«L’essentiel du programme d’Emmanuel Macron n’a aucune originalité et il est dans la continuité de ce qu’a dit François Hollande», estime Élizabeth Martichoux. (Photo: www.rtl.fr)

«L’essentiel du programme d’Emmanuel Macron n’a aucune originalité et il est dans la continuité de ce qu’a dit François Hollande», estime Élizabeth Martichoux. (Photo: www.rtl.fr)

Madame Martichoux, l’attaque de ce jeudi soir sur les Champs-Élysées aura-t-elle, selon vous, un impact sur le vote de dimanche?

«C’est très difficile à dire. Nous avons seulement une référence à ce niveau-là, qui est celle de l’attentat de Mohamed Merah (il avait tué sept personnes lors de plusieurs attaques en mars 2012, ndlr), mais cela s’était passé un mois avant le vote.

S’il fallait que je m’engage, je dirais que l’effet de cette attaque sera marginal. Mais nous sommes dans un contexte particulier où quatre candidats sont encore difficiles à départager. Donc même un impact à la marge peut avoir son effet.

Justement, peut-on dire que l’on assiste à une véritable refonte de la carte politique française?

«On a, dans cette élection, un élément structurant qui n’est pas nouveau, c’est le fait que la candidate du Front national (FN) est presque certaine, ou a au moins autant de chances que d’autres candidats, de passer au second tour. Ce tripartisme fait que ce scrutin, habituellement disputé par la droite et la gauche, est complètement bouleversé. C’est la première fois que ça se produit.

Nous avons par ailleurs un paysage politique complètement reformaté avec des candidats de la droite et de la gauche traditionnelle relativement faibles par rapport à l’ensemble de leur électorat potentiel. À côté de ça, nous avons deux candidats populistes, de droite et de gauche, ce qui est extrêmement rare. D’habitude, il n’y en a qu’un. Nous sommes donc dans une configuration totalement inédite.

Il y a aussi Emmanuel Macron, qui ne se dit ni de gauche, ni de droite…

«En effet. Et contrairement au FN, sa présence est totalement nouvelle. En tant que candidat, il a émergé en l’espace d’un an et s’est imposé comme l’homme qui pourrait composer à la fois avec la droite et la gauche. Emmanuel Macron surfe sur cette opinion française qui est persuadée que le clivage droite-gauche est fini.

Il y a une perte de repères considérable.

Élizabeth Martichoux, chef du service politique de RTL France

On parle souvent de l’homme ou la femme providentiel(le) attendu(e) par l’électorat. La France se cherche-t-elle encore un roi ou, désormais, une sorte de super manager?

«Les alternances entre Sarkozy et Hollande ont achevé de convaincre l’opinion que, finalement, les offres traditionnelles n’opéraient pas les changements attendus. Fort de ce constat et de l’usure du fonctionnement même des partis, Emmanuel Macron a tenté une entreprise très audacieuse accompagnée d’une offre inédite en faisant coïncider son tempérament, son audace transgressive et son ambition électorale avec une opinion fatiguée et usée par deux quinquennats décevants. Il arrive donc tel le chevalier blanc pour rafler la mise. Il a profité de la confusion.

Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une perte de repères considérable. On voit que les gens hésitent parfois entre Mélenchon et Fillon… Ces comportements renvoient au fait que l’offre traditionnelle ne correspond plus du tout aux attentes.

Que pensez-vous du contenu des programmes des principaux candidats?

«Il y a un clivage qui s’est imposé et qui reste le plus structurant de cette campagne: celui du pour ou contre l’Europe. On n’a jamais eu autant de candidats critiques à l’égard de l’Union européenne. Une majorité écrasante d’entre eux prétend imposer une renégociation des traités, alors que d’autres comme Le Pen veulent carrément sortir de l’Europe.

Un candidat est très pro-européen et l’assume, c’est Emmanuel Macron. Un autre a une forme d’attachement à l’Europe, mais un peu plus honteuse, c’est François Fillon.

Et en termes économiques?

«La caractéristique de cette campagne est qu’on a connu les programmes des candidats de la droite et de la gauche relativement tôt grâce aux primaires. Les propositions de la droite sont généralement extrêmement structurées en termes économiques, avec une offre libérale déterminée, mais qui n’est absolument pas nouvelle. À gauche, l’offre est également extrêmement classique, avec une stimulation de l’économie par l’augmentation des dépenses publiques.

Nous serons regardés comme l’Italie, qui se remet tout juste de sa berlusconisation.

Élizabeth Martichoux, chef du service politique de RTL France

Et puis, il y a Emmanuel Macron qui fait un peu de droite et un peu de gauche. L’essentiel de son programme n’a aucune originalité et il est dans la continuité de ce qu’a dit François Hollande. Il a deux ou trois propositions de rupture. Par exemple, donner la possibilité aux démissionnaires de toucher tous les cinq ans l’assurance-chômage ou refonder totalement le régime de retraite pour en faire un système à point et universel.

Sinon, c’est un océan de continuité de hollandisme, avec la recherche de solutions non clivantes. L’une des caractéristiques d’Emmanuel Macron est en effet de refuser les clivages pour ne prendre que «le meilleur» à droite et à gauche.

Craignez-vous pour l’image de la France à l’international?

«Bien sûr. On sait que l’élection de Marine Le Pen créerait un séisme considérable. Le maintien de François Fillon a été largement commenté et critiqué par la presse européenne, et en particulier en Allemagne, comme étant abusif. La position du très conservateur Wolfgang Schäuble, qui s’est rangé du côté de Macron en estimant que François Fillon avait fustigé la justice, donne un peu une idée de l’image que pourrait avoir la France aux yeux de nos voisins.

Je pense que nous serons regardés de la même façon que l’Italie, qui vient tout juste de se remettre de sa berlusconisation. Mais vu notre place tellement particulière dans l’Union européenne, cela aura des conséquences plus importantes. Si c’est un populiste comme Le Pen ou Mélenchon qui est élu, ce ne sera plus une question de réputation, mais de survie pour l’Europe. Si c’est Fillon, il y aura un regard critique de la part des démocraties qui mettent l’exemplarité au cœur de leur gouvernance. Si c’est Macron, par contre, il y aura certainement un regard plus positif.»