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La place financière tire dans son sillage de nombreuses autres entreprises. Moteur de l'économie de manière directe, par ses emplois, ses bénéfices, elle l'est également par la masse déversée chaque année dans le circuit via des commandes passées auprès de prestataires externes, de tous types.

 Un coup d'?il sur les données du Statec permet de constater que des sociétés de gardiennage, de nettoyage, de consulting, ou encore des fiduciaires figurent parmi les plus importantes entreprises luxembourgeoises. Ces activités ne pourraient pas avoir connu un tel développement sans la place financière.

Emportées par les taux de croissance à deux chiffres des dernières années, ces entreprises peuvent être confrontées à de nouvelles difficultés suite au ralentissement économique généralisé. En effet, dans une situation de crise, les premières dépenses à être supprimées sont les plus simples à identifier. Nouveaux projets et main d'oeuvre extérieure sont au premier rang des cibles pour les chasseurs de coûts.

Une place sans pouvoir de décision'

Le fait est que les banques et autres établissements financiers du Luxembourg sont rarement luxembourgeois au sens total du terme. Les centres de décision des groupes et entreprises se trouvent en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs. D'où des difficultés supplémentaires. "Un certain nombre de sociétés se font effectivement imposer des réductions de coût via les maisons mères qui demandent un effort uniforme à toutes leurs filiales, sans prendre en compte la spécificité luxembourgeoise. La conséquence est simple, explique Alain Picquet de KPMG Consulting. Il est clair qu'il y a aujourd'hui des coupes dans les budgets. Les années de vaches grasses de la période 1998-juin 2001 sont derrière nous. Les signes annonciateurs étaient visibles depuis le mois de décembre 2000. La globalisation est une réalité forte au Luxembourg. Quand le New-York Stock Exchange éternue, le Luxembourg s'enrhume'"

Le ralentissement économique américain a ainsi mis 6 mois pour traverser l'océan et toucher les côtes européennes. "Heureusement pour les cabinets de conseil, beaucoup d'institutions financières font la part des choses, analysent l'évolution de leur métier sur le moyen ou le long terme et conservent les projets à haute valeur ajoutée".

Tous les budgets et toutes les entreprises ne vont pas être concernés de la même manière. Chez Real Solutions, une entreprise qui propose des logiciels de gestion bancaires, la situation est prise avec philosophie: "On doit s'adapter au départ des centres de décision du Luxembourg; 80 à 90% de nos clients n'ont pas leur maison mère au Luxembourg. Mais la situation est particulière: on extrait de la maison mère un métier pour l'installer dans sa totalité au Luxembourg. Les filiales concernées ont donc un rôle particulier au sein du groupe. Elles peuvent donc argumenter en interne et bénéficient d'une certaine autonomie: on a déjà vu des groupes s'aligner sur le choix de la filiale luxembourgeoise, explique M. Kieffer, International Sales Director Finance chez Real Solutions S.A."

Certaines entreprises ont un son de cloche plus pessimiste et certains affirment ainsi que les problèmes d'autonomie vont commencer à se faire sentir aujourd'hui dans les banques luxembourgeoises. En effet, jusqu'à présent, en pleine expansion, les sièges n'intervenaient que très peu: aujourd'hui, les maisons mères risquent de beaucoup plus influer sur les choix au Luxembourg. Allant dans le même sens, Mme de La Vallée Poussin, Regional Director de Cstim Luxembourg (entreprise spécialisée dans la consultance pour gestionnaires de fonds), analyse la situation de la manière suivante: "il y avait jusqu'à présent sur le marché une certaine mentalité de gâtés: on ne se reconnaissait pas dans l'affirmation 'ce qui doit être fait pour aujourd'hui doit être fait pour aujourd'hui'. Il n'y avait pas suffisamment de rigueur dans la gestion des projets, ce qui de manière cumulée pouvait aboutir à des retards et des surcoûts importants. Aujourd'hui, la pression vient du business, les choses ont changé". Autrement dit, les responsables européens demandent au Luxembourg de se mettre à niveau: la gestion de projet, le déploiement de solutions doivent atteindre une qualité comparable à celle des autres marchés, tels que Londres ou Paris.

On dépense moins, on demande autrement?

Premier constat: la concurrence est plus acharnée entre les différents prestataires, où qu'ils interviennent. Chez Real Solutions, on reconnaît la situation: "le marché réclame un investissement croissant en terme de prospection; encore une fois il n'y a pas de diminution des besoins, mais par contre il est clair que le processus pour gagner une affaire est en mutation'. M. Holper, Managing Director chez EDS (intégrateur de système d'information), va plus loin dans son analyse: "les entreprises se 'refocalisent' sur leur core business. Dans un certain nombre de projets, il y avait des 'add-ons' pas forcément essentiels au moment présent. Ils ont souvent été annulés. On pourrait dire que ce ralentissement est en fait un retour au calme. Chaque dossier est étudié plus à fond. Les calculs de retour sur investissement plus poussés qu'auparavant".

De son côté, M. Bontemps, Branch Manager de Callataÿ & Wouters (logiciels bancaires), souligne le même phénomène: "On assiste à un retour à la raison, en particulier dans les projets d'Internet Banking. On continue d'en faire, mais de manière rationnelle? Le mot important d'Internet Banking est redevenu 'Banking': les logiciels doivent s'adapter et interagir avec le reste du système d'information des banques". Encore le même son de cloche chez Real Solutions: ". Depuis quelques temps les clients imposent une réaction beaucoup plus rapide à leurs demandes et une adaptabilité plus forte de leur solution. La reconnaissance de cet état de fait a permis à notre société de conforter notre position auprès des clients. Les banques ont compris l'intérêt de ne plus mettre tous leurs oeufs dans le même panier et choisissent de plus en plus des solutions en provenance de plusieurs fournisseurs."

Mais les banques ? et les autres établissement financiers ? ne mettent-elles la pression ?que? sur les sommes engagées? La réponse est non' On demande également autrement: "il y a 10 ans, ou même 5 ans seulement, on vendait des solutions sur un modèle '1 seul interlocuteur, avec une solution complète et globale'. Aujourd'hui, explique M. Kieffer de Real Solutions, avec l'évolution des technologies, un tel discours n'est plus possible. On attend aussi de sociétés comme la nôtre des compétences d'un intégrateur, avec des compétences fonctionnelles et technologiques. On ne doit plus vouloir tout faire, mais on doit intégrer, être ouvert à d'autres produits. Notre premier objectif devient donc de comprendre le business du client, puis de faire un choix qui offre la meilleure flexibilité, avec 'nos' applicatifs, ou alors en intégrant des solutions concurrentes." 

Nouveaux acteurs, nouvelles attentes

Une telle évolution de la demande est idéale pour de nouveaux entrants, tel Pipal Solutions. "Nous sommes des sous-traitants en informatique. Sur base d'un cahier des charges, nous sommes par exemple capables de mener un développement de A à Z ou d'assurer une migration entre deux systèmes. Nous pouvons travailler avec un établissement financier ou une entreprise de logiciels? À eux la conception, à nous la réalisation. Il arrive aussi que certaines banques se retrouvent avec des systèmes d'information développés sur plusieurs années, sans jamais avoir été documentés. Nous sommes capables de faire du reverse engineering, de tout déconstruire pour comprendre comment le logiciel est construit, et le documenter? pour ensuite assurer la migration vers un autre système'" détaille André Capelli, Managing Director de l'entreprise.

Dans ce cas précis, le travail de développement est assuré dans un centre installé? en Inde. "Si l'économie va mal, Pipal va bien: il est plus simple de faire passer nos messages dans un tel environnement. Nous pouvons assurer un projet identique, avec des garanties de délais, de coûts? pour un prix inférieur de 30% à ceux habituellement proposés!"

Chez les entreprises d'ores et déjà installées, on réagit et adapte également son offre. Ainsi, chez Real Solutions, est-on catégorique: "personne n'échappera à la ré-écriture, au re-design de ses produits, vers justement plus de flexibilité, plus d'intégration. Pour garantir son succès, nous avons intégré deux unités: l'une maîtrise les compétences fonctionnelles, l'autre les compétences techniques."

M. Bontemps (Callataÿ & Wouters) précise: "nous pensons que nos produits sont mûrs pour accélérer notre développement international' Les décisions sont prises hors du Luxembourg? Nous devons être présents là où elles sont prises'". Chez EDS, cette position est tout aussi naturelle pour M. Holper: "nous sommes un groupe mondial, présent dans les différents pays. Au Luxembourg en contact avec la filiale, dans l'autre pays avec la maison mère. Nous avons donc les moyens de proposer des services à l'échelle choisie par le client".

Et n'y a-t-il pas également l'envie de déployer ses offres d'une autre manière, en se liant avec d'autres prestataires, complémentaires mais pas concurrents? Autrement dit, re-proposer aux établissements financiers le "one-stop-shop", cette fois-ci non plus constitué par une entreprise, mais par une coopération (pourquoi pas ponctuelle) entre différentes entreprises? L'idée ne choque pas chez KPMG: "Il peut exister l'envie de n'avoir qu'un point de contact, une personne à qui s'adresser pour résoudre un certain nombre de ses problèmes, mais dans une telle situation il y a deux critères qui guident le choix: la qualité du service et la qualité du contact qui existe déjà avec l'organisation'.

Et après?

Sans forcément retrouver les taux de croissance passés, le Luxembourg et ses établissements retrouveront bien un jour une santé plus florissante? Que se passera-t-il ce jour-là? Toujours chez KPMG, on est certain du retour à des jours meilleurs: "le secteur financier va devoir faire évoluer ses pratiques sous la pression des régulateurs. D'ici à 2005, ce que l'on appelle les IAS (NDLR: International Accounting Standards, des normes comptables reconnues et appliquées par les établissements financiers internationaux) demanderont une plus grande transparence. Il s'agira pour certaines entreprises de faire évoluer leurs procédures et leurs systèmes d'information pour se conformer à ces nouvelles normes. Bâle II et la nouvelle vision en matière de risque opérationnel renforcent également l'importance des évolutions à venir ". Et ces évolutions devront se faire avec le soutien d'un certain nombre de prestataires.

Analyse identique de M. Holper (EDS): "À relativement court terme, les entreprises financières de la place devront faire des investissements lourds en termes informatiques pour s'adapter à de nouvelles réglementations? Le marché reprendra, mais les impératifs d'efficacité domineront tous les nouveaux projets. C'est ici que des contrats long terme, de type SLA (NDLR: Service Level Agreement ? voir paperJam décembre, p.40) vont connaître un développement important". Pourquoi donc? Avec le développement des pratiques de transparence, certaines pratiques comptables qui permettaient de lisser les résultats sont vouées à disparaître? En conséquence, les entreprises doivent se réorganiser et repenser les fonctionnements internes de manière beaucoup plus réactive qu'auparavant. Ce qui explique que les effets d'un nouveau système d'information devront être immédiats?

Cette évolution est déjà clairement enclenchée pour Real Solutions: "Aujourd'hui, nous approchons directement un client pour lui proposer le développement de nouvelles fonctionnalités, très précises et avec un temps de développement très court. On commence à apprécier des initiatives venant des fournisseurs de solutions bancaires. Les développements sur mesure en provenance des clients et les initiatives propres aux fournisseurs constituent la base d'un partenariat rapide et efficace. Ceci étant, l'inertie du marché est grande. Les solutions restent chères. Les systèmes évoluent en permanence? La pression augmente pour que le premier choix soit le bon, pour que le prix définitif soit le bon. Sans oublier que les établissements profitent du ralentissement en cours pour faire un nettoyage qu'ils auraient de toute manière été contraints de faire. C'est l'occasion d'une réflexion sur les méthodes et les architectures".

OPPORTUNITE

Vive la crise!

Avec la pression sur les budgets telle qu'elle s'exprime actuellement, les entreprises proposant des solutions pour la réduction des coûts se trouvent en position favorable:

"La pression budgétaire est aujourd'hui très clairement présente dans les entreprises de la place.

Nous pouvons offrir les mêmes services que de nombreuses autres sociétés, à un coût moindre, mais en demandant une autre manière de penser. C'est un bon moment pour nous: les banques ne peuvent plus faire comme auparavant, donc elles cherchent de nouvelles solutions? donc elles sont plus réceptives à notre message". Quel message? Que l'on peut faire développer des applications sensibles à une entreprise externe ? en l'occurrence Pipal Solutions - sans prendre de risques? ?Habituellement, on commence par nous confier de 'petits' projets, pour tester notre fiabilité, concède M. André Capelli, Managing Director. Mais une fois que l'on a pu prouver la qualité de notre service, alors la crainte disparaît?.