Le consultant Medjdoub Chani est l'un des principaux inculpés du scandale de l'autoroute est-ouest dont le procès s'ouvre dimanche à Alger. (Photo: Egis)

Le consultant Medjdoub Chani est l'un des principaux inculpés du scandale de l'autoroute est-ouest dont le procès s'ouvre dimanche à Alger. (Photo: Egis)

Le procès de Medjdoub Chani et celui d’une quinzaine d’autres prévenus s’ouvre ce dimanche 19 avril à Alger devant le tribunal criminel. Ce consultant international ayant la double nationalité algérienne et luxembourgeoise a été arrêté à Alger en septembre 2009 et il est depuis lors incarcéré dans la capitale algérienne. Il a été victime d’actes de torture et d’une détention arbitraire et illégale lors des premiers 20 jours suivant son interpellation par les services de renseignement algériens, qui dépendent de l’armée. Sa famille fut laissée dans l’ignorance totale de son sort pendant ces 20 jours «de placement en garde à vue».

Après 20 jours de détention, ses tortionnaires lui arrachent des aveux sur sa prétendue participation à des actes de corruption. Mais Chani reviendra sur ses déclarations devant le juge d’instruction, lequel ne tiendra jamais compte de sa rétractation. C’est quand même sur la base de ses déclarations obtenues sous la torture que le consultant sera jugé dimanche.

Aveux arrachés sous la torture

La justice algérienne le présente comme l’un des principaux suspects du scandale de corruption autour de la construction de l’autoroute est-ouest, réalisée par un consortium chinois Citic-CRCC pour lequel Chani travaillait comme consultant, en parallèle de ses activités dans la fiduciaire ADC Conseil qu’il dirigeait au Luxembourg. Citic-CRCC fait également partie des prévenus. Pour autant, aucun ministre algérien n’a été mis en cause par l’instruction.

Reporté le 25 mars dernier, son procès pourrait être remis une nouvelle fois ce dimanche à la demande de ses avocats, qui réclament un procès équitable et demandent la comparution de plusieurs témoins (ce à quoi les juges algériens pourraient s’opposer) qui pourraient donner un nouvel éclairage sur ce scandale dont Chani se dit totalement étranger.

Outre ses avocats algériens, Chani fait assurer sa défense par le très médiatique William Bourdon du barreau de Paris, ainsi que par l’avocat pénaliste Philippe Penning du barreau de Luxembourg.

Jeudi, les membres du comité de soutien au consultant luxembourgeois (Soutien à Chani asbl), fortement mobilisés à trois jours de l’ouverture du procès, ont voulu alerter les médias au Luxembourg sur le sort de l’un des ses ressortissants.

Une plainte contre X pour torture a été déposée en octobre 2012 à Luxembourg en son nom par Me Philippe Penning et une juge d’instruction a été nommée. Mais l’enquête de la magistrate luxembourgeoise se heurterait jusqu’à présent au silence des autorités algériennes puisqu’aucune commission rogatoire internationale adressée par le Grand-Duché n’a été à ce jour exécutée.

Sur le plan diplomatique, la mobilisation est restée assez timide. La présence d’un représentant de l’ambassade de Belgique à Alger (le Grand-Duché n’y ayant pas de représentation diplomatique) pour une assistance consulaire à laquelle Chani a droit comme n’importe quel ressortissant luxembourgeois, n’est pas encore assurée dimanche et les jours suivants de son procès.

Chani, un fusible

Le procès de l’autoroute est présenté comme «l’affaire de corruption du siècle» en Algérie. Son arrestation par la sécurité militaire et non les forces de l’ordre en apporte la preuve.

Ce procès revêt un caractère indéniablement politique pour les autorités algériennes. 

Me Philippe Penning, avocat de Medjdoub Chani

Chani ferait ainsi un bouc émissaire idéal pour le gouvernement de Bouteflika qui se servirait de lui pour faire la démonstration de sa détermination à lutter contre la corruption, alors que les véritables responsables du scandale, au plus haut niveau, seront les grands absents de ce procès. «Chani est un fusible qu’on va faire sauter pour permettre à d’autres personnes d’échapper à leurs responsabilités», a indiqué jeudi, lors de la conférence de presse du comité de soutien à Chani, l’avocate Amélie Lefevre du cabinet Bourdon & Forestier.

Chani a été dénoncé par un certain Mohamed Khelladi, responsable de l’agence nationale des autoroutes. Cet homme a mis en cause un ministre, Amar Ghoul, et a fait passer le consultant pour un «agent secret algérien, dangereux pour la sécurité de l’État», selon les formulations de la plainte de 2012.

Son avocat luxembourgeois a réclamé l’intervention des autorités judiciaires luxembourgeoises qui ne peuvent pas tolérer qu’un traitement – tel qu’il l’a subi pendant 20 jours pendant sa garde à vue où il fut privé de sommeil et de nourriture et passé à tabac pour que ses geôliers obtiennent des «aveux» –, soit accordé à l’un de ses ressortissants.

Dans sa plainte de 2012, Philippe Penning signalait au procureur général d’État qu’il était assisté dans cette affaire par son homologue William Bourdon, qui est par ailleurs l’avocat de l’ONG Transparency International.

Une information judiciaire fut rapidement ouverte et la juge d’instruction nommée. Ce qui constitue une première au niveau européen, a signalé Me Lefèvre.

Inconsistance du dossier

Toutefois, la justice luxembourgeoise avait sans doute des choses à se faire pardonner en raison de son zèle dans l’exécution d’une commission rogatoire internationale que l’Algérie lui avait adressée en 2011 dans le cadre de l’instruction du dossier de l’autoroute est-ouest. 

La justice luxembourgeoise avait envoyé en Algérie l’ensemble des documents exhumés lors de la perquisition dans les locaux d’ACD, au domicile de la famille Chani ainsi qu’auprès de la banque Natexis. Et les juges algériens, sans doute parce qu’ils étaient conscients de l’inconsistance de leur premier dossier, ont utilisé les informations recueillies au Grand-Duché pour monter un autre dossier de corruption contre Chani, lié cette fois, à des contrats de télécommunications.

Le consultant international a été condamné en première instance à 18 ans de prison, peine ramenée en appel à 15 ans. La condamnation a été cassée en janvier dernier en raison de la prescription des faits et de la non-rétroactivité d’une loi qui avait servi à appuyer son inculpation.

Son «vrai procès» démarre dimanche et il risque entre 10 et 20 ans de prison, alors qu’il en a 62 et qu’il est détenu depuis cinq ans et demi.  «Monsieur Chani est très combatif», a fait savoir Me Amélie Lefevre.