Michel Wurth demande que la politique aide prioritairement les entreprises sur le digital et la transition environnementale. (Photo: Mike Zenari)

Michel Wurth demande que la politique aide prioritairement les entreprises sur le digital et la transition environnementale. (Photo: Mike Zenari)

Monsieur Wurth, quel bilan tirez-vous de l’action du gouvernement DP-LSAP-Déi Gréng?

«Ce gouvernement a entamé son mandat sous le prisme de la volonté de changement et l’a exécuté. Il y a eu une volonté de moderniser ce pays, c’est manifeste. Mais ce gouvernement a aussi pris des décisions qui ne trouvent pas notre approbation, notre grande déception concernant la discussion sur la flexibilité du temps de travail, qui est un volet extrêmement important pour la productivité. Beaucoup a été fait en faveur du temps libre pour les familles, nous avions compris que le corollaire serait une flexibilité du temps de travail pour les entreprises.

Nous manquons de main-d’œuvre qualifiée dans tous les secteurs.

Michel Wurth, président de l’UEL

Que demandez-vous à nouveau?

«Nous demandons qu’il soit possible de négocier, à l’intérieur de l’entreprise avec les personnes concernées, le temps de travail en fonction du rythme de l’activité. L’autre grand sujet important concerne la main-d’œuvre qualifiée dont nous manquons dans tous les secteurs d’activité. Ce n’est pas une question de salaires qui sont plus attractifs qu’à l’étranger. Nous demandons un vrai effort d’orientation professionnelle, d’essayer d’intéresser les jeunes à la vie des entreprises et, parallèlement, de faire converger progressivement le statut du fonctionnaire avec le statut du privé pour permettre des passages de l’un à l’autre, ce qui est très difficile aujourd’hui. Sans oublier d’ouvrir un peu la fonction publique, qui sert tout de même 48% de résidents qui n’ont pas le passeport luxembourgeois.

Craignez-vous que la prochaine mandature soit celle où l’on demande au monde de l’entreprise de remettre la main à la poche?

«Nous plaidons pour des entreprises qui soient prospères, compétitives grâce aux aspects fiscaux, au droit du travail, aux infrastructures, à l’ouverture du pays sur l’étranger, au multilinguisme… c’est un ensemble. Certains partis veulent baisser l’imposition des entreprises. Le taux moyen au niveau de l’OCDE est de 21%, nous sommes à 26%. Pour un pays ‘business-friendly’, ce n’est pas optimal. Or, nous avons besoin d’investisseurs étrangers pour faire tourner l’économie luxembourgeoise. Quant à d’éventuels sujets qui pourraient s’avérer plus difficiles, nous pensons qu’ils devraient principalement être discutés au niveau de l’entreprise, dans le cadre du dialogue social. 

L’erreur serait aussi de dire que nous ne voulons pas de certaines activités.

Michel Wurth, président de l’UEL

Est-ce que le débat sur la croissance du Luxembourg vous étonne?

«Non, et nous devons le mener. Ce débat nous concerne au premier chef, puisque ce sont les entreprises qui génèrent la croissance. Comme tout le monde accepte l’idée que les salaires devraient être payés en fonction de la productivité, la question de la productivité est primordiale. Or, l’enjeu est de réaliser la croissance grâce à la productivité, ce qui revient au concept de la croissance qualitative.

Quels sont les défis des entreprises que le prochain gouvernement devra prendre en compte?

«Les entreprises ont deux défis. Le premier est celui du digital, et le deuxième est celui de la transition environnementale. Toute politique doit essayer d’accompagner les entreprises à aller le plus rapidement possible sur ces deux chemins. Je prends pour exemple l’initiative Let’z Shop, qui a été pensée pour rattraper le retard de nos commerçants dans l’e-commerce. Quant à la transition environnementale, les entreprises ne peuvent pas faire comme si le phénomène n’existait pas. Là aussi, la politique doit aider les entreprises. L’erreur serait aussi de dire que nous ne voulons pas de certaines activités. C’est la mauvaise réponse, car le climat ne connaît pas de frontière.

Vous faites référence aux dossiers de l’usine de yaourt Fage et de production de laine de roche Knauf, qui ont suscité des controverses politiques et in fine entraîné le départ du projet Knauf vers la France…

«Je ne connais pas le fond du dossier. Si des problèmes environnementaux se posent, il faut évidemment trouver des solutions, mais nous devons éviter d’envoyer de mauvais signaux à l’extérieur. N’oublions pas que les industries sidérurgique, chimique ou du caoutchouc font partie des bases de l’économie luxembourgeoise.

Le Luxembourg figure dans le top 5 des économies digitales selon la Commission européenne, mais avec des efforts à mener en matière d’e-gouvernement. Quelles sont vos priorités sur ce sujet?

«Nous devons mener une réflexion profonde sur un changement radical des processus. Il faudrait que l’État considère les citoyens et les entreprises comme des clients pour éviter les détours actuels des procédures qui entraînent, par exemple, un délai de sept ans avant une autorisation de PAP. La digitalisation permettrait d’aboutir à une administration plus légère tout en étant plus efficace. Ce n’est pas une question de compétence des fonctionnaires, mais une question de système. Notre administration gouvernementale est une organisation du 19e siècle, il faudrait parvenir à une organisation du 21e siècle, ce qui commence par la structure du gouvernement. 

Il faudrait que le Premier ministre ait le pouvoir d’imposer un certain nombre de décisions.

Michel Wurth, UEL

Il faudrait revoir les attributions des ministères?

«Il faudrait des ministères qui soient responsables pour des fonctions: une grande fonction économique et financière, une grande fonction sociale et droit du travail, une grande fonction formation et éducation, une grande fonction européenne et internationale. Cela impliquerait un nombre de ministres plus restreint avec des chargés de départements – qui pourraient être des secrétaires d’État ou des ministres délégués – qui rapporteraient à ces ministres. À l’image de l’organisation de la Commission européenne actuelle. Il faudrait aussi que le Premier ministre ait le pouvoir d’imposer un certain nombre de décisions, pour autant qu’elles découlent du programme gouvernemental.

Quel est le rôle du Premier ministre en 2018? Plutôt manager ou homme d’État?

«Il faut qu’il puisse exercer un vrai leadership. Il faut être le chef du gouvernement et la personne dans laquelle l’ensemble des citoyens et des résidents se reconnaissent. Les Premiers ministres ont toujours réussi dans leur fonction de représentation, mais il faudrait désormais renforcer l’autorité du chef du gouvernement.

Il était temps qu’il y ait un changement.

Michel Wurth, UEL

Les élections de 2013 ont permis en quelque sorte de rebattre les cartes politiques. Est-ce le principal bénéfice de ce scrutin anticipé?

«Je crois qu’il était temps qu’il y ait un changement, et je pense que les cinq années du gouvernement qui termine son mandat ont permis d’ouvrir la société luxembourgeoise, d’ouvrir un certain nombre de discussions, notamment sociétales, autour de l’intégration des non-Luxembourgeois, et finalement d’ouvrir le débat sur la croissance.

En voyant ressurgir la question identitaire, doit-on penser que le modèle d’intégration luxembourgeois a échoué?

«Le drame est d’avoir 48% de résidents qui ne participent pas au débat électoral, alors qu’ils sont peut-être plus positifs sur les résultats de la politique que les Luxembourgeois qui votent. Le peuple luxembourgeois a décidé, via le référendum, que l’octroi du droit de vote aux étrangers n’est pas une option. Que faut-il faire? Il faut faciliter le dialogue participatif, faciliter les naturalisations et ne surtout pas instrumentaliser cette question, car les étrangers contribuent de façon décisive à cette grande qualité de vie dont nous profitons ici.»