Entretien avec: Jean-Luc Mines, directeur général & Camille Groff, administrateur délégué
Quelles sont les particularités de votre agence, et comment se démarque-t-elle du reste du marché?
Jean-Luc Mines: Je voudrais préciser d'emblée que personnellement je ne m'occupe chez Mikado que du développement de notre groupe, alors que Camille Groff a entièrement pris en mains la promotion de l'agence Mikado-Publicis. J'ai toujours eu l'intention de construire une plateforme européenne de communication à Luxembourg. Nous sommes pluri-culturels, multilingues, au centre de tout, et nous avons, par dessus tout, une excellente conjoncture. Pour arriver à mes fins, le plus intelligent fut de commencer par rejoindre un groupe international solide. Avec notre adhésion au groupe Publicis, nous avons eu la chance d'y arriver sans devoir vendre quoi que ce soit.
Si j'avais personnellement continué mes activités de commercial, je n'aurais pas pu progresser, et nous serions toujours restés au simple statut d'agence. Mais nous avons préféré bénéficier des avantages du réseau et développer les niches. Pour marquer un début, j'ai commencé par créer Mikado Online en avril 2000, et moins d'un an plus tard nous avons 10 personnes qui s'activent dans ce domaine. Ainsi, Mikado Online est pratiquement sur le sol national la seule maison à vraiment offrir le package complet pour le monde entier, hosting compris, et cela grâce à l'appartenance au groupe Publicis, et moyennant un seul et même interlocuteur. En décembre de l'an passé, nous avons créé Mikado Finance, une autre S.A. Celle-ci a vu le jour sur la volonté d'un client. Pour tirer profit du secteur financier luxembourgeois, nous avons engagé Pilo Schlesser, qui était lui-même pendant 16 ans vice-président auprès de la City Bank. Les banques doivent aussi prendre particulièrement soin de leur image, et nous avons ainsi quelqu'un de très pointu dans nos services qui connaît ce domaine à fond. Nous avons ainsi une cohérence nous permettant de parler le même langage que nos clients, tous secteurs confondus. Troy Bankhead, notre spécialiste online, est lui aussi issu directement du milieu dans lequel il officie chez nous. . Nous n'avons que des pros dans chaque secteur. Cela aide à construire une crédibilité sans faille. La communication est devenue un vrai business qui fonctionne aussi sous le schéma "return on investment". Voilà pourquoi il est important de trouver des compétences dans toutes les niches. C'est ainsi que j'essaie de faire de Mikado un groupe à part entière, et de faire ainsi avancer les choses. Il reste encore des domaines inexploités à Luxembourg, et je veux m'en charger.
Pensez-vous avoir réussi à perdre définitivement cette image dans le milieu de la pub, qui vous définissait comme l'agence qui copiait la philosophie et le look de MBS?
Camille Groff: Nous n'avons jamais copié ou été une copie de qui que ce soit. Dès le début nous voulions avoir des budgets et fonctionner comme une vraie agence de pub, avec des concepts qui faisant vendre. Voilà un point qui nous différenciait de Sams: ils voulaient surtout vendre une image graphique, et nous des concepts.
J.L.M.: L'agence de Will Kreutz a toujours été plutôt une agence de design. A une certaine époque, il était devenu important que quelqu'un élève le niveau de la communication. Sams l'a fait. Comme nous voulions faire la même chose, c'est à dire améliorer l'image générale de notre métier, nous avons eu les mêmes principes. Mais sans copier.
C.G.: Nous avons eu de suite une cellule marketing pour positionner clairement les produits ou sociétés dont nous défendions les intérêts. Nous avons ensuite adopté la structure des grandes agences qui voulait qu'il y ait au moins un concepteur-rédacteur et un directeur artistique qui prenne en charge les projets. Comme Sams était à cette époque le no 1 sur le marché et que nous comptions aussi le devenir, il y a bien sûr eu comparaison.
J.L.M.: Sauf que Sams avait un style défini. Mikado, non.
Vous êtes associés au groupe Publicis. Cela vous apporte quoi concrètement? Plus de chiffres d'affaires et moins de liberté d'action p.ex.?
J.L.M.: La réflexion première était que l'apprentissage d'un groupe aussi important nous permettait de mieux servir nos clients dans leurs actions à l'étranger. Le transfert du "know how" pouvait ainsi être véhiculé dans deux directions.
C.G.: Le but était aussi d'avoir plus de poids en tant qu'agence. Il y a de plus en plus de structures internationales qui prennent pied à Luxembourg, et pour elles, Mikado-Publicis a plus de poids que Mikado seule. Il faut dire qu'à l'intérieur du groupe, le "know how" est cédé d'un pays à l'autre. Ainsi, une de nos créations- maison pour le compte de Renault a été cédée à notre partenaire autrichien. Il faut aussi rajouter qu'au sein du groupe, ce qui nous semble très important, c'est qu'on nous a permis de conserver une grande liberté. Nous sommes les premiers partenaires que Publicis ait accepté sans autre contrainte qu'un seul contrat d'associés. Pour le reste, nous sommes aussi autonomes qu'avant.
J.L.M.: Le phénomène de la globalisation nous a fait aller de l'avant. C'est cela qui nous fera un jour profiter pleinement du réseau, tout en conservant nos acquis sur le marché local.
Quelles sont, selon vous, les caractéristiques spéciales du marché national global: son évolution, ses forces et ses faiblesses?
C.G.: Notre marché est assez hétérogène. Avec ses petits (nombreux) et ses grands clients, cela nous oblige à nous investir sur le plan créatif avant tout. Pour un quart ou un dixième du prix nous sommes capables de livrer p.ex., comme nous l'avons fait, une annonce pour des GSM, que nous voyons par la suite presque entièrement réadaptée sur le marché français pour un produit identique. Notre travail technique était nettement meilleur, donc le challenge était aussi plus grand.
J.L.M.: Ce qui est aussi typique pour le marché national, c'est la mentalité particulière. Et le retard de 20 ans que nous avions sur tout, n'en fait heureusement plus que 10 et bientôt que 5. Malgré tout, il faut avouer que certains clients ont encore besoin d'une certaine éducation, surtout lorsqu'on leur propose des concepts un peu plus pointus ou lorsqu'on développe des idées vraiment hors du commun. Par exemple notre façon de vouloir vendre un parti politique comme une marque, c'était quelque chose de pratiquement inconcevable au départ. Mais cela commence lentement à venir.
Trouvez-vous qu'en moyenne la pub' nationale tienne la route avec les campagnes internationales, et cela aussi bien en originalité qu'en qualités techniques, ou allez-vous vous réfugier derrière le bon vieil argument du manque de budgets confortables?
J.L.M.: Nous avons un niveau qualitatif très élevé, donc nous n'avons pas peur.
C.G.: Nous avons des clients qui nous suivent depuis le début, et les budgets se sont depuis multipliés par six.
J.L.M.: Entre autres success storys, il y a celle d'un scooter que nous avons commencé par vendre en b to b, puis en actions grand public, et finalement, après un an nous avions cinq cent revendeurs.
Que pensez-vous de ce boom extraordinaire qui a fait que le nombre d'agences se sont multipliées à l'infini pendant les dix dernières années? Est-ce un enrichissement ou plutôt une tare?
C.G.: Il faut d'abord faire une différenciation. D'un côté, il y a les agences, de l'autre les ateliers graphiques. Nous avons décidé de devenir une agence à part entière, et de ce côté là, la concentration s'est plutôt amoindrie. Il y en a beaucoup qui sont en possession d'une licence, mais de là à se considérer comme grande agence?
J.L.M.: Les clients importants l'ont enfin compris. Lorsqu'on a besoin d'une vraie stratégie, il n'en reste pas beaucoup qui sont en mesure de vraiment assurer. La communication est considérée de plus en plus comme un outil de travail à part entière, un multiplicateur de ventes.
C.G.: Le suivi commercial doit tenir compte du "timing", le côté administratif nécessite plus de suivi, bref, tout nécessite de plus en plus de rigueur. Les petites structures n'arrivent pas à faire face. Chez nous, au moins trois personnes dans l'agence savent exactement et à n'importe quel moment où on en est avec un seul client.
J.L.M.: Le relationnel est ajusté en permanence. Publicis est en train d'obtenir une cohérence totale, en désignant un seul interlocuteur mondial pour un produit précis. Mikado prend surtout soin du branding jusque dans le plus petit détail. Si ce travail est fait avec minutie, le résultat sera bon lui aussi, peu importe la conjoncture du moment. Nous sommes de fervents défenseurs de la marque.
Au niveau des concepts des campagnes, avez-vous l'impression qu'il y a occasionnellement plagiat sur des créations internationales?
J.L.M.: J'accepte le fait qu'il y ait des hasards créant des sortes de double emploi. Cela peut arriver. Mais lorsqu'on se consacre sérieusement au travail d'un client, il s'agit de veiller à surveiller ce que fait la concurrence de celui-ci, peu importe où elle se trouve. Sinon on fabrique un visuel, et puis hop, on a copié sans le vouloir?.
C.G.: C'est pourquoi, afin de bien calculer une plus-value, il faut commencer par étudier convenablement le travail concurrentiel. Il y a aussi plagiat et plagiat. Prenons par exemple notre campagne pour le parti démocratique avec le dauphin. Si tous ceux ayant utilisé un dauphin jusque là dans leur pub ou l'ayant intégré dans leur logo, commençaient à riposter, ce serait là une mauvaise compréhension des choses.
Par rapport aux régies publicitaires et aux médias, trouvez-vous la situation au Luxembourg: exemplaire, plutôt moyenne, carrément navrante?
J.L.M.: Rien que le fait qu'il y ait des régies dans ce petit pays, est déjà une blague en soi.
C.G.: Il faut dire qu'en 1990 le "Wort" donnait une commission de 3%. Depuis il y a eu de légères progressions jusqu'à ce qu'il s'adapte aux conditions du marché international. Mais pour le reste?
J.L.M.: Lorsqu'une maison comme Optimedia, qui appartient aussi au groupe Publicis réserve dans le monde entier, offre des meilleurs prix, c'est légitime. D'autant plus qu'il s'agit à ce moment là d'une compensation bénéfique pour le client. Mais lorsque nous faisons des placements ici, aucune régie ne nous aidera concrètement à trouver de bonnes idées pour notre client. Ca les indiffère complètement. Les supports sont aussi importants qu'une bonne voiture ou un bon pilote. Mais les maisons responsables n'accomplissent pas convenablement leur rôle à ce niveau là.
Existe-t-il encore certains tabous au Luxembourg qui vous empêchent d'aller au bout de votre créativité, ou peut-on tout oser de nos jours au Grand-Duché?
J.L.M.: Il faut déjà que le client t'accompagne dans tes démarches. S'il le fait, c'est tant mieux.
C.G.: Les supports eux aussi doivent suivre.
J.L.M.: Lorsque Camille a eu sa fille, nous lui avons offert une petite campagne teasing. Le premier message disait "Je m'appelle Maxi et je vais atterrir". Après la naissance, le message était "Je m'appelle Maxi et j'ai atterri". Comme elle était en parachute, le Wort a refusé l'insertion. Car tout le monde sait qu'à Luxembourg, les bébés naissent encore dans les choux. Donc, notre annonce donnait une mauvaise image de la naissance?
On n'entend pas beaucoup parler des activités du Comité d'Ethique en matière de publicité. Pensez-vous que c'est parce qu'il n'y a pas grande utilité, ou au contraire avez-vous des exemples sur lesquels il aurait dû intervenir à votre avis, sans l'avoir fait?
J.L.M.: No comment! Si! Je dirai quand même quelque chose. Très clair et sincère: c'est bien qu'il existe un organe prêt à juger concrètement et objectivement. Il faut surveiller certaines publications concernant surtout l'image de la femme ou de l'enfant, et veiller à ce que cette image ne soit jamais exploitée à mauvais escient. Un exemple: lorsque je faisais mes études à Liège, une marque de cigarettes annonçait: Pas pour les gamins! Il est certain que ça a justement incité les gosses à fumer. Je ne permettrais jamais cela. Dans le sens de la protection des enfants, c'est donc ok.
Quel effet les nouveaux médias ont-ils sur votre travail'
J.L.M.: Je peux lire un texte qui démontrera à ceux qui doutent encore, qu'Internet est comparable à la révolution industrielle intervenue au 19e siècle. Ou à la naissance de l'électricité. Avec la différence que toutes ces choses ont pris 30 ans avant de s'imposer. Internet ne nécessitera que la moitié. Il s'agit donc d'un outil incontournable, et les agences ont intérêt à considérer cet outil révolutionnaire.
C.G.: Il y a quelques années, on pensait encore que cet outil allait faire perdre du budget aux supports traditionnels. Or, pour annoncer les sites ou promouvoire les dotcom, il faut aussi recourir aux médias traditionnels. Ceux-ci débloquent d'ailleurs plus de budgets que les poudres à laver.
J.L.M.: Nous devenons ainsi les premiers acteurs d'une nouvelle révolution, tournés vers l'avenir parce que tout est impliqué. Nous sommes donc à la pointe de la nouvelle communication. Mais cela n'est possible que parce que nous avons différentes synergies.
C.G.: Le "know how" de Mikado Advertising et son aspect marketing contribuent à la construction de Mikado Online, mais cela n'enlève rien à l'agence elle-même.
Le multilinguisme crée-t-il des problèmes concrets au niveau de la communication publicitaire, et si oui, lesquels?
J.L.M.: Les belges en ont. Nous, non! Chez eux, lorsque le team francophone trouve un slogan chouette et subtil, il faut encore le faire fonctionner dans l'autre langue, et le commercial doit nager entre deux eaux. De notre côté, nous rédigeons 99% de nos messages en langue française, et ça marche toujours. Pour le net, nous rajoutons l'anglais.
Lorsque des stratégies conceptuelles vous sont imposées par des clients ou agences de l'étranger qui s'établissent ici, sont-elles normalement adaptables suivant les normes imposées, ou vous voyez-vous contraints de convaincre le partenaire du principe "Think global, act local'"
C.G.: Certains clients nous envoient des projets de l'étranger. Parfois, c'est adaptable, parfois ça ne fonctionne pas. Comme nous avons d'abord un rôle de conseil, il arrive que nous adaptions, mais il arrive aussi qu'on attende le feu vert pour faire autre chose.
J.L.M.: Il n'y a qu'à voir la nouvelle Clio. La campagne internationale était axée sur les autoroutes. Au niveau national, nous avons imposé une autre vision. Le slogan "elle tient la route" a été conservé, mais nous avons remplacé le visuel des autoroutes par des routes nationales, ce qui nous semblait plus approprié.
Lequel de vos concurrents se rapproche-t-il le plus dans son travail de ce qui vous semble idéal' Bref, avez-vous une admiration pour une agence en particulier, ou plutôt pour les actions ponctuelles de différentes maisons?
C.G.: Une admiration pour une seule agence, certainement pas.
J.L.M.: Si je parle d'une agence en particulier, ce sera Binsfeld Communication , qui a réussi à se positionner sur le marché.
C.G. : Il est vrai qu'ils sont très professionnels, tout en faisant un travail plus classique.
J.L.M.: J'irai même jusqu'à dire que lorsqu'il s'agit d'une vraie campagne nationale, visant un public luxembourgeois, ils feront peut-être une meilleure campagne que nous. Comme ils sont "act local', leur positionnement sera mieux déclinable que le nôtre.
C.G.: Comed est une autre agence faisant à nos yeux un travail tout à fait estimable. Quant à Sams, si les nouveaux dirigeants exploitent bien le nom, ils pourront faire, eux aussi, leur match. Mais il y en a d'autres. Dété Publicité, Kneip Communication et Jean Colling (Lombard Media) ont trouvé, eux aussi, leur créneau.
Quelles sont vos perspectives personnelles, et comment voyez-vous celles du marché publicitaire au Luxembourg en général'
C.G.: Nous avons gagné en visibilité au niveau de la clientèle internationale. Nous allons bien sûr continuer sur cette voie, sans pour autant perdre de vue le développement du marché national. Il s'agit de conserver notre position locale avec un ?il sur l'étranger. Nous allons développer nos différentes sections, tout en faisant de Mikado une marque offrant des packages à l'aide d'une seule personne.
J.L.M.: Plus de dispersion. A partir de maintenant, il n'y aura plus qu'un seul interlocuteur