Virginie Simon: «Les nanotechnologies peuvent aussi augmenter l’efficacité d’un traitement existant, tout en limitant les effets secondaires.» (Illustration: Artemegorov)

Virginie Simon: «Les nanotechnologies peuvent aussi augmenter l’efficacité d’un traitement existant, tout en limitant les effets secondaires.» (Illustration: Artemegorov)

Une urgence met tout le monde d’accord: la lutte contre le cancer. Cette année, à l’occasion des 100 ans de la Ligue contre le cancer, François Berger, professeur de neuro-oncologie et de biologie cellulaire à Grenoble, a rappelé devant les journalistes de Sciences & Avenir que 25% à 45% des cancers restent incurables et que les thérapies ciblées ne peuvent souvent toucher que 30% des cellules à traiter.

«Si la biochimie ne fonctionne pas, pourquoi ne pas tenter une approche physique?» s’interroge-t-on dans le milieu médical. Et c’est là qu’interviennent les nanotechnologies, à savoir les matériaux d’une taille en deçà de 100 nanomètres.

Le nanoscopique, de l’ordre du milliardième de mètre, est invisible à l’œil nu – on dit communément qu’un nanomatériau est 100 fois moins large qu’un cheveu. Les nanomatériaux existent sous différentes formes: nanofeuillets, nanotubes, nanoparticules, etc.

La médecine fonde de grands espoirs sur les nanotechnologies

Pour mieux comprendre l’intérêt de ces matériaux, il suffit d’aller à la rencontre de chercheurs impliqués dans des projets portant sur les nanotechnologies.

Après avoir effectué sa thèse chez Nanobiotix, une start-up spécialisée dans l’utilisation des nanotechnologies dans la lutte contre le cancer, Virginie Simon, ingénieur en biotechnologie et docteur en nanomédecine, est aujourd’hui CEO et cofondatrice de la société luxembourgeoise MyScienceWork, une plate-forme d’accès à la connaissance scientifique, dans laquelle on trouve 12 millions brevets, des articles de vulgarisation scientifique... et 70 millions de publications, dont 100.000 sont consacrées aux nanotechnologies!

Cette spécialiste nous explique l’apport des technologies de l’infiniment petit dans le traitement des cancers. «L’idée est d’injecter des nanoparticules dans des cellules cancéreuses et de les activer par un effet physique. À la différence des traitements à effet biologique qui sont spécifiques à chaque type de cancer, un traitement physique permet un spectre plus large en termes de cancers traités. Les nanotechnologies peuvent aussi augmenter l’efficacité d’un traitement existant, tout en limitant les effets secondaires. Le potentiel est donc énorme», s’enthousiasme-t-elle.

Modifier et améliorer des matériaux connus

Les technologies à l’échelle nanoscopique ouvrent de nouveaux champs de recherche dans bien d’autres domaines. À l’institut de science et technologie du Luxembourg (List), les équipes du docteur ès sciences Damien Lenoble travaillent sur l’observation du comportement des nanomatériaux, leur fabrication et leurs applications. «Le nanomatériau n’est pas un produit en soi. Il est intégré à un produit et c’est ce qui en fait l’intérêt», explique le responsable de l’unité des nanomatériaux et nanotechnologies.

Pour appuyer son exposé, il cite volontiers l’exemple du «verre intelligent». «Pour l’obtenir, on a utilisé l’argent, un conducteur d’électricité qui devient transparent lorsqu’on le synthétise à très faible échelle. Grâce à cette modification de ses propriétés, lorsqu’on l’intègre au verre, on apporte aussi à ce dernier des qualités nouvelles: la conduction, sans perte de transparence», expose Dr Lenoble. Le secteur sans doute le plus avancé est celui des semi-conducteurs.

La nanoélectronique permet de graver des transistors à une finesse de l’ordre de 7 nanomètres. Un progrès d’ores et déjà utilisé pour les puces de nos smartphones et notamment pour le processeur A12 Bionic du nouvel iPhone Xs.

Il faut rassurer les citoyens sur l’innocuité des nanomatériaux

Les nanotechnologies peuvent être aussi valorisées dans le secteur de l’énergie, pour augmenter les densités de stockage au centimètre carré ou réduire le poids d’un matériau de batterie. L’utilisation de nanotubes de carbone ouvre des perspectives prometteuses dans le domaine du transport électrique.

Le groupe russe Ocsial les utilise ainsi comme un additif aux matières premières. «Un ajout de l’ordre de 0,01% (ou au maximum de 0,5%) suffit à modifier les caractéristiques du produit d’origine», précise son directeur Marketing et Ventes, Christoph Siara.

«Jusqu’ici, il n’existait pas de technologies industrielles pour produire à grande échelle ces nanotubes de carbone. Aujourd’hui, Ocsial sait le faire. Notre objectif est désormais de les implanter sur des objets en grande série».

Globalement, les nanotechnologies apparaissent de plus en plus comme une réponse aux défis environnementaux dans un contexte de densification de la population. Elles permettent en effet d’utiliser une quantité plus faible de matériaux tout en augmentant leur efficacité. Certains promettent même l’abondance dans le domaine alimentaire.

Bonnes pratiques et éthique

En l’état des connaissances, des interrogations demeurent encore quant aux risques posés par l’utilisation de ces nouveaux matériaux. Une fois encore, le principe de précaution doit prévaloir. Le List s’est associé à des projets européens destinés à édicter de bonnes pratiques en ce domaine et à anticiper les demandes d’informations des citoyens en jouant la carte de la transparence.

Le Dr Lenoble confirme la démarche proactive du List: «Nous avons mis sur pied un groupe de travail qui étudie les nanotechnologies dans le secteur de la cosmétique. Cette recherche est associée à la toxicité des matériaux. Selon l’usage qui est fait des nanomatériaux, on doit en effet pouvoir démontrer l’absence d’impact sur l’Homme et l’environnement. Et pour cela, il faut développer une approche systémique et ne pas hésiter à informer le consommateur».