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Trêve (déclarée) dans la guerre des prix. Pour gagner des parts de marché, les opérateurs s'affrontent désormais sur le terrain de la qualité de l'offre et des services aux entreprises.

Cessez-le-feu dans le petit monde de la téléphonie mobile? Certainement pas! Les passes d'armes sont loin de disparaître du terrain - très étroit - sur lequel s"affrontent les trois opérateurs, l'Entreprise des Postes et Télécommunications (EPT, l'historique), Tango (l'alternatif) et Voxmobile (le dernier venu). Mais elles se font un tantinet plus discrètes... pour ne pas dire plus raisonnables. En principe.

à commencer par le conflit portant sur le nombre de clients dont s"enorgueillissent les acteurs du marché. Chacun, désormais, s"engage à communiquer des chiffres correspondants à une définition plus "lissée" des clients actifs. De quoi rompre avec certaines pratiques troublant les comparaisons, comme celle consistant à comptabiliser l'ensemble des cartes SIM mises en circulation par un opérateur. L'EPT comptabilise ainsi plus de 400.000 "cartes clients", tandis que LuxGSM - le provider de l'opérateur historique, né de la fusion entre CMD et Mobilux - revendique pour sa part 250.000 clients, générateurs de trafic et payant régulièrement leurs consommations.

"Aujourd'hui, beaucoup de clients ont plus d'une carte (portable, PDA, voiture, etc.) et certaines ne sont pas régulièrement utilisées. C"est ce qui crée la différence entre ces chiffres. Comme les définitions du terme "carte active" divergent aussi, il est difficile de comparer les chiffres afférents entre les réseaux", indique Marc Rosenfeld, directeur général et président du comité de direction de LuxGSM. "Le souci est que chaque opérateur peut trouver la définition du "client" qui le met en valeur. Je suis un peu fatigué de ce genre de comparaisons. Finalement, c'est surtout une question de parts de marché", affirme-t-il.

Mais pour ces parts de marché, justement, qu'en est-il' Difficile, là aussi, d'y voir clair. Si les concurrents de l'EPT, Voxmobile et Tango, s"accordent à dire qu'elle détient environ 50% du marché (Marc Rosenfeld évoque "environ 52%"), ils ne livrent pas les mêmes chiffres concernant leur propre situation. Ainsi, les responsables de Tango, qui revendiquent 230.000 clients actifs (sur une période de six mois), n'hésitent pas à se placer sur l'autre moitié du marché. "Nous ne considérons pas le dernier arrivé - Voxmobile - comme un concurrent sur aucun segment directement lucratif pour nous", assure Frank Schmit, corporate sales and marketing manager de Tango/Tele2.

Tous les clients ne sont pas égaux

L'administrateur-directeur de Voxmobile, Jean-Claude Bintz, n'a visiblement pas fait les mêmes calculs! Revendiquant 86.000 clients, "selon les nouvelles règles de comptage des clients actifs, sur 12 mois", il affirme détenir 17% de parts de marché. Et cette croissance est loin de s"arrêter, à l'en croire: le bilan des portages confirmerait bien que "Voxmobile est le petit opérateur qui monte".

à ce jour, près de 20.000 personnes ont profité de la portabilité. Au petit jeu du "Qui a perdu? Qui a gagné?", M. Bintz répond volontiers, chiffres à la clé. Selon lui, Voxmobile aurait ainsi gagné quelque 4.000 nouveaux clients, tandis que LuxGSM en aurait perdu près de 3.400 et Tango 600. Des chiffres que ne confirment pas les principaux intéressés, Alex Zivoder, le CEO de Tango/Tele2, se contentant d'évoquer "un solde plus ou moins nul' et réfutant l'idée que sa société soit l'une des perdantes de la portabilité. "Une chose m'ennuie dans cette histoire: on fait l'hypothèse erronée qu'une ligne ou un client est équivalent à un autre client. C"est complètement faux. Au niveau portabilité, on a gagné ce qu'on a perdu. En terme de revenus générés, le bilan est positif. Mais cela est évidemment impossible à mesurer de façon neutre et objective, explique-t-il. Et de constater également que "la portabilité offre un surplus de liberté au consommateur, mais elle a aussi un effet pervers: comme il est plus facile de faire venir un client chez soi, la tendance apparaît de l'appâter avec une offre attractive, puis de le lier par un contrat d'un, voire deux ans".

Quant à Marc Rosenfeld (LuxGSM), il parle d'un solde "légèrement négatif - environ 2.000 clients "portés" perdus -, qui s"explique par le fait que nous avions de loin la part de marché la plus importante et qu'au même moment, il y a eu un nouveau venu sur le marché. Je n'imputerai donc pas cette tendance à la portabilité - qui n'est pas un mécanisme décisionnel pour le client -, mais plutôt au marché lui-même".

D"une façon plus générale, Marc Rosenfeld n'hésite pas à qualifier le bilan de la portabilité de "médiocre". "C"est un mécanisme extrêmement coûteux. Tous opérateurs confondus, avec le coût du matériel, des logiciels, de la main-d'oeuvre, on parle de 2 à 3 millions d'euros. Vous prenez ce chiffre, vous le divisez par 20.000, cela fait cher le portage!", s"exclame-t-il. Même discours chez Jean-Claude Bintz (Voxmobile), qui assure que "financièrement, c'est une opération qui n'est absolument pas intéressante. De plus, en septembre, on recommence à zéro, avec le remplacement, dans tous les numéros, du préfixe 0 par un 6. Et rebelote... Il va encore falloir revoir tout le système de facturation...".

Appels d'offres

Seul Alex Zivoder (Tango/Télé2) n'est "pas d'accord avec le fait de dire que ce soit beaucoup d'argent dépensé pour rien. La portabilité donne de la liberté au client. Simplement, quand on parle de bilan, il ne faut pas se tromper dans la lecture des chiffres...", rappelle-t-il. De plus, l'épisode "portabilité" laisse derrière lui un intéressant héritage: le GIE Telcom, qu'il préside. "C"est un forum formel de discussion, un endroit où les opérateurs se rencontrent pour discuter du marché. Il servira de structure pour gérer la transition vers la nouvelle numérotation. C"est un bon outil qui sera utilisé pour gérer d'autres problèmes", annonce-t-il.

à en croire les acteurs du marché, la portabilité ne serait donc pas un mécanisme décisionnel pour le client. "Elle offre une flexibilité de plus, mais les facteurs essentiels d'attraction restent la qualité du service et le prix", assure Marc Rosenfeld.

Encore que ce dernier facteur ait tendance à s"estomper. D"ailleurs, dans leur communication, les opérateurs ne s"affrontent plus directement à coups d'arguments tarifaires. "Nous avons communiqué sur les chiffres, car nous voulions proposer les meilleurs prix. Et nous y sommes arrivés. C"est prouvé pour la deuxième année de suite, puisque Tango a été reconnu comme l'opérateur le moins cher de l'Europe des 15 par la Commission européenne. Pourquoi communiquer dessus, puisque le client le sait? Nous ne pouvons pas être meilleurs que les meilleurs, triomphe Frank Schmit. Nous avons donc arrêté cette communication pour gagner en transparence".

Et de la transparence, justement, le marché en a encore bien besoin, selon lui. "Le marché serait plus lisible au Luxembourg s"il n'y avait pas un souci: nous sommes opérateurs de téléphonie mobile, pas vendeurs de téléphones. Or, on compare toujours les deux... Nous allons donc concentrer nos efforts pour rendre les prix de la communication mobile plus transparents et ne pas les cacher avec trop de produits d'appel', explique le Corporate Sales and Marketing Manager de Tango/Tele2. "Il y a toujours les prix affichés et les prix payés, constate pour sa part Marc Rosenfeld (LuxGSM). Il faut vraiment faire l'analyse détaillée de tout ce qui est payé pour pouvoir comparer".

Pour gagner des parts de marché - surtout au niveau du segment "corporate", actuellement très disputé -, les opérateurs et providers pratiquent donc de plus en plus souvent des simulations de factures pour convaincre de leur avantage

compétitif. "Beaucoup de sociétés font des appels d'offres, car elles ne veulent plus uniquement regarder les prix - personne ne s"y retrouve -, ou les publicités, ou encore ce qu'ont choisi les copains... Des simulations sont faites... et c'est pour cela que nous gagnons!, assure Jean-Claude Bintz. Sur tous les appels d'offres lancés l'an dernier, Vox n'en a perdu qu'un seul... car nos propositions reposent sur des critères professionnels et objectifs ainsi que sur la qualité du service".

Des arguments développés en coeur par les deux autres acteurs du marché, qui se positionnement toutefois légèrement différemment sur ce créneau. Pour LuxGSM, il s"agit de conforter une place de leader. "L'aspect qui me paraît le plus important pour nos clients professionnels - qui représentent 15 à 20% de la clientèle totale - est la qualité des solutions proposées, le service

après-vente, la présence et la disponibilité auprès des utilisateurs, la qualité de la facturation... Il y a peu de clients pour lesquels le prix est le seul critère. Un professionnel ne peut se permettre d'avoir des temps morts parce que quelque chose ne fonctionne pas, et devoir attendre le prochain jour ouvrable - voire la prochaine semaine! - pour se faire dépanner. La qualité des services correspond plutôt à notre créneau, ce qui ne veut pas dire que nous n'offrons pas des tarifs concurrentiels. Mais notre image de marque ne se veut pas "le moins cher", car cela peut aussi avoir pour connotation "le moins cher, mais à tout prix"...", explique Marc Rosenfeld.

Un segment "captif" à attaquer

Pour l'opérateur Tango, le positionnement sur le créneau "corporate" est une nouveauté. "L'EPT dispose d'un gros segment entreprises "captif" que nous sommes en train d'attaquer. C"est pour nous un segment de croissance et de maturité", indique Frank Schmit. "Nous travaillons donc sur notre image, pour communiquer plus et mieux sur nos deux valeurs-clés que sont la transparence et l'honnêteté", complète Alex Zivoder.

Un virage à 180°, chez un opérateur qui a tout fait jusque-là pour modeler son image afin de cibler les jeunes? "Ce n'est pas un grand écart. Nos valeurs sont les mêmes pour les clients résidentiels que pour les clients corporate. Nous proposons la plus grande transparence et la meilleure offre possible à nos clients. C"est un dénominateur commun, une même base de valeur sur laquelle nous adaptons nos structures en fonction des besoins des clients", assure le CEO de Tango.

Signe de la quasi-saturation du marché national - annoncée par l'Institut luxembourgeois de régulation (ILR) -, les acteurs ne négligent plus aucun créneau commercial. Tandis que Tango/Télé2 s"attaque au segment "corporate", LuxGSM et Voxmobile veulent mieux s"adresser aux jeunes. Une cible mouvante, s"il en est, réputée pour son manque de loyauté et un esprit communautaire très marqué. Mais aussi pour son gros appétit en matière de nouveautés et... sa forte consommation. "Les adolescents acceptent de consacrer une grosse part de leur budget à la communication. Un jeune dépense aujourd'hui, en une semaine, deux fois plus que le budget mensuel en téléphonie d'une famille de quatre personnes, il y a encore une vingtaine d'années!", constate Marc Rosenfeld (LuxGSM).

Quant au segment porteur que peuvent représenter les frontaliers, tous les regards convergent... sans que personne ne dévoile - pour l'instant - les stratégies prévues pour attirer ces consommateurs aux besoins spécifiques. Qu'à cela ne tienne... Un nouvel arrivant vient de se placer sur la niche, Transatel (lire paperJam d'avril 2006, page 76). Cet opérateur basé en France et représenté dans différents pays via des partenariats - Tango au Luxembourg -, propose à ses clients d'en finir avec les tarifs prohibitifs du roaming: plusieurs numéros de téléphone nationaux convergent vers une seule carte SIM, permettant à l'utilisateur d'être considéré dans chaque pays comme un client local.

La niche des frontaliers

"Nous avons trois clientèles potentielles, indique Philippe Vigneau, responsable Business Development & Operational Marketing. Les transfrontaliers, les travailleurs indépendants et les entreprises. Ceux qui s"intéressent à notre offre sont proches de leurs dépenses. C"est pourquoi les PME sont souvent intéressées, car celui qui paie les factures, c'est le patron. Il est plus à même de voir les économies à réaliser avec Transatel, qui peuvent être de l'ordre de 30 à 70%".

Bien que cette offre inédite risque de bousculer un peu les habitudes, Transatel n'entre pas en concurrence frontale avec les autres opérateurs nationaux. D"ailleurs, ces derniers s"accordent à dire que le nouvel arrivant ne représente pas une réelle menace, pour l'instant. "Nous n'allons pas leur faire beaucoup de mal économiquement parlant, car nous sommes placés sur une niche et notre idée n'est pas de créer une guerre ouverte des prix sur le roaming. Il est sûr que 10.000 clients, notre cible, ce n'est pas énorme. Les opérateurs déjà en place

auraient plus à perdre à baisser unilatéralement le prix du roaming... et perdre de 20 à 40% de leur chiffre d'affaires", indique Philippe Vigneau, avant de souligner que Transatel amènera peut-être également de nouveaux clients sur le marché, alors que 55% des frontaliers ne disposent pas d'un contrat de téléphonie au Luxembourg.

"Nous nous sommes peut-être autolimités, car nous savons qu'il y a une inertie à la connaissance de l'offre et nous ne déployons pas les mêmes méthodes de communications que les grandes marques; nous mettons toutes les économies structurelles dans les tarifs. Toutefois, il peut toujours y avoir de bonnes surprises... surtout au Luxembourg", glisse malicieusement Philippe Vigneau.

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Les antennes mobiles en plan

Le plan directeur sectoriel Stations de base pour réseaux publics de communication mobiles, qui réglemente l'implantation des antennes de téléphonie dans les communes, a été publié au Mémorial le 20 février dernier et est entré immédiatement en application. Les quelque 300 dossiers d'autorisation en souffrance - dont certains depuis près de cinq ans - devraient être débloqués dans les trois mois, si tout se passe comme prévu par les autorités. C"est un soulagement pour les opérateurs, qui espèrent sortir de l'impasse, alors que le cadre législatif et juridique assez flou qui entourait jusqu'alors la délivrance des autorisations laissait beaucoup de dossiers en instance.

En revanche, ils déplorent que le règlement ne leur donne pas beaucoup de marge pour vaincre les réticences des communes face à l'implantation des antennes sur leur territoire. L'Institut luxembourgeois de régulation (ILR) gère une base de données comprenant les emplacements de toutes les stations de base (avec leurs informations techniques) et a mis en place un site internet accessible au public, avec une cartographie des antennes dans toutes les communes du pays (www.ilr.etat.lu, dans le menu "pds - stations de base"). ||

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Fusion

L'année 2006 a marqué l'avènement d'un nouvel acteur sur le marché de la téléphonie au Luxembourg, LuxGSM (détenue à 85% par l'EPT), né de la fusion entre les deux providers de l'opérateur historique, CMD et Mobilux. Selon Marc Rosenfeld, directeur général et président du comité de direction de LuxGSM, l'opération "s"est très bien passée", même si, au niveau technologique, tous les détails ne sont pas réglés. "Il reste encore à assurer la migration de beaucoup de systèmes informatiques. Nous le faisons par ordre de priorité, en veillant à ce que le service au client ne soit pas impacté. Nous préférons que cela ait un impact pour nos employés et assurer un travail supplémentaire pendant quelque temps".

Quant au bilan social, il est également positif, à en croire Marc Rosenfeld, qui souligne qu'"aucun licenciement n'a été opéré". Commentant le départ des deux directeurs des anciennes structures (Chris Maes et Yves Gordet), il souligne que "de tels événements sont inévitables. Tout le monde ne peut pas toujours être prêt à aller dans une nouvelle direction'.

Du côté de la concurrence, les avis sur cette fusion sont évidemment plus partagés. Pour Jean-Claude Bintz (Voxmobile), "ils auraient dû le faire avant. Pour l'instant, ils sont en train de se chercher. Quand ils seront prêts, il faudra faire attention. En tout cas, je les prends plus au sérieux que Tango qui pratique surtout du "coup par coup"".

Quant aux responsables de Tango/Télé2, ils sont bien plus sévères: "Cela démarre plutôt mal pour eux, j'ai l'impression qu'ils pataugent, affirme le CEO, Alex Zivoder. Je suis déçu. J"avais cru qu'un renforcement des opérateurs, avec le budget énorme qu'ils ont mis en valeur, aurait des conséquences positives sur la compétitivité de l'ensemble du secteur. Pour l'instant, leurs problèmes mettent en jeu la crédibilité du marché luxembourgeois. C"est pourquoi nous leur souhaitons de revenir. Pour que le marché soit à nouveau structuré", lâche pour sa part Frank Schmit, le corporate sales and marketing manager.