Ariane Claverie, avocat à la Cour et partner au sein de Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

Ariane Claverie, avocat à la Cour et partner au sein de Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg. (Photo: Castegnaro-Ius Laboris Luxembourg)

Dans une affaire récemment toisée par la Cour d’appel, un salarié s’estimait abusivement licencié, car il avait été licencié alors qu’il était protégé contre tout licenciement, du fait de son incapacité de travail, et plus précisément, du fait que:

  1. se sentant mal le 16 décembre 2013, il informa son employeur qu’il ressentait de fortes douleurs au dos, et qu’il devait se rendre chez le médecin;
  2. le 18 décembre 2013, soit dans le délai légal de 3 jours, il avait remis son certificat médical à l’employeur.

Le licenciement avec effet immédiat notifié le 19 décembre 2013 était donc, selon le salarié, abusif.

L’employeur, de son côté, contestait que son salarié l’ait informé de son problème de santé le 1er jour de son incapacité de travail, et considérait que le licenciement était justifié, dans la situation suivante:

  1. le 16 décembre 2013, l’employeur avait d’abord mis à pied le salarié par courrier recommandé, en lui reprochant de «s’être à nouveau présenté sur le chantier très fortement alcoolisé»;
  2. pour ensuite le licencier avec effet immédiat en date du 19 décembre 2013, pour le même motif, qui s’était déjà produit dans le passé.

L’employeur soutint que, par sa mise à pied prononcée le 16 décembre 2013, la procédure du licenciement avait régulièrement été engagée, car à cette date, il n’avait été ni informé de l’incapacité de travailler du salarié, ni en possession d’un certificat de maladie.

Le tribunal du travail, comme la Cour d’appel, a retenu que le licenciement était abusif.

Principe: Protection du salarié malade contre tout licenciement

La Cour d’appel rappelle que l’article L.121-6 (3) du Code du travail pose le principe général selon lequel l’employeur, dûment informé le premier jour de l’absence de son salarié, ou en possession du certificat de maladie le troisième jour de l’absence, n’est pas autorisé à prononcer le licenciement de son salarié, même avec effet immédiat.

Exception

Le principe de protection du salarié souffre une exception, qui est expressément prévue à l’article L.121-6 (4) du Code du travail, selon lequel «les dispositions protectrices du paragraphe (3) ne sont pas applicables si l’avertissement sinon la présentation du certificat d’incapacité de travail sont effectués après la réception de la lettre de résiliation du contrat ou, le cas échéant, après réception de la lettre de convocation à l’entretien préalable (…)».

Or, si, dans le cadre d’une procédure de licenciement, l’employeur doit, dans certains cas, convoquer le salarié à un entretien préalable, en cas de faute grave, «l’employeur peut prononcer avec effet immédiat et sans autre forme la mise à pied conservatoire du salarié…» (…) «le licenciement pour motif grave doit être notifié au plus tôt le jour qui suit la mise à pied et au plus tard 8 jours après cette mise à pied» [1].

Dans l’affaire commentée, l’employeur considérait que, par analogie avec la convocation à l’entretien préalable, le salarié ne devait pas pouvoir bénéficier d’une protection contre un licenciement, puisque l’employeur n’avait été informé de l’incapacité de travail qu’après la notification de la mise à pied au salarié.

Mise à pied = Pas d’incidence sur la protection contre le licenciement

Une telle exception n’est cependant pas prévue en cas de mise à pied conservatoire prévue par l’article L.124-10 (4) du Code du travail.

En conséquence, la Cour d’appel ne tente pas d’analyser qui, de l’employeur ou du salarié, a reçu notification en premier de la mise à pied, respectivement de l’incapacité de travail, car elle refuse d’emblée de faire un quelconque amalgame entre convocation à l’entretien préalable et mise à pied, pour analyser si le salarié est protégé contre un licenciement, le Code du travail lui-même n’assimilant pas les deux situations.

En conclusion sur ce point, il nous semble qu’en toute hypothèse, le fait que l’employeur ait été informé d’une incapacité de travail juste avant ou après la mise à pied n’a pas d’incidence sur la protection du salarié malade contre un licenciement, puisque la mise à pied n’est – en elle-même – ni un licenciement, ni une étape obligatoire du licenciement. Le salarié malade reste donc bien protégé contre un licenciement, même en cas de mise à pied préalable.

Incapacité de travail = Suspension du délai pour licencier, suite à la mise à pied

La Cour d’appel retient que le délai de 8 jours prévu pour licencier un salarié mis à pied est à considérer comme suspendu pendant l’incapacité de travail, survenue après la mise à pied, et dans le délai de 8 jours.

Ceci est selon nous cohérent, car il ne serait pas juste que l’employeur soit mis dans l’impossibilité de respecter ce délai, par le fait d’un événement externe, tel que l’incapacité de travail du salarié. Il est a minima nécessaire qu’en cas d’incapacité de travail du salarié, le délai de 8 jours concernant la mise à pied soit suspendu, comme l’est d’ailleurs le délai d’un mois maximum autorisé entre la connaissance par l’employeur d’une faute grave du salarié, et le licenciement avec effet immédiat qui s’en suivrait, le cas échéant.

Peu importe que l’employeur ait été informé, ou pas, le premier jour d’absence?

Selon la Cour d’appel: «Le raisonnement par analogie mené par l’employeur entre l’hypothèse de la maladie intervenue après la convocation à l’entretien préalable et celle intervenue après la mise à pied n’a partant pas lieu d’être.

En l’espèce, l’employeur qui a mis à pied le salarié en date du 16 mai 2013 et qui reconnaît avoir été en possession du certificat médical de ce dernier le 18 mai 2013, soit dans le délai légal de trois jours, n’était partant pas autorisé à le licencier, même pour motif grave, le 19 mai 2013.

Il importe dès lors peu de savoir, dans ces circonstances, si le salarié a ou non informé son employeur le premier jour de son incapacité de travailler, soit le 16 mai 2013.»

La raison pour laquelle le salarié aurait été en droit, dans cette affaire, de ne pas informer son employeur dès le premier jour de son incapacité de travail n’est pas expressément détaillée par la Cour d’appel.

Pour rappel, dans l’affaire commentée, le salarié prétendait avoir informé son employeur de son incapacité de travail le premier jour de son absence, mais ce point était contesté par l’employeur. En revanche, les parties s’accordaient sur le fait que le certificat médical avait bien été reçu par l’employeur dans le délai légal de trois jours.

Selon une jurisprudence désormais bien établie, «la double obligation que le salarié doit remplir aux termes des paragraphes (1) et (2) de l’article L. 121-6 pour pouvoir bénéficier de la protection contre le licenciement édictée par le paragraphe (3) s’entend en ce sens qu’à défaut de présentation du certificat médical d’incapacité de travail le troisième jour d’absence au plus tard, la protection lui conférée par l’avertissement de l’employeur le premier jour devient caduque, l’employeur étant de nouveau autorisé à le licencier, et qu’inversement il peut présenter directement un certificat médical, sans avertissement préalable de l’employeur, avec comme conséquence qu’il ne bénéficie alors de la protection légale qu’à partir de la réception dudit certificat par l’employeur, ce qui explique les termes du paragraphe (3) de l’article L. 121-6 suivant lequel l’employeur dûment averti ou en possession du certificat médical n’est pas autorisé à notifier au salarié la résiliation de son contrat de travail.»

À notre connaissance, les nombreuses affaires où ce principe a été rappelé n’avaient pas, jusqu’à présent, traité du cas où un salarié n’avait pas informé l’employeur le premier jour d’absence, mais était parvenu à prouver que l’employeur avait bien reçu le certificat médical dans les trois jours. La Cour d’appel vient expressément de juger (bien que de manière plutôt lapidaire), pour la première fois à notre connaissance, dans l’affaire commentée, que lorsque le salarié n’informe pas son employeur le premier jour de son absence (ou ne parvient pas à prouver qu’il l’a fait), il est tout de même protégé contre un licenciement, à partir du moment où il remet son certificat médical à l’employeur, si cette remise est bien effectuée dans le délai de trois jours.

En résumé, si cette jurisprudence devait se confirmer, nous retiendrions donc que les conditions de déclenchement de la protection du salarié malade contre un licenciement seraient les suivantes:

  • Le salarié en incapacité de travail bénéficie d’une protection contre le licenciement dans les cas suivants:
    • information le premier jour et remise du certificat dans les 3 jours: protection à partir du premier jour d’absence;
    • non-information le premier jour, mais remise du certificat dans les 3 jours: protection à partir de la remise du certificat médical.
  • Le salarié en incapacité de travail ne bénéficie pas de la protection contre le licenciement dans les cas suivants:
    • non-information le premier jour et non-remise du certificat médical dans les trois jours;
    • information le premier jour et non-remise du certificat dans les trois jours d’absence;
    • remise du certificat au-delà du troisième jour, ou défaut total de remise.

 Cour d’appel, 2 juin 2016, n°42366 du rôle

[1] Article L.124-10 (4) et (5) du Code du travail.