Michèle Detaille, administrateur délégué, No-Nail Boxes (Photo : David Laudent/Wide)

Michèle Detaille, administrateur délégué, No-Nail Boxes (Photo : David Laudent/Wide)

Madame Detaille, vous dirigez aujourd’hui No-Nail Boxes, qui est une société que vous avez rachetée en 1996. Comment s’est fait ce rachat ?

« Il faut d’abord préciser que je ne suis pas seule dans cette aventure. Je me suis associée avec un partenaire qui s’occupe de la partie financière. J’ai toujours eu une approche très entrepreneuriale. Avant No-Nail Boxes, nous avions travaillé sur beaucoup d’autres dossiers : lorsque l’on veut racheter une entreprise, ce n’est pas forcément la première que l’on trouve qui est la bonne. Il faut construire un accord avec le propriétaire précédent, sans oublier le fait que les activités doivent avoir des caractéristiques qui correspondent à ses propres aspirations. En fait, nous avions déjà travaillé sur une vingtaine de projets. Pour No-Nail, c’est un banquier de la Place, qui était simplement une connaissance commune, qui nous a mis en relation. L’opération s’est faite après des discussions qui ont connu des hauts et des bas. Dans ce domaine, il y a un aspect psychologique, en plus bien sûr du prix, qui est déterminant.

Du point de vue de l’acheteur, l’idéal est de rencontrer quelqu’un qui a envie que l’entreprise continue sans lui. Cela permet que la vente ne se fasse pas uniquement sur un critère de prix. Pour le patron d’une petite entreprise, attaché à sa structure, le fait d’assurer la pérennité de ce qu’il a créé est une chose importante. Pour ma part, ce qui m’a décidée, je le dis sous forme de boutade, c’est que l’entreprise sentait bon, la première fois où j’y suis rentrée : elle sentait le bois ! Plus sérieusement, nous cherchions une activité industrielle, une activité de production. Nous n’étions pas intéressés par les services, qui dépendent trop des équipes en place. Dans la production, il y a des processus, et nous pouvions nous appuyer sur eux. Il y avait bien évidemment d’autres critères, comme celui de ne pas avoir envie de redémarrer de zéro. Passé 40 ans, j’avoue que je n’avais plus envie de coller des timbres…

De manière générale, je me suis rendu compte que les entrepreneurs se font souvent une mauvaise idée de la valeur de ce qu’ils possèdent. Ils essaient de vendre non pas ce qu’ils ont fait, mais ce que l’acheteur devrait faire. Certains, par exemple, veulent vendre l’entreprise au prix de l’entreprise et du terrain sur laquelle elle est située. Ce n’est pas la bonne manière de calculer. On ne fait pas payer ce qui est encore à faire, ce qui n’est pas réalisé.

Après No-Nail Boxes, vous avez acheté d’autres structures…

« Aucune des sociétés de notre groupe ne fait des produits véritablement difficiles à comprendre. C’est un critère de décision important pour nous. Il faut que nous soyons capables de comprendre ce que nous faisons. Après, dans les petites entreprises, il peut y avoir d’autres problèmes. Le savoir n’est pas forcément documenté : il se transmet d’une personne qui sait et qui explique à une autre. Nous avons cependant systématiquement cherché à conserver les équipes, tout en travaillant à chaque fois sur la documentation des processus et des connaissances techniques, pour améliorer la communication des informations.

Nous avons effectivement procédé à d’autres rachats après celui de No-Nail Boxes. D’une certaine manière, c’était prévu. Nous savions que nous pourrions grandir. Au début, l’entreprise était en léger sureffectif, avec des gens à fort potentiel d’évolution. Et ceci nous a permis d’absorber facilement les autres entreprises. Par exemple, notre responsable des ventes est devenu le patron de Codipro après le rachat. Il avait le potentiel, et nous lui avions donné des garanties sur sa capacité de revenir à son ancien travail, au cas où… C’était une bonne solution : nous avons fourni une opportunité à quelqu’un que nous connaissions. Cela permettait de réduire les incertitudes, d’augmenter le nombre de paramètres que nous maîtrisions.
Nous avons également, et logiquement, diversifié notre activité vers l’emballage, avec AllPack Services. Nous faisions les boîtes, pourquoi ne pas nous occuper de les remplir pour nos clients ?

Il y a donc une « méthode Detaille » pour le rachat ?

« Non, ce sont juste des principes qu’il faut appliquer. Dans un premier temps, lorsque l’activité fonctionne bien, il suffit de continuer à faire ce qui se faisait avant. Le temps des questions vient après. Si la réponse à un pourquoi est : ‘on a toujours fait comme ça’, ce n’est pas la bonne réponse. Ensuite, au fur et à mesure, il faut simplement s’assurer que les fournisseurs que l’on a sont les bons, et en faire des partenaires. Il ne faut pas s’encroûter, il faut faire le maximum pour rester au meilleur de sa catégorie. Je prends un exemple : pour nos boîtes, nous avons besoin d’acier. Nous avons mis un certain temps pour trouver de nouveaux interlocuteurs. Mais nous avons réussi, en ayant des prix plus compétitifs, avec une qualité identique. Cela a demandé beaucoup de recherche, cela s’est fait après le rachat, mais cela a fini par se faire.

Il n’y a pas de méthode car il s’agit parfois d’un hasard. Pour Codipro, c’est notre avocat qui nous a mis en relation. Il m’a appelée un jour en disant quelque chose qui ressemblait à ça : ‘j’ai un truc bizarre sur mon bureau, et j’ai pensé à toi !’ J’ai regardé le dossier, nous avons été mis en contact avec la fiduciaire du vendeur, et nous avons discuté. Codipro confectionne un certain nombre d’anneaux de levage. Il n’y a pas de lien direct, sur le plan de la production, avec ce que nous faisions jusque-là. Mais nous avons très rapidement vu une synergie commerciale évidente. La clientèle était de même type, différente mais assez ressemblante par certains aspects. L’entreprise était saine, les produits simples. Il fallait juste, pour se développer, réussir à vendre plus. Et pour le faire, il fallait élargir son marché au-delà de la France. Ce que nous pouvions faire grâce à No-Nail Boxes, qui couvrait déjà d’autres territoires en Europe. Et de plus, ces produits peu compliqués étaient aussi haut de gamme et de niche.

Quel est l’intérêt de ce créneau de niche ?

« Cela veut dire que le marché n’intéresse pas forcément les grands groupes. Un marché qui représente à peine 1 % du chiffre d’affaires n’offre pas de grandes perspectives de développement pour une grande entreprise. Pour nous, si ! En y associant des services ou du conseil, en jouant sur les délais, la traçabilité, voire de la production spécifique, nous sommes capables d’intéresser nos clients. En effet, si nous faisons peu de volume, les anneaux de levage sont essentiels pour nos clients, pour manipuler des produits onéreux, dont la perte peut coûter cher. Donc nos clients n’hésitent pas à dépenser pour avoir des outils de qualité.

Pour revenir aux différentes sociétés du « groupe », il y a également Lifteurop…

« C’était un de nos distributeurs. Si No-Nail Boxes vend beaucoup en direct, Codipro passe essentiellement par des intermédiaires. Même lorsque nous concevons un produit sur mesure, il arrive qu’on nous demande de passer par un distributeur, pour simplifier la gestion. Et c’est grâce à cela que j’ai un jour reçu un appel : un de nos distributeurs avait des problèmes. Après quelques discussions, nous avons racheté la société, qui s’appelle Stas. Nous avons conservé la marque pour la France, et l’avons renommé Lifteurop pour les autres marchés. Notre approche est en ligne avec tout ce que nous avons fait jusqu’ici, à commencer par la remise à niveau de l’entreprise… même si pour une fois cela va moins vite que ce que nous avions pensé au départ.

Quelque part, même si nous n’avons pas choisi volontairement toutes les entreprises du groupe, nous avons réussi à rester cohérents. Dans chaque cas, nous avons voulu maîtriser notre croissance, avec des étapes claires et bordées. Il était hors de question de partir la fleur au fusil, il nous fallait maîtriser l’agenda.

Comment gérez-vous les entreprises au quotidien ? Quel est votre style de management ?

« Par défaut, je fais confiance. J’essaie d’être le plus sélective possible au moment de l’embauche. Si j’ai bien choisi mes collaborateurs, ils vont être compétents et pourront au fur et à mesure prendre de plus en plus de responsabilités, et grandir dans leur rôle. Je suis là pour les aider lorsqu’il y a un problème, ou pour atteindre une marche supérieure. L’important, c’est de ne pas noyer les gens sous la charge de travail. Le manager doit savoir qu’il ne faut pas faire quelque chose à la place de quelqu’un d’autre. L’information et la pédagogie peuvent permettre d’exploiter les points forts de chacun.
La sélection de ses collaborateurs est la chose la plus difficile lorsque l’on est un chef d’entreprise. Pour ce qui est des ouvriers spécialisés, il est difficile de trouver des Luxembourgeois. Notre zone de recrutement privilégiée est du côté des Ardennes belges. Nous fonctionnons en fait beaucoup avec le bouche à oreille. Pour chaque recrutement, nous passons par la mise au point d’une fiche, dans laquelle nous posons différentes questions, dont une est de savoir pourquoi la personne veut venir travailler chez nous. Et la réponse la plus souvent faite est ‘pour l’ambiance’. Cela veut dire que l’on peut travailler sans un stress excessif. Sans être dans un management familial, nous savons rester conviviaux dans nos rapports avec les autres. La seule limite que nous fixons, c’est que nous n’embauchons jamais deux personnes de la même famille… Il ne faut pas ramener le travail à la maison. »

 

Parcours - En mouvement !

Âgée de 55 ans, Michèle Detaille a déjà connu plusieurs vies. Après une licence en sciences politiques à l’université catholique de Louvain, elle a travaillé pendant quelques années pour le parti libéral en Wallonie. Députée entre 1985 et 1987, elle est également bourgmestre de Vaux-sur-Sûre pendant 18 ans. Après un passage par le groupe Accor, elle rachète No-Nail Boxes en 1996. Son appétit d’action ne s’éteint pas pour autant. « Depuis 2005, je suis membre du conseil d’administration de l’université catholique de Louvain… et du conseil d’administration de la Fedil. Je suis également la vice-présidente de la Fondation ouverte pour la construction de l’avenir du Luxembourg (FOCAL). C’est une fondation, présidée par Raymond Schadeck, dont l’objectif est de faciliter le développement du pays en soutenant et accompagnant l’innovation dans le pays. »