Mesdames, comment se déroule la succession au sein d’une entreprise familiale façonnée par ses parents durant de nombreuses années ?
Marianne Welter : « Ma sœur Viviane et moi avons grandi dans le contexte de l’entreprise, nous avons toujours eu l’habitude de travailler avec nos parents. Notre mère s’occupait de la comptabilité ; elle vient désormais un jour par semaine pour ne pas perdre le contact. Notre père garde un œil avisé sur les affaires, dont la négociation pour l’achat de nouveaux véhicules.
Comment les rôles sont-ils partagés avec votre sœur ?
M. W. : « Je m’occupe de la distribution au Luxembourg, ma sœur s’occupe des relations avec les clients internationaux, dont le fret aérien. Le transport international représente 85 % de notre chiffre d’affaires pour 2012.
Peut-on préciser l’organisation de l’entreprise ?
Viviane Welter : « Notre site de Leudelange s’étend sur 78.000 m2, dont 11.000 m2 de hall de stockage. Nous avons 500 salariés, comprenant 350 chauffeurs, dont une majorité de frontaliers. Nous possédons 40 véhicules pour le marché national, 250 véhicules tracteurs et plus de 300 semi-remorques pour l’international. Une partie de ces derniers est basée à l’aéroport pour le transport du fret aérien. Nous avons un garage employant 20 personnes et deux agences en douane. Afin de développer constamment notre entreprise, nous diversifions nos activités et recherchons en permanence de nouveaux challenges.
Quelles sont les pistes de diversification ?
M. W. : « Nous essayons d’optimiser les différents voyages. Si nous effectuons un chargement
chez un client en Allemagne et que celui-ci veut distribuer sa marchandise au Luxembourg, nous offrons bien évidemment ce service et garantissons la distribution via notre flotte nationale. Nous voulons développer ce service parallèlement au transport international.
Nous investissons également dans le transport de produits pharmaceutiques et celui de marchandises à haute valeur, ainsi que le développement du stockage et de l’activité de commissionnement.
Quels sont vos défis ?
M. W. : « Il faut gérer les coûts face à leur explosion actuelle. Nous avons besoin de carburant (27 % des frais) et de matériel (8, 5 % des frais) pour pouvoir travailler, mais ces frais, auxquels s’ajoutent
les coûts salariaux (42 % des frais), sont difficilement gérables. Nous donnons des formations de conduite économique à nos chauffeurs pour les sensibiliser à ces problèmes. Cette sensibilisation entre dans le cadre des 35 heures de formation continue que les chauffeurs doivent faire tous les cinq ans.
Nous devons aussi tenir compte de la concurrence, notamment en provenance des pays de l’Est qui peuvent pratiquer des prix très bas, sans pour autant assurer tous les voyages. D’une manière générale, nous voulons être à l’écoute du marché et rester réactifs. Notre structure d’entreprise souple ne permet pas une flexibilité à cet égard.
Quelle est votre réponse vis-à-vis de cette concurrence et donc, du marché européen ?
V. W. : « Nous avons une société à Bratislava où nous avons acheté un terrain et construit un immeuble. Trois employés sont sur le site et se chargent de la gestion journalière. Une partie de notre flotte y est basée, ainsi qu’environ 80 chauffeurs. Si nous n’avions pas opté pour ces investissements, nous n’aurions pas pu grandir et garder tous les camions.
Devez-vous assurer des transports particuliers ?
M. W. : « Oui, notamment à l’aéroport. Outre de grandes machines, nous avons dû transporter des rhinocéros pour un zoo. Quelle que soit la marchandise originale, c’est un challenge pour nous.
L’image du chauffeur routier évolue-t-elle au fil des années ?
M. W. : « Elle évolue entre les anciens chauffeurs, qui exercent ce métier par passion, et d’autres qui font ce métier par défaut. Mais ce cas de figure tend à se réduire, car c’est un poste qui nécessite un investissement et certaines contraintes – ne fut-ce que pour arrimer le chargement – et des connaissances informatiques pour le matériel à bord.
Quelle est la formation initiale pour devenir chauffeur ?
M. W. : « Il faut désormais effectuer une formation initiale de 280 heures pour apprendre le métier qui implique, entre autres, des règles de sécurité à respecter découlant d’une norme européenne. C’est un point positif, car s’ils effectuent la formation, c’est qu’ils veulent devenir chauffeur. Nous devons encore attendre que les personnes qui suivent cette formation initiale soient sur le marché.
Trouvez-vous la main-d’œuvre nécessaire pour étoffer vos effectifs ?
M. W. : « Nous recevons toujours beaucoup de CV, mais sur 10, nous n’en gardons habituellement
que trois, pour différentes raisons dont parfois un manque de motivation. Nous sommes attentifs aux personnes que nous recrutons, car nos chauffeurs sont en contact direct avec nos clients. Ils représentent la société à l’extérieur et sont parfois plus en contact physique avec les clients que nous-mêmes. La personne qui emploie les chauffeurs a donc une série d’instructions à leur donner dès le départ et nous effectuons ensuite des rappels.
Accordez-vous une importance à l’aspect environnemental lié à votre activité ?
V. W. : « Nous avons le label Novanaturstrum concernant l’énergie verte. Nous avons apposé des panneaux photovoltaïques sur le toit de notre dépôt l’an dernier. Nous voulons donc participer à une meilleure gestion de l’environnement, d’autant plus que nous avons également souscrit à l’action Superdreckskëscht pour gérer les déchets de notre atelier de manière responsable. Ces actions peuvent redorer quelque peu l’image du ‘camion pollueur’. Les nouveaux camions rejettent d’ailleurs moins de CO2, ce sont des investissements que nous faisons continuellement pour adapter le parc roulant à la préservation de l’environnement.
À quelle fréquence se passe le renouvellement du parc ?
V. W. : « Nous effectuons des changements tous les quatre à cinq ans. C’est notre père qui continue de s’occuper des véhicules, il fait cela depuis 50 ans.
Vous transmet-il des secrets d’entreprise ?
M. W : « Oui. Quand il est dans les bureaux, ce n’est pas uniquement pour écouter. Il donne encore régulièrement la voie à suivre sur différents sujets. Ce qui nous embête, c’est qu’il a souvent raison !
Quels sont vos projets pour 2013 ?
M. W. : « Nous voulons développer les transports de produits pharmaceutiques et à haute valeur, via notre implantation à l’aéroport. Cela nécessite un équipement spécial qui demande un investissement conséquent. Nous nous intéressons aussi à la préparation de commandes. Concrètement, les clients peuvent nous confier un stock et nous préparons ensuite les commandes particulières que nous livrons in fine. Ce créneau peut être porteur, car beaucoup d’acteurs ne veulent plus avoir de stock. Nous rentabilisons également les trajets qui impliquaient auparavant un retour pour Luxembourg le lendemain ou deux jours après la livraison. Maintenant, nous composons des voyages en plusieurs chargements, via différentes étapes.
Comment percevez-vous la volonté du gouvernement d’investir dans la logistique ?
V. W. : « Je remarque que cela prend du temps et que plusieurs organismes s’occupent de cette même question. Or, entre temps, nous devons avancer sur nos projets existants. Nous avions d’ailleurs effectué une demande pour rejoindre le site de Bettembourg, afin de pouvoir étendre davantage notre offre de services. Concernant la formation pour la main-d’œuvre appelée à travailler dans le secteur, je pense qu’il ne faut pas trop la complexifier. Ils doivent en effet apprendre
sur le terrain.
Vous êtes vice-présidente de la Confédération luxembourgeoise du commerce (CLC), quels sont vos combats ?
M. W. : « J’essaie de redorer l’image du transporteur qui est un métier très important. Nous l’avons vu par exemple lorsqu’il y a eu les intempéries il y a deux ans en raison de la neige. Certains supermarchés devenant mal approvisionnés à l’époque, les gens se sont rendu compte de l’importance du secteur.
Je garde aussi un œil attentif sur le futur du pays. Je note qu’il y a beaucoup de projets en route, mais il faudrait qu’ils avancent plus vite. J’invite aussi tout un chacun à être plus ambitieux, à avoir envie de réussir, car nous ne sommes plus sur une planète à part. Les régions avoisinantes tirent aussi leur épingle du jeu au niveau des commerces. Il faut donc améliorer le service au client au Luxembourg, c’est primordial. »