Une des pistes évoquées est de retirer le coût des carburants du panier de référence. (Photo : David Laurent / Wide/archives)

Une des pistes évoquées est de retirer le coût des carburants du panier de référence. (Photo : David Laurent / Wide/archives)

Sauf énorme surprise, les députés devaient voter cet après-midi le projet de loi 6378 sur la modulation de l’index pour les trois prochaines années. Le début de la séance publique était fixé à 14 heures. Le texte prévoit une seule tranche indiciaire par an en 2012, 2013 et 2014 et le report de la prochaine augmentation générale de 2,5% à octobre 2012. Analyse et enjeux de ce mécanisme ancré dans le paysage luxembourgeois.

L’année politique et sociale 2012 a commencé comme 2011 avait fini, dans une ambiance à la fois morose et volontariste. Le Grand-Duché de Luxembourg fait encore partie du petit train des pays cotés triple A, mais rien n’est acquis ad vitam æternam. La devise du pays, Mir wëlle bleiwe wat mir sinn (Nous voulons rester ce que nous sommes), résonne avec une acuité nouvelle. Car, pour garder son statut, le Luxembourg doit s’adapter. C’est tout le sel du débat sur la compétitivité du pays : des changements semblent s’imposer, mais le changement fait toujours l’objet de résistances, surtout quand on ne s’entend pas sur les choses à changer…

L’indexation est, à cet égard, le sujet le plus délicat. Rimant avec crispation, elle a focalisé les commentaires, a fait à elle seule capoter la Tripartite et n’a sans doute pas fini de conditionner les rebonds de la vie politique luxembourgeoise.

L’adaptation automatique des revenus à la hausse du coût de la vie est ancrée dans le paysage – elle a pratiquement 100 ans ! Elle est aussi ancrée que le modèle de décision tripartite, unique au Grand-Duché, auquel elle fait battre de l’aile. Mais ce système d’indexation automatique peut paraître exotique, aux yeux d’observateurs européens et mondiaux : seuls deux pays le pratiquent, la Belgique et le Luxembourg.

L’indexation automatique est d’ailleurs assez controversée en Europe. Prédécesseur de Mario Draghi à la tête de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet avait en son temps déjà émis de sérieuses réserves à l’égard d’une pratique qui, selon lui et bon nombre d’analystes macroéconomiques, risque d’alimenter l’inflation et de menacer l’emploi à terme. À cela, d’autres répondent par une vision qui se focalise moins sur les dangers de l’inflation que sur les risques de baisse d’activité. L’actuel président italien de la BCE est manifestement davantage porté sur le levier de la croissance, à ne pas sacrifier sur l’autel de la lutte contre l’inflation.

Le choix discrétionnaire des paramètres

Cela peut sembler éloigné des préoccupations luxembourgeoises. Et pourtant : à l’échelle globale, sur le palier européen ou à hauteur de marche luxembourgeoise, tout est question de points de vue, de politique (plus ou moins sociale ou néo-libérale), d’influences contraires et de choix à poser, pour actionner les leviers idoines.

Ainsi, dans le débat sur la compétitivité, le choix des indicateurs de référence est un premier enseignement. Au Luxembourg, l’Observatoire de la Compétitivité s’appuie sur un tableau communément admis, qui s’articule en 10 grandes séries d’indicateurs : les performances macroéconomiques, l’emploi, la productivité et le coût du travail, le fonctionnement des marchés, le cadre institutionnel et réglementaire, l’entrepreneuriat, l’éducation et la formation, l’économie de la connaissance, la cohésion sociale et, enfin, l’environnement. « En parlant de compétitivité, il faut dire que tout le monde ne parle pas de la même chose, écrivait le (désormais ex-) ministre de l’Économie Jeannot Krecké dans le préambule du Bilan Compétitivité 2011 du Luxembourg (octobre 2011). Le concept de compétitivité au sens large utilise des éléments de soutenabilité structurelle à long terme prenant en compte un large éventail d’indicateurs économiques, sociaux et écologiques. Dans les discussions qui nous préoccupent actuellement, le gouvernement, tout comme certains partenaires sociaux, se réfère le plus souvent à ce concept. En revanche, les entreprises s’intéressent fort légitimement à la compétitivité-coûts à court terme. »

La productivité et le coût du travail sont, donc, au cœur de la question de l’indexation, puisque des salaires indexés gonflent la colonne « coûts » des entreprises. Si la compétitivité – au sens large – du pays, ne s’est pas vraiment dégradée, l’économie luxembourgeoise clignote sur des feux que soulignent les entrepreneurs et sur lesquels appuie aussi le ministère de l’Économie : l’augmentation plus rapide du coût de production par rapport à la productivité. « Les classements établis par certaines grandes institutions internationales mesurant la compétitivité, même s’ils peuvent prêter le flanc à la critique puisqu’ils dépendent d’un choix discrétionnaire des paramètres pris en compte, doivent également être suivis de près car les décideurs économiques les scrutent attentivement, concluait Jeannot Krecké. Et pour un pays, toute détérioration de tels indicateurs nuit à son attractivité en tant que terre d’accueil des investisseurs. »

À chaque étape de l’analyse, le choix des critères utilisés pour établir des indicateurs et les mettre en perspective s’avère à la fois subjectif et déterminant. Il faut encore, ensuite, équilibrer les plateaux de la balance. Par exemple, au critère « coût de production » ne répond pas nécessairement « productivité ». Et à la compétitivité des entreprises, les défenseurs des salariés répondent volontiers par le maintien du pouvoir d’achat. Car le salarié est aussi consommateur. Au Luxembourg ou dans son pays de résidence, ce qui n’émeut pas les responsables politiques de la même façon… « Le pouvoir d’achat, c’est la notion centrale, clame Jean-Claude Reding, à la fois porteur de la casquette rouge de leader du syndicat OGBL et président de la Chambre des Salariés. Le franchissement d’une tranche indique qu’il y a un retard à rattraper entre le coût de la vie tel qu’il est mesuré et le niveau des revenus. On est dans le registre de la compensation par rapport à un fait établi. » Tout est donc dans l’établissement du fait…

Les scénarios les plus divers

Au Luxembourg, l’établissement d’indices des prix à la consommation a débuté au début des années 20, au siècle dernier. L’indice national actuel (IPCN), entré en vigueur en janvier 1997, se conforme à la réglementation communautaire concernant l’indice des prix à la consommation harmonisé sur le plan européen (IPCH). Il se distingue de ce dernier par le seul fait qu’il est pondéré, en excluant les dépenses de consommation des non-résidents sur le territoire luxembourgeois, alors que depuis l’année 2000, l’IPCH les inclut.

L’indice est établi mensuellement. Il se présente sous forme d’indice-chaîne, dont la pondération est ajustée tous les ans afin de tenir compte des modifications dans les habitudes de consommation des ménages. L’indice est établi sur base d’un panier reprenant les principaux biens et services. Schématiquement, si les prix montent, l’indice grimpe. Et si l’indice dépasse les 2,5 % d’augmentation, les salaires sont automatiquement majorés d’autant.

C’est simple. Et pervers à la fois. Chaque donnée peut jouer sur le taux d’inflation, sur la valeur absolue des échanges commerciaux, sur les tranches d’imposition des salariés, sur les recettes fiscales de l’État... Et c’est plus ou moins marqué selon le panier considéré.

En fait, les scénarios peuvent être extrêmement variés. Il existe d’ailleurs, dans les tiroirs du Statec, des simulations détaillées et chiffrées. L’institut statistique a identifié huit différents types de modulation, allant du changement de la composition du panier de référence servant à déterminer l’IPCN jusqu’au plafonnement du système d’indexation globale par l’introduction d’une tranche indiciaire maximale, en passant par la neutralisation de certaines hausses de prix ou taxes, l’introduction d’un décalage temporel entre l’échéance d’une tranche indiciaire et son application aux salaires, l’introduction d’un délai minimum entre deux tranches, l’introduction d’un seuil d’exclusion des produits pétroliers, ou une suspension temporaire du mécanisme. L’un dans l’autre, le Statec disposait, dès 2010, d’un total de 152 scénarios de modulations… Cela étant, les statisticiens officiels en étaient arrivés à la conclusion que les différences entre les variantes de modulation du système d’indexation sont assez faibles…

Néanmoins, le gouvernement luxembourgeois s’intéresse, entre autres hypothèses, à la logique de « l’indice santé » : cet autre agrégat est obtenu par la soustraction, du panier de référence, des boissons alcoolisées, du tabac et des carburants. En Belgique, depuis janvier 1994, l’indice santé est déduit de l’indice des prix à la consommation. Mais les carburants, par exemple, peuvent aussi être scindés, entre combustibles domestiques et énergie automobile.

Positions, oppositions

Alors ? Il reste les convictions des différents camps. En ce début d’année 2012, avant le vote de la proposition gouvernementale soumise aux députés, toutes les parties se sont exprimées. Les syndicats ont parfois des termes forts, voire des approches catastrophistes, en imaginant de lourdes pertes sur les salaires, que les simulations ne prédisent pas à ce point. Globalement, les positions ne se sont pas vraiment rapprochées, même si, ici ou là – dans le discours de l’UEL par exemple –, on a pu ressentir quelques accents moins aigus, moins focalisés sur la seule question de l’indexation en l’occurrence.
Il va falloir passer aux décisions. Le gouvernement en a déjà pris, avec prudence. Ce n’est pas fini : il va falloir avancer, déterminer une ligne et s’y tenir. La ligne devra tenir compte de tous les paramètres.

L’économie globale a ses règles, selon lesquelles jouent des multinationales, comme ArcelorMittal : la compétitivité et la concurrence ne se mesurent pas seulement d’un pays à l’autre, mais d’un site à l’autre. Entre secteurs, les visées peuvent être très différentes aussi. Les PME – la majorité du tissu économique grand-ducal – ont des perceptions encore différentes, souvent plus immédiates en termes de besoins de trésorerie, de lutte contre la crise, d’embauche ou de développement. Les salariés sont tous concernés, mais pas tous à la même échelle. En outre, comme il y a les résidents et les non-résidents, il y a les électeurs et ceux qui ne votent pas au Luxembourg, ce qui n’est pas anodin dans un débat éminemment politique. Les décideurs doivent aussi tenir compte de bien d’autres paramètres, chiffrés et potentiellement indexables, comme le salaire minimum, les allocations sociales, les pensions…

Bref, toutes les positions sont respectables et l’équation est difficile. Tous les chiffres ont leur poids et chaque virgule compte. Même si l’index n’est pas, pour toutes les phalanges actives dans le microcosme luxembourgeois, l’élément majeur du débat, mettre le doigt dans l’engrenage peut faire mal.

 

Économies - Vers 2014 et au-delà…

Le projet de loi 6378, concocté par le gouvernement Juncker-Asselborn à la mi-décembre 2011, entend proposer « un élément qui contribuera à donner un certain répit aux entreprises et accessoirement aux finances publiques et qui permettra aussi de mettre en place, jusqu’en 2014, une protection contre les chocs salariaux inflationnistes ».
La modulation introduite reporte la tranche indiciaire initialement prévue en mars 2012 à octobre 2012. Puis prévoit au maximum une indexation par an, en octobre, puis en 2013 et 2014, avant un éventuel retour au système automatique. Autant dire que les réformes futures seront à prendre par le prochain gouvernement.
En attendant les effets macroéconomiques indirects, les inflexions de fin 2011 auront produit des effets comptables. Selon une fiche financière jointe au document parlementaire, « la réduction du coût salarial réalisée par la modulation du système d’indexation des salaires, traitements, pensions et rentes à l’indice du coût de la vie se chiffre, avec un retard supposé de sept mois par rapport à la situation non modulée en 2012 ainsi que la modulation à intervenir au cours des années 2013 et 2014, à 443 millions d’euros dans le chef de l’ensemble des employeurs ». Dont 79 millions seraient « épargnés » par le secteur public.