Camille Groff, Pol Goetzinger, Dan Eischen et Jean-Luc Mines: quatre garçons toujours dans le vent, symboles d’un marché de la communication en évolution permanente. (Photo: Jan Hanrion)

Camille Groff, Pol Goetzinger, Dan Eischen et Jean-Luc Mines: quatre garçons toujours dans le vent, symboles d’un marché de la communication en évolution permanente. (Photo: Jan Hanrion)

Dans le paysage très dense du secteur de la communication au Luxembourg (avec quelque 280 acteurs recensés, de toutes tailles et tous services), Concept Factory et Mikado font partie des références incontournables. Par leur taille, évidemment (une quarantaine d’employés chez la première et une vingtaine d’employés chez la seconde), mais aussi leur expérience et leur histoire.

Une expérience qui se retrouve dans la longévité de ces deux sociétés (hasard du calendrier, elles célèbrent, en 2015, un anniversaire symbolique: un quart de siècle pour Mikado et 20 ans pour Concept Factory) tout autant que dans celle de leurs dirigeants historiques. Car Dan Eischen et Pol Goetzinger (Concept Factory) et Jean-Luc Mines et Camille Groff (Mikado) étaient déjà là aux premières heures de leurs agences respectives.

En ce temps-là, dans les années 90, ce qu’on appelait alors généralement «la publicité» vivait des années d’or, où (presque) tout était permis: on catapultait même des voitures sur des ponts de porte-avions (la Citroën Visa pour ne pas la nommer). Jean-Luc Mines, alors stagiaire à Paris dans des grandes agences «créatives», découvre une réalité éloignée de la théorie académique. «Tout ce que j’avais appris en école n’avait rien à voir avec ce que je découvrais. Je ne savais pas ce qu’était un directeur artistique, un copywriter. J’étais au sein de vraies équipes: nous faisions des brainstormings et je trouvais ça extraordinaire. Ça m’a totalement emballé et convaincu de faire la même chose au Luxembourg, avec la motivation de pouvoir travailler pour des marques et pouvoir élaborer des grandes affiches, ces grandes campagnes. Ce ne serait plus possible aujourd’hui.»

À peine six mois après la création de Mikado, Camille Groff, qui avait connu M. Mines à l’université, embarque à bord et ne descendra plus du navire, même s’il n’avait, au démarrage, aucune idée de la façon dont fonctionnait une telle agence. «C’est le côté touche-à-tout que j’ai trouvé fascinant», concède-t-il, revendiquant au final le développement de la première «vraie» agence globale de communication, réunissant tous les métiers clés de la création. «Nous avons été les premiers à travailler avec un vrai team», explique-t-il aujourd’hui.

Cinq années plus tard, le contexte de la création de Concept Factory est un peu différent. Pol Goetzinger et Dan Eischen sont déjà actifs au sein de Pep, l’agence intégrée à la régie commerciale IP. À un moment où des conflits d’intérêts se font de plus en plus pressants, ils élaborent un plan de reprise de la société. Mais le MBO échoue et ils se retrouvent pratiquement «à la rue». «Nous sommes allés boire un verre et manger une pizza. Et sur un sous-bock, nous avons fait le business plan de ce qui allait devenir Interact et Concept Factory», se souvient Pol Goetzinger. Avec, dès le commencement, l’ambition de baser les efforts de créativité sur la recherche stratégique et le business. «Un marché de niche qui était en train de changer, rappelle Daniel Eischen. Nous avons créé le besoin.»

Des échanges plus créatifs et plus complexes

En 2015, les têtes ont, à peine, changé. L’envie et la motivation, non. Ce qui est loin d’être le cas du marché de la communication, qui a toujours dû chercher sa voie dans un contexte économique plus que fluctuant, surtout depuis le début des années 2000, reléguant au rang de doux souvenir ces années 90 à 10% de croissance annuelle. Les entreprises clients sont, elles-mêmes, davantage aguerries au métier, ce qui rend les échanges plus interactifs, mais bien plus complexes. «Avant, pour chaque 100 euros vendu, il pouvait arriver que nous cumulions 40 euros de commission d’agence et personne ne trouvait rien à y redire. Aujourd’hui, pour chaque euro gagné, il faut se battre et souvent avec deux ou trois autres agences en concurrence», résume Dan Eischen.

Jean-Luc Mines se souvient du temps où il gérait lui-même, et seul, une dizaine de grands comptes. Un ou deux rendez-vous annuels suffisaient pour entretenir la relation. «Aujourd’hui, nous disposons de cinq account qui gèrent un maximum de cinq budgets si tout va bien.» Et la nature même de la relation n’a plus rien à voir. «Avant, j’allais chez le client, je lui faisais trois propositions, on en validait une et on la déclinait sur l’année. Aujourd’hui, même pour un dépliant de trois pages, le client amène 10 personnes pour discuter. Et souvent, il n’y a même pas le décideur final.»

La crise économique et le souci de faire un mauvais pas ont clairement influé sur le comportement des annonceurs. Et pas uniquement en termes de budgets, souvent revus à la baisse. «Les responsables de communication doivent se justifier devant leurs directions et du coup, les gens n’osent plus! Au niveau de la créativité, les choses ont beaucoup baissé ces dernières années», regrette Camille Groff, qui constate parallèlement une forte augmentation des compétences requises: «Dans notre équipe, ils ont pratiquement tous Bac+5 aujourd’hui. Et le succès réside aussi dans la capacité de pouvoir engager des gens plus intelligents que soi.»

À cela s’ajoutent la multiplicité des supports de communication, notamment mobiles, et les possibilités quasi infinies que cela permet. «Le rôle de la publicité, avant, était d’informer qu’un produit existe, explique Jean-Luc Mines. Aujourd’hui, il faut non seulement informer, mais le faire là où est le client et en permanence.»

Cette expansion numérique a, bien évidemment, profondément changé la relation annonceur-agence, au moins aussi profondément que la relation annonceur-client final. «On n’est plus dans l’impact purement visuel. On est dans le dialogue, l’engagement, le data, note Dan Eischen. La communication est internalisée. Elle fait partie de la marque, du fonds de commerce de l’annonceur. Le client est devenu un objet de communication que l’on recherche. La communication influe sur tout le processus de l’entreprise.»

Forts d’un cumul d’expérience incomparable, les dirigeants fondateurs de Mikado Publicis et Concept Factory envisagent sereinement l’avenir. «Ces 45 ans d’expertise cumulés nous donnent la possibilité d’avoir un certain recul sur les défis et les situations nouvelles, note Pol Goetzinger. Ajouté à la spontanéité que nous parvenons à maintenir, c’est un atout considérable. Cela rend plus difficile aussi la possibilité de nous raconter des bobards, car on a tout de même expérimenté et suivi énormément de concepts et d’approches depuis tout ce temps. C’est ce qui nous donne aussi un avantage vis-à-vis des petits champignons qui poussent un peu partout sur le marché et dont nous avons d’ailleurs été, pour la plupart, les formateurs.»

Jean-Luc Mines, lui, constate qu’au fil des ans, les changements en interne chez ses clients ont été nombreux et que beaucoup de patrons ont pris leur retraite… et que lui et ses équipes sont toujours là. «Je n’ai pas d’appréhension pour l’avenir. Nous avons su prendre le virage du digital au bon moment. Ça reste la clé du futur.» Une clé sur le point d’être partagée avec d'autres employés. «C’est une marque d’intérêt très positive», se réjouit Camille Groff.

Quant à Dan Eischen, il ne cache pas que trouver des personnes qui acceptent de prendre un risque entrepreneurial est «un problème. Mais à partir du moment où nous conservons notre logique stratégique et notre état d’esprit, il n’y a pas de raison que la transition future ne se fasse pas. Le grand challenge sera évidemment de ne pas céder l’entreprise pour un euro symbolique!»