la logique même de ce que nous faisons avec Mangrove, c’est d’investir et de désinvestir. Et ce serait une erreur éthique et stratégique d’aller crier sur les toits à chaque fois que nous avons vendu à un tel ou à un tel.

Faire une bonne affaire, c’est une affaire qui est bonne à la fois pour le vendeur et pour l’acheteur. Faire une bonne affaire en tant que vendeur et le crier sur les toits, c’est montrer au vendeur qu’il aurait peut-être pu payer moins… c’est pour ça que nous sommes un groupe privé qui ne détient des participations que dans des sociétés privées.

De parler beaucoup de certains domaines, alors que pour d’autres, la confidentialité est de mise, fausserait à nouveau la donne. C’est d’ailleurs pour ça que nous avons ce « problème », de luxe certes, mais problème quand même, que nous avons avec l Formule 1, qui est un secteur qui sur-communique.

E. L. : « Aujourd’hui, la marque Genii est assez connue dans beaucoup de pays et auprès de différentes personnes. Certainement pas auprès de la masse, mais ce n’est pas l’objectif non plus, mais plutôt auprès des investisseurs et des grandes sociétés.

Parmi les pôles définis pour Genii, il y a l’immobilier, qui regroupe notamment les sociétés de développement et de promotion Prodomos et Ikodomos qui connaissent un certain succès. Quelle a été la recette de ces succès ?

E. L. : « Tout d’abord, j’estime que dans un portefeuille, l’immobilier est un des secteurs d’investissement qu’il faut avoir. Ensuite, comme dans la technologie ou dans d’autres domaines, à partir du moment où on a décidé de s’y investir, on l’a fait. La recette du succès ? Le travail ! C’est la base. Travailler et bien connaître son domaine.

Il y a plusieurs niveaux de réussite pour un projet. Le niveau financier, que l’on peut facilement mesurer. Et puis il y a la satisfaction et la fierté de la réalisation d’un projet. L’architecte luxembourgeois Bogdan Paczowski m’a demandé un jour pourquoi j’étais autant impliqué dans tous les projets, jusqu’à regarder tous les plans dans les moindres détails y compris pour les toilettes. Peut-être que dans 30 ans mes enfants, en marchant dans la rue, diront ‘ je n’aime pas cette architecture-là ’. Mais je ne veux pas qu’ils disent ‘ papa, tu as fait pire que les autres ’. C’est une question de fierté. L’architecture, ça fait partie de la culture, du visuel. On les vit au quotidien. On arrive à faire quelque chose de bien avec un même montant que l’on pourrait investir pour faire quelque chose de pas bien.

G. L. : « Le dénominateur commun de base avec d’autres projets dans d’autres domaines, c’est évidemment l’aspect financier. Sauf que nous, nous ne nous arrêtons pas là. Il y a toujours cette fierté pour le bébé dont parlait Éric. On le voit ans beaucoup de domaines où un projet va prendre la forme de l’apport intellectuel de celui qui va le porter, et ça peut être n’importe qui d’autre qu’Éric et moi dans la société.

E. L. : « Une des recettes est aussi de ne pas être trop dans le court terme. On nous dit souvent ‘ en tant que société de private equity, vous avez une approche in-out ’. Oui, mais tout est relatif et le ‘in-out’ peut aussi s’envisager à 5, 10 ou 15 ans. Ce n’est pas du journalier. Notre point fort est aussi la création d’emploi. Nous en avons créé quelques milliers dans le groupe. Nous ne sommes pas des destructeurs de structures, au contraire.

G. L. : « C’est là un des critères guidant le choix de nos partenaires qui nous apportent des dossiers : nous ne sommes pas des vautours. La meilleure définition, c’est que nous sommes sans doute durs en affaires, mais avec une âme sociale. Nous avons des dossiers qui nous sont apportés directement, sans passer par des appels d’offres, parce que les gens adhèrent aux valeurs qui sont les nôtres.

Bien sûr, nous essayons toujours d’avoir le meilleur prix à l’achat et le meilleur prix à la vente. Mais entre les deux, nous essayons toujours de faire ce qu’il y a de mieux pour la société et, in fine, d’être pérennes. Si nous étions connus pour avoir racheté une société comptant 2.000 personnes, avant d’en mettre 1.600 sur le carreau puis revendre à profit deux jours après, nous ne serions plus appelés souvent.

E. L. : « Cela se retrouve aussi dans le fait qu’il y a une grande stabilité et très peu de mouvements de personnel chez nous. Idem pour les partenaires avec qui nous travaillons. Dans un bon partenariat, à terme, il y a plus à tirer que dans un mauvais qui rapporterait plus sur l’instant.

Il y a aussi une certaine passion qui vous guide ?

E. L. : « Évidemment. Et c’est parce que nous sommes passionnés que nous avons toujours envie de créer de nouvelles choses.

G. L. : « On pourrait s’imaginer qu’après toutes ces années, il n’y ait plus cette même passion. Non, c’est toujours au minimum la même qui nous anime depuis 12 ans. Notre plus grand risque, ce n’est pas d’être passionnés, mais de limiter le nombre de passions que l’on peut assouvir en même temps. Les journées ne sont pas infinies. Quand on a un caractère un peu curieux, à la Rabelais, du genre ‘ je sais que je ne sais rien ’, on est toujours enclins à faire plus, car intellectuellement, on est sans doute capable de le faire. Mais nous devons gérer la différence entre tout ce qu’on a envie de faire dans la tête et tout ce que l’on peut faire dans la réalité. Et gérer la capacité à mieux sentir l’énergie et les moyens que nous avons à disposition.

Dans quelle mesure êtes-vous touchés par la crise actuelle ? Cela complique-t-il votre métier de private equity ?

G. L. : « Nous sommes tellement intégrés d’un point de vue information et flux financiers que les réalités économiques dans la rue ne se retrouvent plus vraiment sur les marchés financiers. Aujourd’hui, si je suis une banque dans un pays qui est en bonne santé, mais que le secteur financier est affecté, alors mon action sera affectée. C’est un peu comme si nous étions tous sur l’océan et que le courant emporte tout le monde, peu importe si la tempête se passe ailleurs.

Quand on est dans le private equity, on est beaucoup moins affectés par ces mouvements qui sont publics. Une bonne société qui n’est pas cotée, elle n’est pas bonne parce que son action l’est, elle est bonne parce qu’elle a des clients et fait des profits. Une bonne société cotée, elle est d’abord bonne parce son action est bonne, et ensuite elle devrait être bonne parce que ses résultats sont bons. Et ce n’est pas toujours le cas. Car on peut avoir des sociétés cotées qui valent moins que le cash qu’elles ont sur le bilan et d’autres qui n’ont rien et dont la valorisation est axée sur un futur intéressant.
Le problème de la finance, c’est qu’elle exagère la réalité quand tout va bien et qu’elle exagère les problèmes quand tout va mal. Tout le monde va où il y a de l’argent à gagner et tout le monde fuit là où il y a de l’argent à perdre.

Et vous arrivez à dormir encore ?

E. L. : « Lorsque nous sommes sur un même continent, nous arrivons à courir entre 21 heures et 23 heures à nous deux. Il y en a un qui se lèvre très tôt et l’autre qui se couche très tard. Mais oui, nous dormons, et ce qui est bien, c’est qu’on dort bien. »

 

Engagements - Changer (un peu) le monde

En mars dernier, Genii Group a annoncé soutenir l’asbl Jonk Entrepreneuren. Un coup de cœur. « Nous savons que la base de la création de l’emploi, ce sont les PME. Alors nous avons décidé de nous impliquer fortement. Pas uniquement financièrement, mais aussi en investissant du temps pour le faire », indique Éric Lux. Cette démarche s’inscrit dans une approche plus large, presque philanthropique, illustrée aussi au travers de la Fondation Mangrove – qui finance la construction d’écoles dans les pays pauvres et pour laquelle les employés mêmes de la société s’investissent sur leurs temps de vacances – ou un soutien prononcé à l’initiative « Peace One Day » lancée il y a une dizaine d’années par un homme seul, Jeremy Gilley, qui a rallié, depuis, plus de 170 pays y compris des pays en guerre comme l’Afghanistan ou l’Irak.
Il y a rendu possible la vaccination de plus de 2 millions d’enfants. « Nous n’avons pas prétention ni la capacité de changer le monde, prévient Gerard Lopez. Mais on a quand même la capacité de faire quelque chose, il serait bête et irresponsable de ne pas le faire. Il faut arrêter de dire ‘On ne peut rien faire’. C’est faux. Si chacun à son niveau faisant un petit quelque chose, les choses bougeraient vite. »