Selon l’OMS, le système de santé du pays est un exemple à exporter. (Photo : Christophe Olinger)

Selon l’OMS, le système de santé du pays est un exemple à exporter. (Photo : Christophe Olinger)

Le 10 décembre dernier, la directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le Dr Margaret Chan, effectuait une visite de travail à Luxembourg. Selon ses déclarations, « le système de santé luxembourgeois est un exemple d’accessibilité aux soins ». Le Grand-Duché est, dit-elle, un État membre qui « tient ses promesses ».

En 2012, la contribution luxembourgeoise à l’OMS s’est élevée à 7,12 millions d’euros. Il ne faut pas y voir un lien de cause à effet, mais simplement le fait qu’un système de santé efficace ne peut fonctionner que si on lui donne les moyens – et donc que si on en a les moyens à la base, quelque part.

Dans le credo de l’OMS, figure un principe : développement et santé vont de pair. Et si l’OMS entend « donner les moyens à tous les gouvernements d’offrir à leur population un système de santé de qualité accessible à tout le monde », un pays qui suit les mêmes préceptes a tout lieu d’être salué, rappelle sa directrice générale. En l’occurrence, le Luxembourg est mis en avant pour un modèle à recommander dans son fonctionnement solidaire et, aussi, pour la politique – commune à plusieurs ministères – de santé préventive, mise en place depuis quelques années.

Au demeurant, c’est un vecteur sur lequel insiste le ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, Mars Di Bartolomeo. « Ce qui n’est pas cassé ne doit pas être réparé », paraphrase-t-il. De fait, l’état de santé de la population n’inspire pas de crainte immédiate, mais les facteurs de risque sont bien présents au Luxembourg.

Au chevet des budgets

L’état de santé financière est-il du même acabit ? Selon la base de données 2012 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la santé, les dépenses totales de santé représentaient au Luxembourg 7,9 % du PIB (en 2009), un pourcentage moins élevé que la moyenne des pays de l’OCDE (9,5 %). En revanche, le Luxembourg se situe bien au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE en termes de dépenses totales de santé par habitant : 4.786 dollars (contre 3.268 pour l’ensemble des pays de l’OCDE en 2010), soit environ 3.590 euros. Cette donnée est à comparer avec une autre : selon le Statec (institut statistique), un ménage moyen dans le pays consacre un peu plus de 1.362 euros par an aux dépenses de santé.

C’est que, comme pratiquement dans tous les pays de l’OCDE (à l’exception des États-Unis, notamment), l’apport public représente la principale source de financement de ces dépenses de santé.

Au Luxembourg, près de 85 % sont ainsi financés par des fonds publics, une part bien supérieure à la moyenne. Le budget 2013 de l’État prévoit près de 650 millions d’euros pour les dépenses de sécurité sociale, indissociables de la couverture santé. Ce poste est en hausse, mais c’est le « matelas de sécurité » qui fond : l’excédent disponible diminuerait à 1,4 % du PIB en 2013...

Entre autres avis parfois alarmistes, la Chambre de commerce soulignait, dans son analyse – vitriolée – du budget 2013 de l’État : « Des enjeux importants nous guettent à long terme, notamment en termes d’assurance pension, d’assurance maladie et d’assurance dépendance. »

La Caisse nationale de santé (CNS), en observant le budget annuel 2013 de l’assurance maladie-maternité (lire aussi l’encadré page 48), note, pour sa part, que « la situation financière de l’année 2012 se caractérise par un bénéfice grâce notamment à un taux de réserves réduit ». Ensuite, précise-t-elle, « les mesures d’économies instituées par la réforme du système des soins de santé devront permettre jusqu’en 2014-2015 d’éviter des contraintes financières substantielles ».

La CNS estime le déficit de ce budget 2013 à 41 millions d’euros, contre un excédent de l’exercice 2012 estimé à 12,7 millions d’euros. Néanmoins, l’évolution du résultat des opérations courantes – différence entre recettes et dépenses – affichera en 2013 un déficit de 7,5 millions d’euros (+42,8 millions d’euros en 2012). « Suivant les estimations actuelles, cette tendance devrait se maintenir dans les années à venir, ce qui aurait pour conséquence que les marges que la réforme avait permis de constituer seraient perdues », soulignait le comité directeur de la Caisse, en prenant acte des chiffres du budget 2013, et en précisant sa « préoccupation par les perspectives à moyen terme ».

L’assurance dépendance se trouve confrontée à des enjeux similaires. Pour l’exercice 2013, la contribution de l’État à son financement a été portée à 40 % (35 % en 2012), ce qui représente une participation de 225,1 millions d’euros en 2013 (184,4 millions en 2012). Malgré l’intervention augmentée de l’État, les dépenses courantes dépassent les recettes courantes de 2,4 millions d’euros en 2013. Après recours aux réserves, le résultat de l’exercice 2013 est estimé à -6,1 millions d’euros. Il faut par ailleurs noter que le résultat cumulé, incluant les réserves constituées au cours des derniers exercices, reste bénéficiaire. Mais là encore, ce coussin de confort continue à se dégonfler, progressivement. Il était de 106,7 millions d’euros en 2010, il ne devrait plus être que de 53,8 millions d’euros en 2013.

Mars Di Bartolomeo, ministre qui pilote les réformes en cours, n’ignore pas les questions lancinantes. Mais il en relativise la portée immédiate. « Il y a une tendance, assez naturelle au fond, à percevoir le système de santé comme une source de dépenses. On ne peut que le rappeler : la santé n’a pas de prix, mais elle a un coût. Un coût pour la collectivité à commencer par l’État, pour les entreprises, pour les assurés. Mais le système fonctionne. »

Une machine à créer de bons emplois

Pour le ministre LSAP, ce système « crée une plus-value de bien-être pour la population résidente et de travailleurs frontaliers. Il est aussi, pour cette population, une machine à créer de bons emplois. Ces dernières années, depuis la mise en place de l’assurance dépendance surtout, plusieurs dizaines de milliers d’emplois ont été créés dans le secteur élargi de la santé. Il y a eu un véritable essor de la demande et de l’offre, allant de pair avec la démographie, ce qui s’est marqué sur le volume et la qualité des recrutements, à l’échelle de la Grande Région. On a ainsi largement recruté des médecins dans toutes les spécialités, du personnel médical et paramédical, du personnel administratif, de support, technique. Il y a eu, dans tous les secteurs, une évolution favorable. »

Le secteur des aides et soins de santé à domicile (voir aussi page 58), notamment, a connu un boom manifeste. La CNS prévoit quelque 13.200 bénéficiaires de l’assurance dépendance en 2013, dont deux tiers sont pris en charge à domicile (réseaux d’aides et de soins, centres semi-stationnaires et établissements à séjour intermittent) et un tiers dans les établissements à séjour continu (centres intégrés pour personnes âgées – Cipa – ou maisons de soins).

Cela étant, parmi les préoccupations du secteur santé, il y a celles d’un corps médical vieillissant et d’une médecine rurale courant le risque d’une relative désaffection. Il y a néanmoins le côté rassurant de voir de jeunes diplômés en médecine s’installer dans de petites localités. Léa Hemmer, chef du Service des professions de santé au ministère, estime que le ratio de généralistes par rapport à la population est plutôt bon et que, « s’il y a une concentration dans la capitale, et s’il est plus facile de trouver un médecin dans une grande ville, les nouveaux praticiens ont tendance à s’établir dans les petites et moyennes localités ».

L’Association luxembourgeoise des étudiants en médecine (Alem), qui a réalisé une étude récente sur la démographie médicale du pays, apporte des données contrastées. Le Dr Claude Schummer, secrétaire général de l’AMMD (Association des médecins et médecins dentistes), en tire une lecture assez amère. Il relève, parmi les chiffres clés, « la faible densité médicale au Luxembourg » avec 2,8 médecins pour 1.000 habitants, la prédominance des hommes dans la profession, une pyramide des âges « avec un ventre autour des 45 à 55 ans, de médecins au sommet de leur carrière » et « un recrutement net­tement majoritaire de médecins étrangers pour faire fonctionner notre système de santé ».

Il note que la Commission européenne estime qu’en 2020, il y aura un manque de 2 millions de professionnels de santé en Europe, dont 300.000 médecins. « Le recrutement deviendra dans l’avenir très critique, diagnostique le Dr Schummer, si, partant d’une certaine dépendance aux médecins extérieurs, on doit se fier à l’attractivité du système luxembourgeois pour faire venir des médecins de qualité de l’étranger. Si on ajoute à cela un climat politique très hostile à une rémunération compétitivement correcte du médecin, un pilier majeur pour l’attractivité de la profession médicale exercée au Luxembourg part en fumée. »

Il voit aussi un autre phénomène jouer un rôle non négligeable, combinaison du gender shift et du generation shift. « Les nouvelles générations ont une autre éthique du travail que la génération actuellement en voie de retraite, explique-t-il. Les anciens travaillaient beaucoup, parfois aux dépens de leur propre qualité de vie. Les plus jeunes préfèrent allier qualité de travail avec qualité de vie. Un seul jeune ne suffira pas pour remplacer un confrère qui prend aujourd’hui sa retraite. Si nous ne préparons pas maintenant le terrain pour rendre l’exercice de la médecine attractif au Luxembourg, le désastre sera programmé. »

L’état, un acteur fort

On le voit, la balle est volontiers renvoyée au politique. Le ministre Di Bartolomeo ne s’en émeut pas outre mesure, mais il en appelle, aussi, à des évolutions dans les mentalités. « Il y a des évidences. Par exemple, pour les soins aigus et le secteur des hôpitaux, on a vu naître des infrastructures compétitives. Il ne s’agit pas d’un luxe. Il s’agit d’investir pour la population et de faire en sorte que l’offre de soins soit équilibrée. » Au passage, le ministre observe : « Parler de concurrence privé-public n’est pas vraiment pertinent. Il n’y a pas d’antagonisme. Les structures, quand elles sont privées, ne peuvent fonctionner qu’avec l’intervention des pouvoirs publics. Il y a évidemment des regroupements, qui se font plutôt selon une logique philosophique ou confessionnelle. Ne pas vouloir faire tout partout fait sens. Mais les logiques philosophiques n’en ont pas beaucoup dans ce cadre-là. »

Pour Mars Di Bartolomeo, l’État doit « évidemment rester un acteur fort ». Ainsi, le développement des infrastructures « passe inévitablement par une planification rigoureuse, une analyse des besoins. L’État a le droit et le devoir de contrôler. La procédure d’autorisation est d’ailleurs de plus en plus complexe : on ne conçoit pas comme ça un hôpital… C’est du domaine réservé de la politique publique, et planifiable. On est dans un domaine où la gestion relève du privé, mais avec un financement public. Ce qui m’intéresse surtout, c’est la notion d’accès équitable, pour tous les patients potentiels. Il y a un impact sur l’offre et l’obligation, pour les pouvoirs publics, de faire la distinction entre ce qui est nécessaire et le superflu. L’État doit donc avoir une bonne gouvernance, dans la transparence et l’équité, pour garder une bonne capacité de pilotage. »

À cet égard, le paysage hospitalier lui semble aujourd’hui homogène « ou en passe de l’être au fil de regroupements et restructurations, avec une bonne répartition entre les régions du pays », prolonge le ministre. Mais ce serait évidemment une erreur de se focaliser sur les seuls établissements hospitaliers. « Notre approche est d’ailleurs de privilégier une bonne interconnexion entre les différentes branches de la santé publique, rappelle M. Di Bartolomeo. Chacun doit, à cet égard, jouer son rôle. Le développement des soins ambulatoires correspond bien à la vision réaliste, à la tendance au vieillissement de la population, au maintien à domicile autant que possible, au raccourcissement des périodes d’hospitalisation. Depuis 15 ans environ, nous avons bien rempli les missions pour des milliers de personnes, dans leur cadre de vie. Je dirais que la santé du secteur est plutôt bonne et qu’il faut simplement veiller à garder les performances, la qualité, la proximité et la transparence de l’ensemble. »

Cet ensemble ne peut avancer sans vision. « S’il est vrai que l’âge moyen ne cesse d’augmenter, les gens plus âgés ne sont pas nécessairement plus malades. Il y a une évolution des pathologies et de leur suivi, souligne le ministre. C’est toute l’importance de la médecine de première ligne. On doit détecter des petits problèmes suffisamment tôt et ne pas entrer dans une logique de surconsommation médicale. Pourquoi tirer au canon sur des moineaux ? Le Luxembourg est un champion de la consommation de médicaments. On doit faire passer le message et conscientiser davantage la population, ainsi que le corps médical. L’idée est de ne pas recourir trop systématiquement à des batteries d’actes, d’éviter les redondances. »

L’impatience du patient : adopter le case management

C’est aussi une notion importante dans l’approche consumériste de la santé. Le patient est de plus en plus exigeant, il « compare » sur le marché. Du patient exigeant au client roi, n’y aurait-il qu’un pas ? De plus en plus, les milieux économiques, et même des Big 4, se penchent sur les secteurs liés à la santé.

Deloitte, notamment, dispose de spécialistes « Health Care and Life Sciences » à Luxembourg. « On peut considérer ces secteurs comme une industrie au sens large », confient Gilbert Renel, partner à la tête de ce département et Luc Brucher (en provenance de l’audit, qui va prochainement lui succéder à ce poste). « Les citoyens luxembourgeois sont de plus en plus nombreux à vouloir être traités comme des consommateurs de soins, et non plus comme des patients », observe Gilbert Renel.

C’est ce qui ressort notamment d’une enquête réalisée en 2011 au Luxembourg. La grande majorité (70 %) de ces « consommateurs » luxembourgeois jugent le système national de santé très bon voire excellent. Mais, dans une logique d’information, de comparaison et d’une certaine autogestion, ces patients, de plus en plus impatients, pointent des desiderata : réduction des temps d’attente (chez les spécialistes surtout), meilleure orientation, disponibilité et accessibilité des services… Pour Gilbert Renel, « les prestataires de soins, les décideurs politiques, mais aussi les entreprises pharmaceutiques, de matériel médical, de technologie et de biologie médicale par exemple, doivent être à l’écoute des préoccupations et des intérêts des consommateurs ».

Prôné par les exégètes de cette « industrie », le case management trouve son sens et sa philosophie dans cette lignée. « L’approche est celle d’une meilleure gestion du parcours de soins du patient », indique Luc Brucher.

L’étude Deloitte montre l’adhésion des « consommateurs » à la transparence, à l’amélioration du service, à la baisse des coûts. Le tout peut passer par la synergie accrue entre hôpitaux, le concept de médecin référent ou de dossier médical électronique. Autant d’éléments inclus dans les réformes en cours. Mais cela passe aussi « par un usage raisonné des technologies et des réseaux, pour partager l’information entre prestataires de soins et patients, pour réduire les formalités et rationaliser une orientation dans le parcours de santé », histoire notamment d’éviter la redondance d’actes (la logique de la couverture sociale est un remboursement d’acte), d’analyses ou d’examens d’imagerie médicale par exemple. « On est dans le domaine de la gestion personnalisée, du case management, appuie Gilbert Renel. Cela inclut la prévention, la gestion du risque, une spécialisation accrue et une transversalité bien pensée dans le système. »

Le ministre Mars Di Bartolomeo partage en grande partie cette analyse. « Il faut faire attention aux dérives, freine-t-il. Le secteur se développe et cela peut entraîner aussi une explosion des moyens. Dans 10 ans, on aura des moyens dont on rêve aujourd’hui. Mais cela oblige à une bonne utilisation des ressources. L’équilibre des finances publiques exige de chacun des efforts raisonnables. Les gouvernants ont le devoir de rendre le système plus efficient. Je préfère effectuer des réglages au moteur plutôt que de remettre de l’essence… Chacun est responsable. »