Mobilité – Gilles Dostert, directeur général du Verkéiersverbond, estime qu’un des défis à relever pour améliorer la mobilité est de mieux informer les utilisateurs. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Mobilité – Gilles Dostert, directeur général du Verkéiersverbond, estime qu’un des défis à relever pour améliorer la mobilité est de mieux informer les utilisateurs. (Photo: Patricia Pitsch / Maison Moderne)

Quelle est la mission du Verkéiersverbond?

Gilles Dostert. – «Nous sommes un établissement public, créé en 2004, dont l’objectif est de sensibiliser les citoyens à une mobilité plus durable, de les inviter à privilégier l’usage des transports en commun, ou encore des moyens de locomotion actifs, comme le vélo. Cela passe par des campagnes de sensibilisation, mais aussi par la mise en œuvre de services très concrets, comme le site – mobiliteit.lu, – des centrales de mobilité dans les grands centres, des services aux entreprises, ou encore la mKaart, qui intègre les différents produits et billets de transport en commun et permet de voyager plus facilement.

Comment convaincre l’utilisateur d’adopter d’autres modes de transport? 

«Un des défis, pour permettre l’émergence d’une mobilité multimodale, réside dans une meilleure information des utilisateurs. C’est dans ce contexte que le site mobiliteit.lu a été lancé en 2006. La volonté est d’apporter à travers une seule plate-forme l’ensemble des réponses relatives à l’offre des différents opérateurs de transport.

Aujourd’hui, notre plate-forme apporte en temps réel une information fiable sur différents supports: le site, les systèmes d’affichage digitaux aux arrêts ou des applications mobiles. Cette information nous permet aussi de mieux interagir avec les chauffeurs de bus sur la route, en cas de problème par exemple, et de mieux communiquer avec les utilisateurs en direct.

Comment a évolué la mobilité des frontaliers ces dernières années?

«J’ai commencé à travailler pour le Verkéiersverbond en 2005. La situation n’était en rien comparable à ce qu’elle est aujourd’hui. Évidemment, les frontaliers étaient déjà confrontés à des difficultés pour rejoindre Luxembourg à l’époque, mais sans doute pas les mêmes qu’actuellement. L’offre de transports en commun n’était pas non plus aussi développée.

En 2005, les CFL n’avaient pas encore leurs trains à deux niveaux. La capacité de l’offre ferroviaire était moindre. Ce n’est qu’en 2006 que des lignes de bus ont commencé à traverser la frontière. L’offre permettant aux frontaliers de mieux se déplacer s’est considérablement développée en quelques années, et ce entre le Luxembourg et les trois régions limitrophes. La ligne 300, par exemple, qui relie Thionville à la capitale grand-ducale, tourne à une fréquence d’un bus toutes les cinq minutes aux heures de pointe. Cette seule ligne permet à 5.000 personnes d’aller travailler quotidiennement.

Une des grandes problématiques auxquelles nous sommes confrontés est l’amélioration du modal split.

Gilles Dostert, directeur général du Verkéiersverbond

Et pourtant, si l’on demande leur avis aux frontaliers, qu’ils utilisent la voiture ou les transports en commun, on a l’impression que la situation a plutôt tendance à se dégrader? Les bouchons semblent s’allonger, les transports en commun semblent saturés…

«Une des grandes problématiques auxquelles nous sommes confrontés est l’amélioration du modal split. Aujourd’hui, beaucoup de personnes continuent à privilégier la voiture individuelle, et ce malgré l’amélioration de l’offre en transports en commun. Ce qui est gênant, c’est que, dans ces véhicules qui s’amoncellent sur les routes, il n’y a le plus souvent qu’un seul passager à bord.

L’enjeu n’est pas de proscrire la voiture à tout prix. Elle répond à des besoins bien légitimes. Non, il s’agit plutôt de développer des complémentarités, que chaque personne puisse recourir le plus facilement possible au meilleur mode de transport pour relier son domicile à son lieu de travail. Les avantages des transports en commun doivent apparaître comme évidents pour une personne qui travaille au cœur de la capitale et qui n’a pas à réaliser d’importants déplacements en journée.

Comment faire évoluer le modal split en faveur des transports en commun?  

«Il faut investir à plusieurs niveaux. Une vision a été arrêtée avec la deuxième mouture de la stratégie de mobilité durable (Modu 2.0). Des investissements sont en cours. Des projets ont été lancés, comme la plate-forme Copilote.lu, lancée par le ministère du Développement durable et des Infrastructures, qui vise à encourager et faciliter le covoiturage. Le gouvernement continue à investir dans les infrastructures – le tram, l’élargissement du réseau ferroviaire et des P+R –, mais aussi dans les routes. 

Si, à l’échelle nationale, les services de transport en commun semblent bien huilés, les difficultés ne naissent-elles pas dès qu’il s’agit d’interagir avec les opérateurs au-delà des frontières?

«Nous avons la chance, à l’échelle nationale, d’avoir des décideurs au sein de notre conseil d’administration. On peut facilement leur faire remonter des problématiques, quand on constate en travaillant avec les entreprises qu’un zoning est mal desservi, par exemple. Il est possible d’adapter l’offre avec beaucoup de réactivité.

Au niveau transfrontalier, je pense qu’il y a désormais une vraie collaboration entre les opérateurs. Cela fait des années que les CFL circulent directement sur le réseau français. Il y a eu quelques problèmes ces derniers mois, au niveau de la Belgique, en termes de compatibilité du matériel. Mais ce sont des problèmes qui devraient être réglés. Dans l’ensemble, la collaboration fonctionne.


Nouvelles habitudes – En 2017, le Verkéiersverbond a publié «La boîte à outils: vers de nouvelles habitudes de déplacement», un guide destiné aux entreprises afin de mettre en place une politique de management de la mobilité. (Photo: Patricia Pitsch)

On peut alors se demander si l’offre en transports en commun à l’échelle transfrontalière est suffisante?

«Je pense qu’elle pourrait être développée davantage, que l’on pourrait augmenter les fréquences sur certaines lignes. Considérant l’augmentation du nombre de travailleurs frontaliers, leur rentabilité n’en souffrirait pas. 

Ce ne serait donc pas le manque d’offre qui freine l’adoption des transports en commun. Sur quoi faut-il dès lors travailler pour un meilleur recours à une mobilité partagée?

«Modifier les comportements prend du temps. Alors qu’il est souvent plus agréable de s’asseoir dans un train ou dans un bus pour lire, travailler ou regarder un film, beaucoup restent attachés à la voiture, malgré un risque d’accident plus important, un stress plus grand. Quand on travaille au niveau de la capitale, avec l’augmentation, ces dernières années, des prix des parkings et une limitation des places de stationnement, les avantages offerts par la voiture ne résistent pas aux arguments en faveur des transports en commun.

Cependant, quand ils sont confrontés à cette réalité, les automobilistes développent leur propre argumentaire avant d’envisager de changer leurs habitudes. Il faut donc travailler sur un ensemble de leviers, de manière bien coordonnée, pour que les citoyens puissent réellement profiter d’une expérience positive, intermodale, quel que soit leur déplacement.

Quels sont ces leviers?

«Je crois beaucoup aux opportunités offertes par le digital aujourd’hui, qui permettent de disposer de la meilleure information et d’envisager beaucoup plus facilement des itinéraires multimodaux. Au niveau des salariés, qu’ils soient frontaliers ou résidents, nous travaillons directement avec les entreprises, pour les aider à mettre en œuvre des politiques de mobilité plus efficientes, plus durables.

Dans des logiques d’aménagement du territoire, je pense que l’émergence de structures de coworking proches des frontières doit permettre de soulager les accès à la capitale aux heures de pointe. Des centres régionaux, comme Steinfort, Junglinster, Grevenmacher ou encore Differdange, pourraient se développer dans cette optique.

On peut aussi évoquer le home working, avec l’exigence de mettre en place une gestion des équipes adaptée à ce mode de travail. Le digital facilite ces développements aujourd’hui. Je pense aussi qu’il y a la possibilité de densifier plus encore l’habitat au niveau de la capitale, pour permettre aux salariés de se rapprocher de leur lieu de travail.

La réduction du ratio de parkings pour les immeubles de bureaux, ou encore l’augmentation des prix du stationnement sont d’autres moyens d’inciter les salariés à envisager des alternatives à la voiture. C’est souvent quand on touche au portefeuille que les comportements changent. On l’a vu il y a quelques années, quand les prix du carburant avaient atteint des sommets. Beaucoup de salariés ont alors réenvisagé leur manière de se déplacer.

L’idée, en réorganisant l’offre de transport autour du tramway, est de permettre aux automobilistes de laisser leur véhicule à un pôle d’échange.

Gilles Dostert, directeur général du Verkéiersverbond

Si on parle d’infrastructures, il faut évoquer le développement du tramway. Dans quelle mesure ce nouveau mode de transport peut-il améliorer la mobilité des frontaliers?

«C’est un chantier important, en effet. La mise en œuvre de la ligne, avec de nouvelles gares et divers pôles d’échange, va permettre une reconfiguration de l’offre en mobilité à l’échelle de la ville. Le tramway est en service depuis plusieurs mois sur l’ensemble du plateau du Kirchberg. Accessible directement en train avec l’ouverture de la gare au pied du Pont Rouge, il séduit un nombre croissant d’utilisateurs.

Son développement permet en outre de délester les routes de nombreux bus et de réduire les émissions de CO2 à travers la ville. L’idée, en réorganisant l’offre de transport autour du tramway, est de permettre aux automobilistes de laisser leur véhicule à un pôle d’échange aux portes de la ville. La logique s’applique à plus vaste échelle.

La volonté du gouvernement, en renforçant le réseau de gares à travers le pays en y associant des P+R, comme c’est le cas à Esch-Belval, est d’inviter les automobilistes à laisser leur voiture le plus près possible de leur domicile afin de privilégier les transports en commun pour se rendre au travail. Le ministère a pensé sa stratégie en cercles concentriques, avec des investissements au niveau des frontières, puis une chaîne de P+R et de gares à mi-distance entre les frontières et la capitale, puis encore des pôles d’échange aux entrées de Luxembourg.

Notre rôle, dans ce contexte, est d’inviter les gens à laisser leur voiture pour privilégier les transports en commun avec divers incitants, comme le parking gratuit pour ceux qui les utilisent.

Pour garantir une plus grande intermodalité, comment va évoluer la plate-forme mobiliteit.lu?

«Nous sommes occupés à améliorer l’information en ajoutant de nouvelles données. Jusqu’à présent, le site intégrait dans la planification les trajets à pied, d’un endroit jusqu’à l’arrêt de bus ou de train le plus proche, ainsi que les déplacements en transports en commun, bus et trains, en tenant compte de leur position sur le réseau.

Précisons que la plate-forme intègre l’offre de mobilité transfrontalière. Notre volonté est désormais d’y intégrer d’autres modes de déplacement et services associés à la mobilité: la voiture individuelle, les pôles d’échange, les P+R, les parkings, le carsharing et le covoiturage, la bicyclette, les services de vélos partagés, les bornes de recharge électrique du réseau Chargy... Au moment de planifier son itinéraire, le client peut modifier ses paramètres à sa guise.

Quand il fait beau, il peut choisir d’intégrer la bicyclette à ses préférences. Le système, au final, lui propose les meilleures options pour se déplacer, quelle que soit sa destination. Des indicateurs, comme l’évaluation de l’empreinte environnementale liée à ses déplacements ou le coût de ceux-ci, devraient l’inciter à opter pour une mobilité plus durable.»