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Marco Sgreccia (Photo: Andrès Lejona 

Entrepreneur dans l’âme, l’actuel directeur du groupe Tracol a pourtant fait ses premières armes
dans le secteur public, avant d’effectuer le grand saut. Il en a tiré une expérience irremplaçable.

Monsieur Sgreccia, vous avez commencé votre carrière au Mediaport du ministère d’Etat, avant de passer dans le secteur privé et de vous retrouver, aujourd’hui, à la tête du groupe Tracol. Ce parcours suit-il un plan de carrière préétabli?

«Non, pas vraiment. J’ai toujours été très impulsif. Je suis arrivé au Service des Médias du ministère d’Etat en 1995, pendant la Présidence européenne assurée par le Luxembourg, avec un contrat à durée déterminée de 12 mois. En poche, un diplôme en sciences commerciales et financières. L’une de mes missions était d’attirer des investisseurs étrangers à Luxembourg dans le secteur des nouvelles technologies de l’information, qui était encore embryonnaire à l’époque. J’ai eu la chance de pouvoir être très proche des pouvoirs politiques. J’ai beaucoup voyagé, ce qui sous-entend aussi que j’ai beaucoup travaillé. C’était très intense. J’ai aussi été en contact fréquent avec le secteur privé. Lors de nos voyages de promotion, nous étions accompagnés de chefs d’entreprises telles que RTL, Astra, ou bien certains call centres.

Au terme de mon CDD, j’ai été engagé en tant qu’attaché d’administration, et j’ai passé un examen pour être fonctionnarisé. J’ai occupé ces fonctions pendant quatre ans. Il y avait notamment un aspect juridique très intéressant lorsque nous devions participer à la défense des intérêts du Luxembourg dans le suivi des directives auprès de la Commission européenne, ou du Conseil de l’Europe.

Pourquoi, alors, avoir quitté ce cadre qui semblait tant vous plaire?

«Le fait d’avoir été en contact permanent, pendant quatre ans, avec des entreprises du secteur privé a fini de me convaincre de franchir le pas. Je ne suis pas le seul à l’avoir fait, du reste, ce qui ne veut pas dire que la décision n’a pas été difficile à prendre. J’aimais en effet ce que je faisais. J’avais beaucoup d’amis et de contacts que j’ai d’ailleurs toujours aujourd’hui. Il y avait des possibilités de croissance, avec un cadre et un job très intéressants, mais j’étais vraiment trop attiré par le secteur privé… Je me suis alors redécouvert une âme d’entrepreneur, car ce goût de l’entrepreneuriat, je l’avais déjà. Finalement, le côté étonnant dans mon parcours est peut-être ce passage dans le secteur public!

Vous avez pris pied très tôt dans la vie active?

«Pendant mes études, j’ai régulièrement travaillé dans des entreprises et là, j’ai senti que ce serait ma voie. Mon père est électricien. Il tient un commerce de biens audiovisuels dans lequel j’ai travaillé également. Pourtant, ce sont mes parents qui m’ont toujours poussé à aller dans le secteur public! Le jour où je leur ai dit que je quittais le ministère d’Etat, c’était, pour eux, comme un monde qui s’écroulait…

Et vous débarquez donc chez Euroscript…

«C’était une société qui était détenue par un groupe français, Horus Finance, mais aussi et surtout par le groupe d’édition allemand Georg von Holztbrinck, qui employait à l’époque 12.000 personnes (aujourd’hui 17.000, ndlr). Ce groupe était détenu par Dieter et Stefan von Holtzbrinck, les deux fils du fondateur. Il était très actif dans le print et se positionnait comme le troisième groupe de médias allemand après le crash de Leo Kirch.

Chez Euroscript, je me suis occupé du développement d’unités en Europe de l’Est et de la délocalisation vers des pays qui étaient de nouveaux entrants dans l’UE. J’ai donc essentiellement voyagé dans ces pays lorsque l’Europe est passée de 15 à 27 pays.  Après trois ans, lorsque j’ai quitté Euroscript, nous avions 80 personnes en Pologne, une vingtaine en République tchèque et en Hongrie. La création de filiales dans des pays inconnus et dans un secteur d’activités que je découvrais a aussi constitué une expérience très enrichissante.

Pourquoi votre aventure chez Euroscript s’est-elle arrêtée après trois ans?

 «Parce qu’un beau jour, en juin 2003, mon cher cousin (Fabio Marochi, ndlr.) m’a appelé pendant que j’étais en vacances. Il m’informait que le patron de la société Tracol, dans laquelle il était alors employé, avait des difficultés avec sa société et qu’il souhaitait la vendre. ‘Ça te dirait de la reprendre?’, m’a-t-il demandé en substance.

Fabio, j’ai grandi à ses côtés, avec de très forts liens familiaux. Nous avons souvent eu l’occasion, par le passé, de collaborer sur des projets, en tant que ‘marchands de biens’. Nous avions déjà acheté l’un ou l’autre terrain ensemble, faisions une construction et la revendions. La proposition était tentante.

Entre une position clé dans une entreprise telle qu’Euroscript et ce grand saut dans l’inconnu, comment s’est opéré le choix?

«Paradoxalement, le déclic s’est produit à la suite d’une rencontre inattendue avec Stefan von Holztbrinck, le plus jeune des deux frères qui dirigeaient le groupe. Un soir, dans un dîner clôturant un séminaire, et où une cinquantaine de personnes étaient conviées, j’étais arrivé un peu en retard. J’ai pris la seule chaise qui restait et c’est là que je me suis rendu compte que je me retrouvais à côté du grand patron! Je suis conscient que j’ai un profil assez atypique. J’ai participé, en son temps, à la première ébauche sur la convention européenne en matière de signature électronique; je possède une bonne connaissance du milieu des médias; en tant que Luxembourgeois, j’ai une bonne maîtrise de plusieurs langues... Ça a dû plaire à M. von Holztbrinck car, quelques semaines après ce dîner, il m’a appelé pour m’annoncer qu’il me nommait dans un groupe stratégique composé de jeunes cadres, appelé à faire régulièrement des présentations auprès de la direction. J’avais alors 28 ans et j’étais le plus jeune de ce groupe, dans lequel siégeaient des cadres venant des Etats-Unis, d’Inde, d’Angleterre et surtout d’Allemagne… C’était un volet inattendu de mon expérience chez Euroscript mais qui m’a marqué. Et c’est sans doute ce qui m’a poussé à prendre une décision très rapide, lorsque Fabio m’a appelé. L’heure était venue pour moi de me lancer à mon compte.

Qu’aviez-vous retiré de votre expérience au sein de ce groupe stratégique d’Euroscript?

«J’y ai vu tous les aspects positifs de la réussite. Quand une structure est créée, qu’elle a son propre rendement et qu’elle ‘tourne’, on se dit que c’est facile. Je me suis dit ‘c’est ça qu’il faut faire’. C’est seulement après, quand on a repris la société Tracol, qu’on a vraiment vu ce que c’était de restructurer, de développer... Mon expérience s’est également nourrie du fait que j’ai participé à des rounds d’experts organisés par la Commission européenne. Là aussi, le fait de venir du Luxembourg offre une perspective différente. Lorsque vous siégez dans un conseil de l’Union européenne, chaque pays est représenté avec des délégations importantes. La délégation luxembourgeoise, elle, est souvent constituée d’une personne, au mieux deux. Votre nom est sur une liste et même si vous sortez du circuit, on vous recontacte en tant qu’expert externe pour représenter les intérêts du pays dans des réunions, auprès de la Banque mondiale, par exemple... Ce qui est très important aussi, à mes yeux, c’est que malgré tout ce parcours international, je n’ai pas perdu mon identité. Je n’ai, certes, pas un nom luxembourgeois, puisque je suis d’origine italienne. Mais je me sens vraiment plus Luxembourgeois qu’autre chose.

Cet esprit d’entreprise qui a toujours été le vôtre, comment le définiriez-vous?

 «Je crois que le moteur, à la base, c’est l’envie et la volonté de créer, puis de stabiliser ce qui est créé. Mon cousin et moi recherchons une très forte implication de la part des personnes qui montent à bord. A partir de là, nous déléguons et nous laissons une grande liberté de façonnage au management, tout en restant, évidemment, très présents auprès d’eux. Je considère cela plutôt comme une coopération, une fusion entre nous deux et nos cadres dirigeants. Du reste, certains de ces cadres dirigeants sont entrés dans le capital des structures dont ils s’occupent.»