« Toutes les conditions, d’authenticité, d’intégrité et de lisibilité, sont censées être remplies. » (Photo : Luc Deflorenne)

« Toutes les conditions, d’authenticité, d’intégrité et de lisibilité, sont censées être remplies. » (Photo : Luc Deflorenne)

Sur le plan de la dématérialisation et de l’archivage électronique – et si l’on tient compte des seuls pays européens – le Luxembourg a toujours été précurseur. La loi et le règlement grand-ducal du 22 décembre 1986 considéraient déjà la dématérialisation d’originaux comme ayant valeur juridique, dès lors que certaines règles étaient respectées. Cette législation a ouvert la possibilité de dématérialiser les documents d’entreprise tels que les factures, les contrats, etc.,
avec l’obligation de retracer leur authenticité au travers de preuves qui restent à la charge de l’entreprise. Il réside cependant le facteur suggestif inhérent à cette forme de preuve.

En parallèle, certaines législations spécifiques ouvrent encore aujourd’hui la porte à la dématérialisation ou à la conservation électronique, en matière de TVA par exemple. « On se rend mieux compte de l’avancée du Luxembourg dans ce domaine en faisant des comparaisons avec certains autres pays européens. En Belgique par exemple, il n’existe pour l’heure aucune législation qui admette à 100 % une valeur probante identique entre original et document dématérialisé », explique Me Vincent Wellens, avocat aux barreaux de Bruxelles et de Luxembourg, et à la tête du département IP/ICT & Competition au sein de l’étude NautaDutilh. Le nouveau projet de loi, attendu fin 2012, permettra de renforcer le poids d’une copie numérique, lui apportant plus de consistance et une présomption d’équivalence à l’original. Il devrait également connaître un nombre de conditions similaires au règlement de 1986. La loi ne va donc pas être modifiée de fond en comble.

La différence va essentiellement résider dans la création d’un nouveau statut pour une série de professionnels accrédités par l’Ilnas (l’Institut luxembourgeois de la normalisation, de l’accréditation, de la sécurité et qualité des produits et services). On verra apparaître les PSDC, pour prestataires de services de dématérialisation et/ou de conservation, un statut et une accréditation voulant aller plus loin que la certification ISO 27001.

« Si une entreprise passe par un prestataire accrédité pour la dématérialisation de ses documents, toutes les conditions, d’authenticité, d’intégrité et de lisibilité, sont censées être remplies », ajoute l’expert en droit des nouvelles technologies.Cette loi va apporter un renforcement de la réglementation en cours. Mais il ne faut pas perdre de vue que, de facto, la dématérialisation est déjà bien présente dans le quotidien des entreprises. Il en est ainsi pour les documents dématérialisés à la base (les e-mails par exemple). Et l’ouverture offerte par la législation sur le commerce électronique (adoptée en 2000 et modifiée par la suite) permet de conclure des contrats par la voie virtuelle, alors que la législation en matière de TVA acceptait déjà l’établissement de factures sous forme électronique. « Une facture assortie d’une signature électronique ou les échanges de données informatisées constituent actuellement des factures valables, spécifie Me Vincent Wellens. Cette législation va également être modifiée (suite à une directive UE de 2010) et permettra, entre autres, de facturer sur tout support électronique à condition qu’une piste d’audit puisse en établir la fiabilité. »

 

Pour l’instant, une facture envoyée en format PDF par exemple, n’est, à proprement parler, pas légale. Mais bientôt, la nouvelle législation clarifiera la chose, pour autant que l’on puisse tracer toutes les étapes de la conversion, afin de vérifier son authenticité. Ce changement concerne l’établissement de factures électroniques, la loi sur la TVA ayant introduit des possibilités d’archivage électronique de factures en 2003.

Un projet incitatif

À côté de la réglementation de 1986, de nombreuses lois abordent la problématique de la dématérialisation et mettent les documents numériques au même niveau que les originaux. Il est à espérer que le futur cadre juridique donnera lieu à une discussion sur une meilleure harmonisation des règles existantes afin d’éviter qu’une entreprise soit amenée à suivre, par exemple en matière de TVA, des règles trop différentes de celles appliquées en droit civil pour la dématérialisation et l’archivage électronique.

Certaines voix s’élèvent en effet, sur l’air de « le Luxembourg va perdre son côté précurseur ». Cela étant, le fait d’avoir pris le temps a permis d’inclure, dans le nouveau texte, certains développements qui ont récemment eu lieu au niveau européen. « Un nouveau règlement européen, qui va prochainement remplacer la loi sur la signature électronique, renforçant notamment la valeur d’une telle signature et instaurant un cachet électronique des personnes morales » pourra ainsi être considéré par les législateurs nationaux.

Par ailleurs, le même projet de règlement a pour vocation d’introduire le principe d’équivalence de documents électroniques dans l’Union européenne (et donc pas seulement au Luxembourg), dès lors que leur intégrité, authenticité et lisibilité sont prouvées. L’impact d’une telle solution à l’échelle européenne ne doit pas être sous-estimé. « Beaucoup d’entreprises travaillent à l’étranger et peuvent donc potentiellement se retrouver dans une autre juridiction
que le Luxembourg. Quelle sera alors la valeur des documents dématérialisés ? Et si le tribunal, à l’étranger, vient à demander les originaux préalablement détruits ? Il s’agit d’aspects dont il faut tenir compte. Mais le futur règlement européen réduira fortement les risques, car il permettra aux documents dématérialisés au Luxembourg d’avoir également une valeur probante ailleurs dans l’Union », observe Me Wellens. Même si le domaine de la dématérialisation s’européanise, « donner d’ores et déjà de la chair aux conditions d’intégrité et d’authenticité reste important pour le Luxembourg, afin de gagner en crédibilité et d’assurer son rôle de précurseur en la matière ».

Ainsi, si le projet de loi se présente comme une avancée indéniable, Me Wellens espère que cette future réglementation sera rendue explicite, voire pédagogique, pour apporter une vue d’ensemble aux entreprises. Vincent Wellens conseille les sociétés qui veulent dématérialiser leurs documents « de s’y prendre dès maintenant, même si la loi n’est pas encore entrée en vigueur, car les conditions techniques pour la dématérialisation et l’archivage électronique sont connues. Ainsi, ces entreprises prendront les devants sur le plan opérationnel, car la dématérialisation, en soi, demande un travail de préparation conséquent. »