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Michel Pébereau (BNP Paribas): «La crise des subprimes, purement <br />américaine à l’origine, est progressivement devenue une crise des <br />marchés qui affecte donc l’économie réelle».  

Invité de la 26ème journée boursière, le président du Conseil de surveillance de BNP Paribas démonte les mécanismes de la tourmente financière, en analyse les multiples conséquences et propose des pistes exploratoires de sortie de crise.

«Nous savons tous depuis l’été 2007 que la sphère financière est entrée dans une période de turbulences qui ralentissent l’économie des Etats-Unis et celle de l’Europe. explique-t-il. La crise des subprimes, purement américaine à l’origine, est progressivement devenue une crise des marchés qui affecte donc l’économie réelle».

Crise de mauvais crédit

Une crise qui revêt les aspects classiques du mauvais crédit: «c’est à cause de la titrisation que cette crise est devenue une crise sur les marchés à court terme. Le retournement du marché immobilier américain a provoqué les défauts de paiement des bénéficiaires de ces crédits».

Le contexte de cette tourmente est double: «tout d’abord une croissance des liquidités bancaires issue de la politique financière américaine, qui s’accompagne en outre de déficits internationaux en paiements courants considérables. Cette crise a par ailleurs reposé sur une forte croissance de la production immobilière qui a amené une flambée des prix immobiliers».

Un certain nombre d’intermédiaires financiers ont voulu permettre à une certaine population d’accéder à la propriété, en leur proposant des crédits pour une durée plus longue, avec des taux ajustables, des amortissements différés et des conditions plus onéreuses pour l’emprunteur, pour compenser le risque.Amortissement différé à la fin du prêt ou bien intérêts négatifs. «Ces prêteurs tablaient sur une hausse des prix immobiliers persistante qui assurerait le remboursement des prêts. L’encours total des subprimes, sur ces quatre-cinq dernières années, représente ainsi quelque 1.200 milliards de dollars, soit 13% du total des encours de crédits aux Etats-Unis».

Crise des marchés

De plus, la titrisation a transformé cette crise de mauvais crédits en crise des marchés. Une partie des crédits n’ont pas été distribués par les banquiers, et ont fait l’objet de titrisations, que les banques pouvaient sortir de leur bilan.«C’est dans le créneau des subprimes que s’est développé un modèle qui consiste à mettre de côté la production de crédits immobiliers pour en avoir assez pour créer des titres et ensuite les mettre sur le marché».

Par ailleurs, pour structurer ces produits, les «mortgage brokers» et les banques ont fait appel à des agences de notation, «qui ont utilisé les mêmes échelles qu’ils appliquaient pour les Etats, les entreprises, les institutions et se sont fondées sur des statistiques de remboursement du passé, qui se situaient dans un contexte différent. La forte hausse des taux de défaut a donc mécaniquement entraîné la dégradation de certaines notes».

Crise de liquidité

Aussi, les investisseurs ont-ils eu une réaction immédiate de défiance, vis à vis des subprimes et des produits structurés. Entraînant ainsi une crise mondiale des marchés du crédit et de la liquidité et des perturbations profondes dans l’ensemble de la sphère financière. «Les gestionnaires d’actifs, les conduits et SIV, les banques, les rehausseurs de crédit, les assureurs… tous ont été plus ou moins sérieusement affectés».

De fait, plusieurs établissements de dimension moyenne ont été affectés par une crise de solvabilité, aux Etats-Unis et en Europe. «L’image des files d’épargnants venus retirer leurs avoirs a contribué à l’effet de propagation.La publication des résultats des banques au 3e trimestre n’a pas donné l’impression que les banques ont complètement maîtrisé les effets de la crise.La découverte de pertes significatives annoncées par une grande banque suisse a été de nature assez inquiétante».

Quelles leçons peut-on tirer de cette tourmente? «Il faut d’abord analyser les enchaînements qui ont impliqué les différents acteurs, avant de montrer comment l’ensemble des acteurs se coordonne pour maîtriser la crise et y mettre fin».

Tout d’abord, la distribution des crédits subprime a été assurée par les banques US et les «mortgage brokers»; ces derniers sans expérience du risque de crédit, n’étaient soumis à aucune surveillance prudentielle.

De plus, «les modalités de titrisation n’ont pas toujours été très claires, même pour les professionnels. Les produits ont été assez complexes, trop pour donner le sentiment d’une bonne transparence». Par ailleurs, les conduits et SIV ont pris des risques de liquidités alors que leurs fonds propres ne leur permettaient pas.

Crise systémique?

Les agences de notation ont leur part de responsabilité: «on n’a pas toujours eu la main heureuse en termes de notation. Lorsque la crise a éclaté, les acheteurs ont découvert que les meilleures notations n’ont pas d’influence lorsque les marchés sont en crise. Personne n’imaginait la paralysie du marché…».Pour leur part, les investisseurs ont eux aussi joué un rôle significatif dans la propagation de la crise. «Les gestionnaires d’actifs ont voulu obtenir un rendement au-delà des rendements classiques, pour répondre aux demandes de leurs propres clients. Ils se sont engagés aussi dans des opérations de transformation».

Pour remédier à ces dysfonctionnements, les différents acteurs ont concentré leurs efforts pour maîtriser cette situation. «La solidité des grandes banques internationales est bien assurée, avec l’accumulation de fonds propres des riches années. Quant aux banques de moindre dimension qui ont rencontré des soucis de liquidité, leurs problèmes ont été réglés au cas par cas dans chacun des pays».

Les banques centrales sont de leur côté largement intervenues pour maîtriser la situation. «La Fed a procédé à des baisses substantielles de ses taux. Le gouvernement américain a engagé un vaste programme budgétaire pour limiter la liquidation d'actifs immobiliers. Grâce à leur mobilisation, tout risque systémique a pu être évité».

Sorties de crise

Quelles sont les sorties de crise possibles? Un bon fonctionnement du marché est indispensable pour assurer un bon financement de l’économie mondiale. «Pour assurer le rétablissement des marchés, il faut restaurer la confiance des investisseurs. Et le prévoir à long terme». Pour Michel Pébereau, cela suppose le retour à une rigueur dans la prise de risque à l’octroi de crédit, que Bale II devrait permettre d’assurer. Les agences de rating doivent, elles, revoir leur méthode de notation et résoudre les conflits d’intérêt qu’engendre leur financement par les institutions. Quant aux normes comptables, si la comparabilité des comptes des entreprises européennes, ne doit pas être remise en cause, il faut appliquer avec discernement la règle du marquage au marché, de l’ensemble des livres comptables.

Enfin, il faut renforcer la supervision bancaire. «Il est prévu un élargissement de la régulation de la Fed (et non plus de la seule SEC), avec un contrôle étendu aux «mortgage brokers», conduits et SIV (Special investment vehicle). «En Europe, il faudrait que le dispositif prudentiel soit plus efficace. Si la crise avait conduit à la faillite d’une banque transfrontalière, les autorités auraient été désarmées. Aujourd'hui, la supervision européenne reste dangereusement fragmentée».

Il est donc souhaitable que les responsables de l’économie mondiale s’interrogent sur les origines des grands déséquilibres, mais aussi sur les moyens de coordonner les politiques nationales pour assurer à long terme la croissance de l’économie dans la stabilité. «Il est temps de définir le nouvel ordre économique et financier international qui permettra à notre planète de relever le défi de la globalisation et du 21e siècle».