Marc Payal: «Il est souhaitable que le client ait fait son ménage avant d’externaliser certaines activités.» (Photo: Julien Becker)

Marc Payal: «Il est souhaitable que le client ait fait son ménage avant d’externaliser certaines activités.» (Photo: Julien Becker)

Le succès d’une opération d’outsourcing se mesure au degré de préparation et d’implication des parties concernées. Mieux vaut donc faire preuve de pragmatisme et utiliser certaines méthodes. Tout en gardant à l’esprit que la délégation de service ne doit pas rimer avec l’externalisation de responsabilité.

Comme tout terme d’usage courant, l’outsourcing fait l’objet d’interprétations quant à son historique. Il est en effet difficile de trouver une seule date d’origine du phénomène dénommé «externalisation» en français. Certaines littératures font mention des années 70 avec le recours aux premiers services de payroll, d’autres sources évoquent les années 80 et le début des services IT. Plus étonnant, des sociétés actives dans ce créneau estiment même que le phénomène remonte aux années 1900 autour de services de sécurité. Peu importe la bataille des dates, le phénomène de l’outsourcing n’a fait que prendre de l’ampleur depuis les trois dernières décennies. «L’outsourcing est le transfert de tout ou partie d’une activité ou d’un service de l’entreprise vers un prestataire externe, principalement pour des raisons de coûts ou d’amélioration de la qualité du service», déclare Alexandre Fiévée, counsel au sein du cabinet Elvinger, Hoss & Prussen. Le mouvement de fond en faveur de l’outsourcing a été alimenté par trois facteurs importants, eux-mêmes influencés par l’évolution de l’économie: la volonté des sociétés de se recentrer sur leur cœur de métier, une recherche accrue de maîtrise des coûts et le souci de bénéficier de meilleurs services. Souvent évoquée par les spécialistes du secteur, la notion de coût apparaît comme déterminante, mais ne doit toutefois pas éluder l’objectif général de la mise en place d’un contrat d’outsourcing entre une entreprise client et un prestataire: la création de valeur. «La notion de coûts est importante, mais il ne faut pas uniquement considérer ce facteur pour créer de la valeur via une opération d’outsourcing, déclare Pascal Denis, managing director d’Accenture Luxembourg. Il faut aussi s’assurer que le prestataire peut faire preuve de flexibilité, de rapidité d’exécution pour répondre aux besoins du marché tout en accompagnant le client durant le processus de changement. Il s’agit en effet d’une profonde transformation.»

Faire le ménage

Avant de sceller une relation de travail qui s’étendra sur une période moyenne de cinq à sept ans, un travail préparatoire doit être mené par la société voulant externaliser un processus, un service ou un département. «Il est souhaitable que le client ait fait son ménage avant d’externaliser certaines activités, déclare Marc Payal, managing director de Fujitsu Technology Solutions Luxembourg. Sous-traiter un problème l’a rarement réglé, mais souvent renforcé. Il est préférable de se parler ouvertement avant le début du projet afin d’éviter trop de surprises pendant la phase de ‘due diligence’». Dans le même temps, la mise en place d’un cahier des charges précis, précédent l’appel d’offres et la phase de négociations, apparaît comme un élément indispensable, particulièrement en matière de risques. Ceux-ci sont en effet devenus indissociables d’une opération d’externalisation, a fortiori concernant des données personnelles. «Il convient de réaliser une étude de risque qui consiste à analyser la gravité de l’événement redouté par rapport à la probabilité de la menace que celui-ci se produise, et ce, afin de prioriser la gestion des risques», note Alexandre Fiévée qui préconise une approche pragmatique vis-à-vis d’un contrat d’outsourcing.

Sur le plan contractuel, trois grandes catégories de clauses s’appliquent dans ce type d’opération: les clauses techniques, juridiques et économiques. «Un bon contrat traduit le cahier des charges précis de l’entreprise et donc traduit juridiquement les besoins de l’entreprise. Il faut choisir le prestataire qui répond le mieux aux exigences de l’entreprise.» Sur le plan opérationnel, une opération d’outsourcing se compose en trois phases: la transition, la réalisation et la réversibilité. Chacune doit être méthodiquement préparée afin d’assurer une relation équilibrée. À commencer par la phase de transition qui implique le transfert de tout ce qui est nécessaire pour que le prestataire puisse accomplir sa mission. «Cette phase permet aussi de réaliser des livrables comme le plan d’assurance qualité, qui va synthétiser les moyens et ressources mis en œuvre par le prestataire pour répondre à ses engagements. Le plan de réversibilité est aussi fixé durant cette étape», ajoute Alexandre Fiévée. Reste que cette phase de transition ne doit pas rimer avec un désengagement de la part de l’entreprise cliente qui doit s’assurer jusqu’au bout que son prestataire dispose des données et des moyens suffisants pour réaliser sa mission.

«Si la transition est mal effectuée, le contrat débutera mal et la situation risque d’empirer en raison d’une perte de connaissance, déclare Frédéric Robin, outsourcing services director d’Accenture Luxembourg. Il est donc nécessaire d’avoir un engagement fort de la part du management de l’entreprise cliente ainsi qu’un alignement des objectifs individuels de part et d’autre.»

Durant la phase d’exploitation, des garde-fous sous la forme de reporting ou de comités réunissant les différentes parties permettront de s’assurer que le prestataire respecte ses engagements. Une défaillance pourra être sanctionnée par des pénalités. À l’inverse, des bonus peuvent être mis en place pour récompenser une «surperformance». En cas de non-reconduction du contrat avec le prestataire, la phase de réversibilité est, quant à elle, marquée par un double transfert – prestations/connaissances et données – de la part du prestataire qui doit, en même temps, continuer à réaliser ses missions jusqu’à la fin du contrat. Ce transfert, mené vers un autre prestataire ou vers l’entreprise cliente en cas de décision de retourner vers un traitement interne, aura dû être prévu dès le contrat initial. Il s’agit en effet de clarifier au plus tôt le format utilisable par l’entreprise qui récupérera les données, sans oublier la question de la propriété intellectuelle. «Toutes les opérations réalisées par le prestataire, dont des développements, doivent être couvertes par une clause de propriété intellectuelle pour que les réalisations du prestataire restent la propriété du client,» précise Alexandre Fiévée.

De l’externalisation à la dématérialisation

L’avènement du cloud computing marque un changement profond en matière d’outsourcing. Les prestataires peuvent en effet développer leurs propres services dits cloud ou recourir, en tant qu’intégrateurs indépendants, à des solutions qui leur permettent de remplir leurs missions. Dans les deux cas, la protection des données qui peuvent être hébergées sur des serveurs physiques localisés dans un ou plusieurs pays est essentielle. «S’il s’agit d’un transfert en dehors de l’Union européenne et dans un pays n’assurant pas un niveau de protection adéquat, l’entreprise cliente doit demander une autorisation à la Commission nationale pour la protection des données (CNPD, ndlr) pour réaliser l’opération, ajoute Alexandre Fiévée. La CNPD va ensuite vérifier si les garanties présentées entre les différentes parties en matière de sécurité et de confidentialité des données sont suffisantes.» Juridiquement, l’entreprise cliente est considérée comme responsable du traitement des données, le sous-traitant ne pouvant agir que sur ses instructions.

Cette responsabilité juridique renvoie, plus généralement, au rôle du client dans un contrat d’outsourcing et de l’éventualité de son manque d’expérience pour gérer un tel projet. Ce cas de figure peut induire une surcharge de travail pour le prestataire. «On n’externalise pas une responsabilité, note Frédéric Robin. Le prestataire se doit d’avoir une contrepartie forte auprès du client pour maintenir une relation équilibrée. Un contrat qui débute sur des bases déséquilibrées aura du mal à porter les fruits escomptés.» En disposant des ressources compétentes qui peuvent jouer le rôle d’interlocuteur du prestataire, le client n’a que partiellement atteint ses objectifs. L’autre grand chantier se place sur le terrain de la communication interne. Le personnel d’une société qui recourt à une externalisation de service peut en effet éprouver des craintes d’ordre général, particulièrement en temps de crise. Il est donc important de l’impliquer dès le départ. «La communication est également un élément clé, ajoute Frédéric Robin. Il ne faut pas uniquement gérer cette communication au sein de l’équipe projet, mais aussi auprès des clients finaux, car la perception du service rendu est essentielle pour le bon déroulement du contrat.»

Contrats de nouvelle génération

Mais l’évolution technologique sur le terrain du cloud pose par ailleurs des questions contractuelles, voire quelques difficultés. On parle en effet le plus souvent de contrats dits d’adhésion dans lequel les conditions sont imposées par le fournisseur de services cloud. «Ce qui peut poser un problème en matière de critères de protection des données, car il n’est pas possible de les imposer au sous-traitant en raison de la nature du contrat, ajoute Alexandre Fiévée. Dans ce genre de cas, le prestataire pourrait être considéré comme un coresponsable de traitement, ce qui renforce ses prérogatives à l’égard des données.»

Chantiers volumineux nécessitant les efforts de plusieurs mois de part et d’autre, les contrats d’outsourcing semblent arriver à une phase d’évolution de leur maturité, à côté de celle induite par l’évolution technologique. «La première génération de contrats avait tendance à privilégier les fournisseurs, la seconde davantage les clients, relève Marc Payal. Or il ne peut y avoir de bonne collaboration si une des parties se sent lésée.» Le terme de partenariat devrait, ici aussi, être de plus en plus employé pour qualifier des contrats idéalement clairs, équitables et compréhensibles par tous. «Les parties doivent concentrer leur énergie sur l’activité et non sur l’interprétation des clauses. Il en est de même pour la mesure des indicateurs de performance, trop d’indicateurs sont souvent un signe de manque de confiance.»

Entre l’attente de normes ISO qui pourraient servir de référentiel lors de négociations et le besoin de plus de partenariats, le secteur de l’outsourcing évolue en fonction du marché, marqué par une règlementation accrue et un besoin de transparence. «Une opération d’outsourcing qui n’apporterait pas de valeur est vouée à l’échec, ajoute Pascal Denis. Pour démystifier l’outsourcing, nous démontrons à nos clients que des résultats peuvent être obtenus en adoptant une approche proactive et décomplexée.» Préparation, négociation et anticipation apparaissent comme les maîtres mots recommandés par les spécialistes rencontrés pour mener une telle opération. L’outsourcing, ce terme devenu usuel dans la sphère économique, recouvre désormais de nombreuses acceptations, du contrat de nettoyage, en passant par les fonctions IT ou, plus récemment, le business process outsourcing. Un phénomène qui évolue justement de plus en plus vers le transfert de l’ensemble d’un processus métier, d'où l’importance de la relation pour, au-delà des aspects contractuels, permettre aux contractants de faire progresser, voire de transformer l’entreprise.

Réglementation

En confiance

Le départ vers l’étranger de certaines fonctions de back-office, notamment au sein du secteur bancaire, pourrait avoir des conséquences importantes en termes de perte d’emploi. Le Luxembourg entend, en revanche, se positionner sur le terrain de la valeur ajoutée grâce à l’expérience de la place financière. L’un des principaux secteurs économiques du pays s’est en effet progressivement doté, via des circulaires émises par la Commission de surveillance du secteur financier, d’un cadre réglementaire relatif à l’outsourcing correspondant à ses exigences, notamment en matière de sécurité. Ce qui a entraîné une incidence sur le niveau des projets d’outsourcing dans le secteur. « Les projets liés au secteur financier ont un niveau de maturité plus élevé, plutôt tournés sur des questions d’infrastructure », relève à ce sujet Pascal Denis d’Accenture. La création de la certification de Professionnel du secteur financier (PSF) peut en effet être perçue comme une volonté de proposer un outsourcing autour de la notion de confiance induite par des services réglementés. Le récent projet de réglementation autour de l’archivage électronique et la notion de « prestataire de services de dématérialisation ou de conservation » (PSDC) s’inscrit dans cette même démarche de positionner le pays comme centre de compétences et d’outsourcing haut de gamme.

Ressources humaines

Multifacettes

Parmi leurs chantiers perpétuellement ouverts, les fournisseurs d’outsourcing doivent trouver des profils spécifiques pour proposer leurs services, combinant des notions techniques avec un fort attrait pour les relations commerciales. Des profils qui coïncident souvent avec des collaborateurs seniors qui sont d’anciens techniciens ou issus de la promotion interne. Mais ces critères de sélectivité doivent coïncider avec le souci de rencontrer des contreparties familières avec un projet d’outsourcing au sein de l’entreprise cliente. La considération des services de support des entreprises comme des « outsourceurs » internes fait partie des éléments qui facilitent le dialogue des deux côtés. Chacun employant le même langage : celui du service au client, qu’il soit interne ou externe.