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 ? et entraîné dans sa chute 27 employés à Luxembourg

29 mars 2001, Londres, fief de la marque de vêtements, cosmétique et alimentation Marks & Spencer, annonce tout bonnement par e-mail que sa décision est prise: ses 38 magasins répartis sur le continent européen seront fermés avant la fin de l'année, à moins qu'ils ne trouvent repreneur. 

Près de 4.400 travailleurs sont concernés par cette "mesure", décidée parce que le groupe connaît depuis 3 ans une baisse de ses bénéfices ?  le 22 mai 2001, le bénéfice annuel avant impôts et hors charges exceptionnelles pour l'année 2000, clôturée au 31 mars, était de 480 millions de livres (environ 767,4 millions d'Euro), contre 517,2 millions de Livres (environ 825,34 millions d'Euro) pour 1999.

Décidé à prendre le taureau par les cornes, le géant balaye allègrement dans les contrées européennes, à l'exception des magasins anglais, dont la santé lui semble moins problématique.

Neuf mois plus tard, le 22 décembre, les employés de Marks & Spencer Luxembourg et le syndicat qui les a soutenus ? le LCGB (Lëtzebuerger Chrëschtleche Gewerkschafts-Bond), syndicat pour ouvriers, employés privés, fonctionnaires et retraités ? n'assistent pas à la (re)naissance d'un nouveau magasin, puisque le repreneur tant attendu n'est jamais venu, mais bien à la descente définitive du rideau de fer dans la galerie d'Auchan au Kirchberg.

Une douloureuse page vient de se tourner pour les 18 employés qui n'avaient pas encore quitté le navire, croyant plus longtemps que d'autres à une reprise.

Des employés soutenus jusqu'au bout, puisque les représentants du LCGB étaient présents durant le dernier après-midi devant le magasin pour leur marquer leur soutien et sensibiliser les passants à la situation' c'est pourtant à un magasin déjà fermé qu'ils se sont heurtés ? la direction ayant fait tomber prématurément, à midi, le voile, par "précaution."

La direction

Que s'est-il passé entre ces deux jours noirs du 29 mars 2001 et du 22 décembre? Du côté de Marks & Spencer, les restrictions semblent porter leurs fruits, puisqu'on a enregistré une hausse de 20,1% du bénéfice avant impôts et hors charges exceptionnelles au 29 septembre 2001 (1er semestre 2001).

Ici, Fabrice Gautron, manager de la succursale luxembourgeoise de Marks & Spencer, ne souhaite pas s'exprimer sur la fermeture du magasin après seulement 3 années d'activité au Kirchberg. Quelques jours avant la date fatidique, il expliquait: "le personnel et moi-même ne désirons avoir aucun contact avec la presse. Comprenez-nous, nous voulons simplement terminer dans la dignité? notamment juste avant les fêtes". Contacts que la presse a pu prendre auprès du syndicat LCGB.

Au niveau des soutiens précieux, le LCGB a pu compter sur le ministère du Travail, celui de l'Economie et l'Administration de l'Emploi. En outre, deux avocats luxembourgeois ont traité le dossier, en prenant en compte le contexte luxembourgeois.

Patrick Zanier, secrétaire syndical au LCGB en charge du dossier Marks & Spencer: "Nous les remercions pour leur compréhension du problème. Ils ont négocié sur base du dialogue social qui existe au Grand-Duché, et qui n'est pas le même que dans les autres pays" (voir encadré page 28).

Espoir de reprise déçu

Patrick Zanier s'exprime par contre avec une passion à peine contenue et n'épargne pas les membres de la direction: "Ils ont joué avec le personnel, surtout la direction anglaise, qui a eu une attitude 'poker face'. Nous voulions une reprise, nous l'avions puisque Bram (NDLR: magasin de textiles installé au City Concorde, et dépendant du munichois Modehaus Koehnen) était très intéressé, mais elle a été négligée. Bram n'aurait pas offert assez? mais la direction a vraiment laissé traîner le dossier. Chez les professionnels du textile, les achats pour l'année suivante doivent se faire bien à l'avance, et il aurait fallu avoir une réponse avant septembre, ce qui a été promis? mais n'a pas été tenu. Nous avons eu pas mal de problèmes avec la direction du Grand-Duché, qui n'a pas eu de pouvoir de décision. Fabrice Gautron était un exécutant. Il a joué une carte très fausse et n'était même pas à la table des négociations pour le plan social. Nous avons toujours dû négocier et discuter avec les représentants de la direction belge".

Comme c'est souvent le cas en matière syndicale, les premiers contacts entre les employés de Marks & Spencer et le syndicat ont eu lieu suite à l'annonce de la fermeture. "Les gens sont venus frapper à la porte du LCGB pour les défendre. Certaines personnes étaient déjà syndiquées, mais la majorité ne l'était pas. C'est toujours comme ça: on n'appelle pas les pompiers avant que la maison ne brûle", explique Patrick Zanier.

Début avril, tout le personnel s'est donc syndiqué au LCGB. L'OGBL (Onofhängege Gewerkschaftsbond, Conférédation Syndicale Indépendante du Luxembourg) a souhaité assister à la table des négociations en vue de la création d'un plan social mais, étant donné qu'ille n'avait pas de membres, le LCGB a refusé. 

La première des choses négociées une fois l'action du LCGB lancée fut d'avoir toujours en ligne de mire l'hypothèse d'une reprise. Une des conditions à respecter par Marks & Spencer était de payer une formation en luxembourgeois au personnel, formation qui se déroulait 2 fois par semaine pendant 1h30 et pendant les heures de travail. La raison' "C'était une chose très importante dans cette hypothèse de reprise. Bram était vraiment dans le coup, et c'était indispensable pour le personnel de connaître le luxembourgeois. J'ai eu des négociations avec Münich qui me confirmait que Bram reprendrait tout le personnel, au cas où les circonstances de reprise seraient valides". A ce moment, la situation était donc  "très très positive", et le LCGB a tout joué sur le dossier Bram, étant donné que la meilleure convention collective dans le domaine du textile au Luxembourg est la leur, "les conditions de travail et rémunérations étaient très intéressantes".

Toujours sur la lancée de cette hypothèse de reprise, le LCGB est parvenu à introduire une prime de maintien pour motiver les gens à rester jusqu'à la fermeture ? comme noté précédemment, 9 personnes ont quitté Marks & Spencer Luxembourg entre le 29 mars et le 22 décembre. Patrick Zanier se montre satisfait de cette prime: "Toutes les personnes ont eu une rémunération supérieure de 15% pendant les heures prestées depuis l'annonce de la fermeture jusqu'au dernier jour de travail'.

Mais le repreneur n'est jamais venu. Et les rumeurs des Galeries Lafayette reprenant tous les magasins Marks & Spencer d'Europe, outre les magasins français, ont rapidement été démenties. A la mi-octobre est tombé le couperet: le magasin fermerait définitivement peu avant les fêtes de fin d'année. Les longues discussions et réflexions sur le plan social à adopter ont dès lors commencé (voir le témoignage de Patrick Zanier page 29).

Le sort des employés

Le rôle du syndicat ne s'est pas arrêté au 22 décembre. Suite aux démarches du LCGB, à ses contacts, une majorité du personnel de feu Marks & Spencer Luxembourg a pu être transférée. Patrick Zanier insiste: "C'est un personnel vraiment qualifié. Pas plus tard que cet après-midi (NDLR: début janvier), je verrai encore les autres personnes non encore replacées afin de les aider. Il n'y a plus que 3-4 personnes qui n'ont pas encore retrouvé du travail'.

Patrick Zanier indique également qu'en tant que personne licenciée pour un motif économique, lorsqu'un des anciens employés trouve un poste dont le salaire est inférieur à celui existant chez Marks & Spencer et que le contrat proposé est supérieur à 1 an et demi, il peut recevoir, pendant 4 ans,  l'aide au réemploi, c'est-à-dire l'équivalent de 90% de son ancien salaire.

Après Marks & Spencer, une autre chaîne textile fermera ses portes à Luxembourg, cette fois à la mi-2002. Il s'agit des 2 magasins de textile Superconfex.

Enfin, pour ce qui est du sort de l'emplacement de Marks & Spencer dans la galerie d'Auchan, "rien n'est encore signé", selon Immochan, la société qui commercialise la galerie Auchan du Kirchberg, avant d'ajouter qu'on "en saura plus à la fin du mois de janvier".

L'épilogue ne devrait donc plus tarder. Chez H&M, pressenti depuis des mois pour la reprise (d'une partie) de l'emplacement, Anselme van den Auwelant annonce que la chaîne dont il est le country manager pour la Belgique et le Luxembourg est "toujours en cours de négociations, mais plutôt dans le stade final', H&M et Immochan ayant tous deux de leur côté déclaré leur intention de se lier sur 2.200 m2 sur 3.000 laissés disponibles par Marks & Spencer.

Immochan a d'ailleurs signé une déclaration en ce sens. Mais on attend encore le nom de celui qui reprendra les 800 m2 restants. Certainement une autre marque de textile.

OUTSIDE

Des voisins plus ou moins chanceux

En Belgique, la fermeture des 4 magasins Marks & Spencer (Bruxelles, Anvers, Liège, Wijnegem) a également eu lieu le 22 décembre, n'ayant pu trouver de repreneur. En 1975, le magasin de la rue Neuve à Bruxelles avait pourtant été la symbolique première incursion, avec Paris, de l'enseigne sur le continent. 7,44 millions d'Euro de perte (au Luxembourg, pour l'exercice 1999, il s'agissait d'une perte de 670.000 Euro), c'était beaucoup trop pour le groupe Marks & Spencer.  Par ailleurs, les 2 magasins allemands et les 2 autres néerlandais ont également cessé leurs activités le 22 décembre.

Le bilan humain en Belgique? 265 travailleurs sur le carreau, alors que les magasins d'Espagne et de France ont quant à eux trouvé repreneur: les 9 magasins espagnols repris par El Corte Ingles et les 18 magasins français ont été revendus aux Galeries Lafayettes, "ce qui n'est quand même pas négligeable, puisque cela représente environ 1.500 personnes", statue Patrick Zanier, secrétaire syndical LCGB, avant d'ajouter qu'en France,  "les employés ont soit la possibilité d'accepter une indemnité de départ  largement inférieure à celle négociée ailleurs en Europe, ou celle d'être repris, avec une garantie d'emploi d'un an. C'est une décision difficile à prendre".

UN PLAN SOCIAL DIGNE DE CE NOM

Patrick Zanier (secrétaire syndical au LCGB)

"Une fois qu'a été écartée l'hypothèse d'un repreneur, à la mi-octobre, il nous a fallu mettre en place un plan social afin d'indemniser des travailleurs. Un plan social qui n'aurait bien sûr pas été dû si un repreneur répondant aux conditions existantes avait finalement été trouvé. Ce qui ne s'est malheureusement pas produit?

Le plan social au Grand-Duché est le plus cher de toute l'Europe, alors que Marks & Spencer n'a existé ici que 3 ans. Nous ne pouvions en conséquence pas jouer sur un fixe, nous avons dû travailler sur une rémunération basée sur l'ancienneté annuelle.

Bien avant l'annonce de la fermeture définitive, nous avions fermé le magasin le 1er juin. La grève a duré 4 heures. Suite à cela, la direction a bien compris que les choses ne se passeraient pas comme ça. Les négociations allaient bon train' mais sans voir de résultat.

Finalement, il y a eu une proposition patronale: le paiement d'un mois de salaire par année d'ancienneté. Le LCGB a pris cette proposition sous le bras et l'a présentée au personnel fin septembre'qui a catégoriquement refusé cette issue.

Selon l'article 24 de la loi de délégation du personnel, le personnel a le droit de se réunir une fois par an. Le magasin a donc été fermé pendant les 4 heures qu'a duré la réunion. Ce n'était pas une grève sauvage, la direction a accepté cette réunion' comme le prévoit la loi. La direction luxembourgeoise était conviée, mais a décliné l'invitation.

Le personnel m'a ensuite à nouveau mandaté pour renégocier avec la direction. Nous avons trouvé une solution, suite à de nouvelles longues discussions, mais encore fallait-il que les employés en acceptent le résultat.

La proposition suivante a été acceptée par le personnel : outre la prime de maintien de 15%, chacun reçoit 2,7 montants mensuels par année d'ancienneté, un 13è mois et une indemnité de départ. Cela veut dire qu'après 3 années passées chez Marks & Spencer, on reçoit plus ou moins 700.000 francs. Les employés ont déjà reçu cet argent.

Certaines personnes avaient de l'ancienneté supplémentaire à Liège ou encore à Bruxelles. Une de ces personnes avait 7 ans d'ancienneté et, pour elle, le plan social luxembourgeois applicable équivalait à 26 années d'ancienneté en Belgique! En plus, ici, ces montants sont nets, alors qu'en Belgique il n'existe pas d'exonération d'impôts sur les indemnités de départ ou sur un plan social. Les Belges ne disposent pas non plus d'une législation sur les plans sociaux. Au Luxembourg, la loi du 23 juillet 1993 règle ces plans, les licenciements collectifs, et certains délais doivent être acceptés.

Un plan social, ce n'est jamais bien. Mais c'est la dernière chose qu'on peut négocier pour tenter d'aider les gens qui se trouvent dans une situation difficile".