« L’hypertrophie musculaire n’est pas bonne, pas plus que ‘l’hypercéphalie’. » (Photo : David Laurent / Wide)

« L’hypertrophie musculaire n’est pas bonne, pas plus que ‘l’hypercéphalie’. » (Photo : David Laurent / Wide)

Monsieur Gromy, en quoi consiste pour vous le métier de chief operating officer ?

« Un COO, c’est l’interface entre la tête et les jambes… C’est une fonction qui doit avoir un rôle le plus général possible, avec comme objectif
de réussir à mettre en pratique la stratégie de l’entreprise au quotidien. Il faut faire en permanence des allers-retours entre le long et le court terme, en alternant les décisions tactiques et stratégiques. Les allers-retours doivent également se faire entre la base et la direction : il faut capter et faire remonter les informations pour faire que la stratégie évolue au contact de ce que les gens du terrain constatent. Sur le plan organisationnel, il faut travailler pour réussir à saisir les enjeux et la déclinaison opérationnelle de la stratégie, sans être rigide.

Mes responsabilités sont, en fait, de toujours stimuler les propositions, même dans un conflit client, selon le triptyque suivant : j’arbitre, je décide, j’assume. Si l’on me conseille blanc, mais que je choisis noir, c’est noir qui doit être fait. Et si c’était une erreur, ce sera de ma responsabilité. Mais ces décisions sont toujours prises dans une approche de respect et de confiance.

Comment est organisé Luxexpo ?

« Nous ne sommes pas organisés de manière trop hiérarchique, mais plus sur une logique opérationnelle. C’est comme pour le sport. L’hypertrophie musculaire n’est pas bonne, pas plus que ‘l’hypercéphalie’. Cela va faire 10 ans que je suis là. Le premier travail a été de faire évoluer la mentalité des équipes, de travailler sur l’organisation. Nous sommes aujourd’hui dans une phase de transition, nous passons d’une structure matricielle vers une organisation par processus : les gens ont des responsabilités, selon des flux, qui se croisent. En fait, tout est structuré autour des processus : chacun est un maillon dans la chaîne, et est responsable de sa bonne exécution, en toute connaissance de ses responsabilités.

Nous avons, en fait, trois métiers. En premier lieu, nous accueillons des événements, que nous n’organisons pas. Nous sommes ‘passifs’ sur les thèmes choisis, et notre rôle est de mettre de l’espace à disposition. Ensuite, il y a notre métier de base, qui est d’organiser et de coordonner nos propres événements. Enfin, il y a le métier de prestation de service pour les deux autres activités, comme la location de matériel.

Pendant des années, nous étions essentiellement structurés pour nos propres événements, les événements ‘partenaires’ ne se faisaient que sur des opportunités. Aujourd’hui, nous sommes plus actifs dans ce domaine. En ne nous concentrant que sur nos événements, nous passions à côté d’un grand pan d’activité. En séparant clairement la partie prestataire de service, nous avons compris que nous pouvions générer de la valeur – pour nous, nos clients et nos visiteurs, de manière plus efficace.

Comment gérez-vous les équipes ?

« Il est nécessaire de respecter les gens et d’être respecté. Si l’on atteint ce double objectif, on pourra alors laisser ses équipes procéder ‘aveuglément’, autrement dit en ayant confiance, car ils auront conscience que le pilotage est assumé. Dans le même temps, le leadership doit être une notion positive, qui est assise sur la bonne pratique de la délégation.
On ne doit pas utiliser la ‘colonne’ hiérarchique pour installer son pouvoir, il ne faut pas s’imposer, mais rediriger intelligemment les gens vers les bons interlocuteurs… sans crier haut et fort que la redirection vient de soi… J’ai récemment entendu une émission de radio, où l’on expliquait comment faisaient les mères chimpanzés pour aider les jeunes qui étaient montés trop haut dans un arbre, et n’arrivaient plus à en redescendre. Elles montent sur un arbre voisin et se tendent entre les branches, et deviennent un ‘pont’ que l’on peut emprunter. J’ai trouvé l’image très belle… et très adaptée pour expliquer ce que devrait être le management : faire passer les gens d’une situation précaire à une plus stable, sans se faire voir inutilement, sans exiger un merci, qui n’a pas lieu d’être.
 

Quelles sont les spécificités du fonctionnement de votre entreprise ?

« Nous travaillons dans l’événementiel. Cela veut obligatoirement dire que nous sommes sous la pression d’un calendrier, dans lequel nous ne pouvons pas faire glisser les choses. La rigidité du temps et notre capacité d’accueil sont nos impondérables. Nous avons en fait, en tant que Luxexpo,
cinq ‘couronnes’, à partir desquelles nous devons penser notre action.

Il y a d’abord l’accessibilité. Nos interlocuteurs peuvent-ils rejoindre nos installations ? Les véhicules privés, les bus, les taxis peuvent-ils atteindre correctement le Kirchberg ? Comment pouvons-nous améliorer notre parking,
et la desserte par les transports en commun ? À long terme, comment nous adapter au tramway ? Il y a des décisions d’infrastructure qui nous dépassent, mais que nous devons utiliser, avec lesquelles nous devons créer des synergies.
La deuxième couronne, c’est notre capacité d’accueil. Les portes, le gardiennage, les langues à maîtriser, la gestion des flux dans le site.
La troisième couronne, c’est la qualité d’accueil. Une fois la porte franchie, il faut que les gens se sentent bien – qu’ils soient notre équipe, nos exposants, ou nos visiteurs.
La quatrième couronne : le confort. Les gens doivent trouver une bonne signalétique, un bon catering, de la protection contre le vol.
Et à nouveau, cela concerne tout le monde. Enfin, la cinquième couronne, c’est l’architecture globale du lieu. Sa taille, son esthétique. Nous devons faire avec ce que nous avons, gérer les impondérables, et travailler à améliorer, malgré tout, les choses.

Les interrogations sur un nouvel emplacement pour Luxexpo vous ont-elles posé problème ?

« Tout au long de la réflexion sur le projet, nous avons bien entendu mis en attente certains investissements, qui auraient été inutiles si nous avions déménagé. Maintenant que la décision a été prise, nous avons ‘enregistré’ l’information, et nous travaillons sur un projet pour 2022… Nous sommes assurés de rester au Kirchberg, donc nous allons pouvoir travailler sans états d’âme, pour utiliser au mieux nos infrastructures, en les améliorant. La réflexion se porte donc sur ce qui est transformable, et amortissable, sur cette période. C’est un nouveau projet, avec un nouveau calibre. En interne, nous avons toujours été clairs : le déménagement n’était pas un projet, c’était un avant-projet. Il fallait éviter les déceptions. Vis-à-vis de nos équipes opérationnelles, nous avons été clairs, en ne ‘vendant’ jamais le projet. Nous informions, nous annoncions les différentes étapes, mais jamais en détail. Il fallait surtout éviter les frustrations - surtout pour un chantier de cinq ans… On aurait eu le temps de le survendre. Au contraire, on a temporisé.
Cela a permis d’avoir une certaine lucidité en interne, et l’annonce finale a donc été ressentie comme étant dans l’ordre des choses : ce n’était pas un retour en arrière, c’était une étape normale, avec une décision prise que nous devons appliquer.

Les grands événements que vous organisez ont-ils évolué avec le temps ?

« Ces événements sont grand public et gros volumes, à vocation généraliste. La tendance que nous constatons, c’est la montée en puissance d’aspects thématiques. Plutôt que d’y trouver ‘tout’, de manière mélangée, on les pavillonne en différents secteurs. Cela correspond à l’évolution de la demande…
Il y a de moins en moins de badauds, qui viennent à une Foire de printemps ou d’automne, pour faire leur sortie dominicale. En revanche, il y a des visiteurs qui viennent avec un objectif précis, et profitent de la taille de l’événement pour faire le tour des exposants qui les intéressent. Je veux rénover ma maison ? Je viens à la Foire d’automne.

Je veux acheter du vin ? Je viens au printemps. Cela permet d’optimiser le temps, et d’aller droit au but. C’est une tendance claire, que j’ai constatée depuis 20 ans que je suis dans le métier : il y a, au moins au Luxembourg, toujours de la place pour des événements généralistes, s’ils sont sous-tendus par des thématiques précises.

Quels sont vos défis opérationnels ?

« Ils sont de trois ordres. Tout d’abord, pour chaque nouvel événement, il faut optimiser la gestion du calendrier et de l’espace. Il y a des moments où nous ne pouvons pas accueillir plus de manifestations, faute de place. Ensuite, il faut également optimiser notre main d’œuvre. Il faut éviter les effets chronophages et énergivores, pour nous et nos clients. Il y a du montage, des démarches administratives… Ensuite, il y a notre capacité d’achat, de négociation et de contractualisation. Offrir une prestation de service ne veut pas dire que nous devons tout faire nous même, mais que nous pouvons être des intermédiaires entre les demandeurs et les offreurs. Avant, nous ne pensions qu’à ce que nous pouvions faire. Aujourd’hui, nous réfléchissons à ce que nous pouvons faire avec d’autres.
Lorsque l’on atteint certaines limites physiques, il est nécessaire d’optimiser. Nous ne voulons pas mettre en échec un événement tiers faute d’une mauvaise organisation : nous voulons une récurrence dans la relation. Cela veut dire que nous aidons les organisateurs à bien positionner leur marque. S’il y a une idée et qu’elle est intéressante, nous pouvons travailler comme si nous étions une pépinière, et accompagner la première édition d’une manière plus intense que pour des événements plus matures. Nous pouvons aussi travailler pour coordonner les dates entre des événements complémentaires, pour favoriser le ‘networking’, l’échange de visiteurs, en nous penchant sur le regroupement d’événements à la thématique voisine, qui ne se cannibalisent pas. C’est une sorte de travail sur des préconisations stratégiques. Et c’est un travail sur le long terme… On peut ainsi proposer à certains, d’ici trois ans, de faire glisser leur événement de l’automne au printemps, pour accueillir plus de monde.

 

Comment détectez-vous vos points d’amélioration ?

« En fait, ce sont les micro problèmes qui sont les meilleurs indicateurs. Il faut tenter de les garder à l’œil, et de comprendre ce qu’ils signifient. Il faut avoir la tête dans les étoiles et les pieds sur terre. En étant sensible aux différents signes, on peut évaluer les risques que l’on rencontre, comprendre les futurs défis, et les améliorations que l’on peut apporter : à force d’avoir la tête dans le guidon, on rate des choses qui, une fois découvertes, semblent évidentes… a posteriori.

Par exemple, nous avions décidé de créer un guide d’accès. La première version avait été préparée pour la Foire d’automne 2012. Nous pensions que les règles et les horaires d’accès étaient évidents pour tout le monde. Et un jour, j’ai eu la question, toute simple, d’un exposant : ‘ Mais où est-ce que je peux trouver les règles d’accès ? ’ Et là, je me suis rendu compte que rien d’évident n‘avait été correctement préparé. Il était impossible pour tous les intervenants de les comprendre, donc il y avait des problèmes. Ils étaient devenus invisibles, parce que tout le monde avait l’habitude de les gérer… Nous avons alors tout mis à plat, dans l’optique de centraliser et d’éclaircir l’information. Au début, je me suis dit : ce n’est pas compliqué, je vais faire une rapide présentation, sur cinq ou six pages… et très vite, il y a eu 60 pages ! Si l’on croise les profils des visiteurs, et le contexte de leur visite, il y a des centaines de règles qui se superposent, et qui devaient être interprétées par nos permanents, nos visiteurs, les intérimaires, les monteurs, les exposants… Nous avons lancé le projet, et ça a été du travail intensif pendant quatre mois. Nous avons réécrit tous nos documents, en caractérisant les différents profils. Cela permettra une évolution qualitative importante de notre accueil. Nous étions jusque-là dans l’artisanal. Aujourd’hui, nous avons développé une maîtrise et une expertise forte, mais ce n’est pas fini. On améliorera la chose pour la Foire de printemps 2013… À terme, on peut estimer que cette expertise puisse devenir une prestation de service pour les organisateurs d’événements tiers. Si cela fonctionne, non seulement on aura amélioré notre fonctionnement, mais nous aurons également créé des opportunités d’affaires. Certaines questions sont tentaculaires : on croit n’avoir qu’un petit problème à régler, et c’est tout un processus qu’il faut repenser.
Chaque ‘microproblème’ pourrait devenir d’ici 10 ans un produit… S’il permet d’améliorer la qualité, et que l’on peut modéliser la réponse, on peut le valoriser… et donc devenir une source de développement externe…  »

 

Parcours - Création de poste

Âgé de 44 ans, Morgan Gromy a suivi ses études à l’Institut commercial de Nancy. « Mon premier poste m’a fait comprendre, grâce aux dirigeants de l’entreprise, que l’on pouvait travailler de manière humaine, tout en étant très performant sur le plan économique. La réussite de l’entreprise ne passe pas forcément par l’extravagance. » Il anime ensuite un « club service, expérience » qui lui permet de découvrir que « la créativité est ce qui permet d’atteindre ses objectifs, si elle est soutenue par beaucoup de méthode. » Il rejoint ensuite le Parc des expositions de Mulhouse, puis Luxexpo, en 2003. « Les choses se sont faites très vite, en un échange de mail, et une discussion sur ce qui devrait être réalisé. À l’époque, le poste de COO n’existait pas. »