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Réduire son impact négatif sur l’environnement ? C’est bien ! Avoir une action positive sur lui ? C’est mieux ! Pour répondre à ce défi, les principes du concept Cradle-to-Cradle (C2C, littéralement « du berceau au berceau », lire encadré) commencent à essaimer. Rien de révolutionnaire dans ce concept ; bien au contraire, un retour à l’essentiel, aux origines. La formule célèbre de Lavoisier « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », datée du 18e siècle, serait empruntée à celle d’un philosophe ayant vécu… cinq siècles avant notre ère. « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau » : Anaxagore de Clazomènes décrivait alors les fondements mêmes du C2C !

« Quand on fait du Cradle-to-Cradle, on copie la nature, confirme Alexandre Bertrand, chercheur au CRP Henri-Tudor, partenaire du projet Interreg C2C Bizz. Un arbre pousse quand il y a du soleil, quand il trouve des nutriments dans le sol. Puis, en hiver, il stoppe sa croissance ». En somme, il consomme des ressources quand elles sont disponibles, mais il n’est pas pour autant un élément « neutre » dans la nature. Il n’a pas « zéro-émission » ; il émet de l’oxygène et des nutriments pour le sol, il purifie l’eau et offre un habitat à plusieurs espèces vivantes. Il interagit !

« Les discours sur le développement durable, pour intéressants qu’ils soient, nous amènent à nous culpabiliser, nous les êtres humains, en raison des activités liées à notre développement, précise Jeannot Schroeder, responsable du projet C2C Bizz au sein de l’Ecoparc Windhof. Sommes-nous trop nombreux, nuisibles ? Nos enfants ne seraient-ils pas les bienvenus sur Terre ? Ce que nous propose le concept C2C n’est rien d’autre qu’une nouvelle façon de penser et d’agir. Il ne s’agit plus de regarder la finalité d’une action, pour mesurer son impact négatif ou neutre, mais de repenser le début. Cela va aboutir à une économie totalement différente !»

Boucler la boucle

Concrètement, l’approche C2C peut se résumer ainsi : « Avoir un impact bénéfique sur la santé et les hommes, en créant des produits qui sont non toxiques et indéfiniment recyclables, de manière biologique ou technique », précise M. Bertrand.
À la différence du recyclage, qui intervient après le premier usage du produit, et qui n’empêche pas que des déchets ultimes, toxiques, créent des désordres dans la nature (on pense à la combustion ou à l’enfouissement), dans le C2C, la recyclabilité est pensée dès
la conception du produit, qui doit se faire avec des matériaux non toxiques.

Récupérés, réutilisés, ces déchets n’en sont alors plus, ils deviennent des matériaux réutilisables, dotés de valeur. Et dont on prend soin. De quoi attirer toute l’attention des acteurs économiques ! Le concept est généralement utilisé par les entreprises les plus innovantes. Tarkett, dont le centre mondial de R&D est établi à Wiltz, peut ainsi se prévaloir de certification Cradle-to-Cradle pour ses revêtements de sols. Mais le concept peut également s’étendre à des systèmes plus larges. Et c’est justement cette application élargie qui est visée par le projet C2C Bizz (www.c2cbizz.com).

 

Au cours des quatre années du projet, qui s’achèvera en 2014, les dix partenaires européens impliqués vont collaborer « en vue d’étudier et de mettre en œuvre le C2C sur des parcs d’activités existants ou à créer ». À Londres, dans le Sustainable Industries Park, une base de données sera mise en place, afin de favoriser l’échange de matériaux entre les entreprises. À Lille Métropole, un ancien site industriel sera revitalisé « en accordant une attention particulière aux différentes formes de diversité », tandis qu’à l’Ecoparc Windhof, l’énergie renouvelable sera générée pour l’ensemble du parc d’activités.

En ce qui concerne Luxembourg, le projet Interreg est porté par un troisième acteur national, non négligeable : le ministère du Développement durable et des Infrastructures (MDDI). « Ce projet est particulièrement intéressant pour nous, car il comporte des actions très pratiques, avec des sites pilotes, explique Liette Mathieu, ingénieur 1er classe au Département de l’Aménagement du Territoire, où elle travaille sur les plans sectoriels (dont celui portant sur les zones d’activités économiques). Outre les initiatives qui seront menées à l’Ecoparc de Windhof, bien sûr, participer à ce projet européen nous permet d’observer ce qui se passe dans d’autres pays. Nous sommes particulièrement intéressés de savoir comment la métropole de Lille va agir dans le cadre de la reconversion en zone C2C d’une ancienne friche industrielle. »

L’objectif étant, pour le ministère, de recueillir un maximum de bonnes pratiques, afin de les diffuser ensuite et de sensibiliser les acteurs de terrains, décideurs économiques ou syndicats de communes. L’un des principaux avantages du C2C, selon ses adeptes, est qu’il ne dicte pas une seule « bonne » façon de faire. Célébrer la diversité, cela revient à dire qu’il faut savoir jouer de créativité ou d’inventivité : un même produit pourra être conçu de manière biodégradable par une entreprise, et de manière recyclable par une autre, par exemple, en fonction des matériaux disponibles localement ou des filières de recyclages existantes. Une zone d’activité en création pourra adapter ses principes dès le départ, alors qu’une autre pourra les transférer aux infrastructures déjà existantes.

Résistance économique

Du point de vue économique, cultiver la diversité, cela peut aussi conduire à faire coexister sur un même site différents types d’entreprises et de fonctions, rendant ainsi le concept moins vulnérable à une crise économique, et donc plus attractif. L’Ecoparc Windhof, qui a déjà réussi le pari de rassembler dans un GIE (groupement d’intérêt économique) une dizaine d’entreprises voisines et « désireuses d’avancer sur des thèmes durables, en mutualisant leurs efforts (énergie verte, papier recyclé, sécurité) », entend désormais s’engager dans un projet C2C.

Pas une mince affaire, à en croire les partenaires impliqués ! « Ce qui est particulièrement difficile, dans un tel projet, c’est de rassembler les trois principes au même endroit, au même moment, avec les mêmes acteurs, indique Alexandre Bertrand. Le C2C nécessite de repenser les moyens et les outils que nous avions l’habitude d’utiliser jusque maintenant. L’intérêt pour nous, chercheurs, est donc de travailler avec des gens qui sont sur le terrain, pour relever les problèmes, les aider à trouver des solutions et tendre à atteindre les objectifs finaux. »

 

« Si nous avions les réponses, nous les appliquerions ! renchérit Jeannot Schroeder (proGroup). Donc, le projet C2C Bizz ne serait pas nécessaire… Ce que nous allons essayer de savoir, avec ce projet de recherche, c’est d’abord : comment le C2C peut-il être appliqué dans un zoning économique, avec de nombreux acteurs ? Quel mode de gouvernance faut-il mettre en place pour répondre aux enjeux ? Comment parvenir à fermer la boucle des flux de matériaux, à notre échelle ? C’est déjà une première phase ! »

Un groupe de travail, constitué de membres de l’Ecoparc se penchera concrètement sur ces questions, en janvier prochain, lorsqu’il sera question de définir les modalités d’investissement dans un outil smart grid pour le zoning. « Il s’agit d’un système intelligent de distribution énergétique qui conserve la trace des flux, les pics de consommation comme les creux, et permet, après l’analyse des variables de l’utilisation du réseau énergétique, de mieux répartir la consommation. Le but étant de consommer l’électricité le plus possible ‘en direct’, quand elle est produite, pendant les phases de grand ensoleillement par exemple, pour limiter au maximum le stockage qui induit de la déperdition », explique M. Bertrand.

Pour ce faire, les chercheurs doivent non seulement connaître la consommation énergétique dans la zone d’activités, entreprise par entreprise, heure par heure, mais également prendre en compte les contraintes existantes, afin que le site industriel soit « positif », c’est-à-dire qu’il produise plus d’énergie qu’il n’en consomme. Quelles sont les surfaces utilisées et utilisables ? Quelles sont les surfaces de toit disponibles pour produire de l’énergie d’origine solaire ?

Centre de connaissances

Les problématiques sont complexes et Jeannot Schroeder, réaliste, admet « qu’à la fin de projet Interreg, nous aurons sans doute plus de questions que de réponses ! » Si 2014 marquera la fin du cofinancement européen du projet, les partenaires espèrent évidemment que les recherches ne s’arrêteront pas là. Le centre de connaissances sur C2C Bizz, qui sera basé aux Pays-Bas, rassemblera les expériences et diffusera témoignages, résultats et bonnes pratiques sur un site Internet.

Des guides et des outils pratiques seront également élaborés afin de diffuser au maximum l’information et sensibiliser de nouveaux acteurs. « Une campagne d’information sera lancée par le ministère l’année prochaine, annonce Mme Mathieu. Le guide, que nous diffuserons largement au Luxembourg, comportera une description des projets pilotes, et présentera les avantages financiers qui découlent de l’application du concept C2C, les économies de ressources, mais également les avantages en matière d’innovation et de gain de compétitivité pour les entreprises et les collectivités. »

 

Pour le ministère, il est évidemment très instructif de voir comment s’inscrit la volonté politique d’appliquer le concept C2C dans d’autres pays. Même si rien n’est encore inscrit dans le programme gouvernemental, Mme Mathieu n’exclut pas de nouveaux projets pilotes, sur des zones existantes ou à créer. « Ce qui me passionne dans un projet C2C, c’est qu’il place l’Homme au centre des problématiques, en vertu du principe de la diversité. Les individus doivent être parfaitement à l’aise dans l’environnement dans lequel ils évoluent et travaillent. Selon le concept C2C, si des enfants peuvent jouer dans une zone d’activité économique, c’est qu’elle est bien conçue ! »

Une utopie ? Loin s’en faut ! Le Luxembourg, qui peut s’appuyer sur des compétences scientifiques et des acteurs économiques engagés, ne manque ni d’intérêts, ni d’atouts pour jouer la carte C2C dans son développement. Et le terrain d’expérimentation est vaste : à l’horizon 2030, le pays a prévu, dans sa planification territoriale, de réserver 600 hectares de son territoire à de nouvelles zones d’activités économiques.

 

Cradle-to-cradle - 3 principes

Développé par le chimiste allemand Michael Braungart et l’architecte américain William Mc Donough, le concept C2C s’articule autour de trois principes indissociables.

Déchets = alimentation
Plus rien ne doit être jeté, les déchets n’existent plus et sont considérés comme une source nutritive. Le C2C permet de réutiliser à l’infini tout matériau ou toute substance (qui doivent être connus et non toxiques) pour un autre produit, en créant des cycles continus.

Utilisation de la ressource solaire
Le soleil est une source d’énergie inépuisable. Elle permet l’auto-suffisance, en fournissant une énergie renouvelable directe et
en favorisant la croissance des cultures de biomasse.

Célébrer la diversité
Les systèmes naturels fonctionnent et se développent à travers la complexité. Contrairement aux solutions standard (nées de la révolution industrielle) et à l’uniformité induite par la globalisation, la nature encourage une abondance de variété et de diversité presque infinie. La manière de procéder pour manufacturer des produits doit être calquée sur ce modèle.

Éco-conception - Un logiciel innovant

L’éco-conception vise à « améliorer la qualité globale d’un produit, procédé ou service en considérant à la fois la fonctionnalité et l’optimisation des ressources et énergies associées », selon la définition du Centre de Ressources des Technologies pour l’Environnement (CRTE – CRP Henri Tudor). Ce dernier, en partenariat avec Luxinnovation, pilote depuis 2010 un projet européen (Feder). « Éco-conception » a pour but d’introduire et de diffuser des exemples de bonnes pratiques dans les entreprises luxembourgeoises. Cinq d’entre elles ont ainsi pu bénéficier, à ce jour, du support technique du CRTE (Chaux de Contern, Rollinger Walfer, Steffen Holzbau, Flowey ainsi que la Menuiserie Design Constantin Jacques). Afin de sensibiliser un maximum d’acteurs, le centre de recherche a développé un logiciel (Écopact ) qui permet aux entreprises de réaliser un pré-diagnostic des performances environnementales d’un produit, tout au long de son cycle de vie, et d’identifier les possibilités d’amélioration.