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 (Photo : David Laurent/Wide)

Monsieur Houwen, DCL Group, ce sont cinq entreprises, sans compter LuxCloud, le ‘dernier né’… Comment se retrouve-t-on serial entrepreneur?

«Vouloir être entrepreneur, c’est quelque part en vouloir un peu plus que les autres. Ne pas simplement être responsable vis-à-vis de ses équipes, mais avoir un engagement vis-à-vis de ses actionnaires.

J’ai toujours eu envie de développer mes idées, de travailler pour aller au-delà d’une situation donnée. Une envie de faire plus, tout simplement. J’ai rencontré Xavier Buck et de cette rencontre est né Datacenter Luxembourg.

Je me souviendrai longtemps du moment crucial, lorsque je suis allé à la banque pour faire l’apport initial et obtenir le certificat de blocage pour la création de la société. En fait, l’argent que j’avais déposé, je ne l’avais pas vraiment… J’ai gratté les fonds de tiroir, tiré un peu sur la corde et rassemblé toutes les ressources qui me restaient.

Aujourd’hui, cette somme me fait sourire, mais à l’époque, ma foi, c’était plutôt conséquent. En fait, ce qui m’a le plus marqué, c’est que cet argent était le moyen de faire partie d’une aventure, de quelque chose qui est plus grand que soi.

De quelle manière s’est fait le développement du groupe, à partir de Datacenter? Avec beaucoup de réflexion ou beaucoup d’instinct?

«Etre entrepreneur, c’est beaucoup écouter son instinct. Si tout est analysé et regardé, si l’on fait trop de belles et grandes études de marché, je crois que l’on ne se lancera plus que dans des choses que tout le monde peut faire… et que tout le monde fait!

Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas réfléchir! Avant de lancer Datacenter, l’idée initiale était de créer un site Internet autour du développement personnel… On s’est assis autour d’une table, notamment avec Xavier Buck et Roger Greden qui jouait le rôle de business angel… Nous avons bien réfléchi, pour nous rendre compte que l’idée initiale ne nous aurait rien rapporté!

Mais nous avons continué à réfléchir, pour comprendre que nous pouvions nous positionner en un lieu qui est un peu le ‘centre d’Internet’… Une entreprise veut accéder au réseau? Il lui faut un prestataire… D’où Datacenter Luxembourg.

Quel est le point commun entre toutes les entités du groupe?

«C’est cette envie de se mettre ‘au centre d’Internet’. EuroDNS, c’est la gestion des noms de domaine indispensables pour le fonctionnement d’Internet et VoipGate, c’est la voix sur Internet. Quant à LuxCloud, ce sera l’occasion pour les développeurs de logiciels d’aborder facilement le marché… et de nous insérer dans les nouveaux modèles économiques qui arrivent avec le développement du Software as a Service (SaaS).

Internet est un secteur qui voit se succéder les crises et les innovations… Créer une société dans ce domaine, cela ne doit pas être simple…

«En tant que chef d’entreprise, on alterne fatalement les hauts et les bas. Lorsque l’on a des problèmes techniques, dont on est quelques fois la victime, on n’est pas bien. D’un autre côté, lorsque l’on réussit à gagner de nouveaux clients, on en retire une énorme satisfaction…

Du point de vue opérationnel, comment se fait l’apprentissage de la gestion de la croissance?

«Au départ, nous étions cinq amis, dont deux qui avaient des responsabilités opérationnelles. Aujour­­d’hui, nous sommes 100. L’apprentissage se fait tous azimuts! Par exemple, j’ai une plus grande proximité avec certains employés qui sont là depuis plus de huit ans. Elle n’est pas forcément comprise par d’autres, arrivés plus récemment. Ils ne peuvent pas, et c’est tout naturel, comprendre ce que nous avons traversé ensemble.

Mais donc, il faut effectivement mettre en place, avec la croissance, des structures intermédiaires. Au départ, nous étions les mains dans le cambouis. Xavier et moi, nous avons tout fait, même porté des racks pour les brancher dans nos salles informatiques…

Concrètement, je suis intimement persuadé qu’un dirigeant ne doit pas tout savoir jusqu’au moindre détail de ce qui se passe dans sa société… Ce qu’il doit savoir faire, c’est décider. Et décider, c’est comprendre les enjeux et les problèmes à résoudre, et trancher entre les différentes options.

Décider n’est donc pas simple?

«Il faut vouloir prendre des décisions et être prêt à assumer les conséquences… Nous avons eu dans le groupe des gens brillants – beaucoup plus brillants que moi – que j’imaginais facilement prendre de l’ampleur avec le temps, monter dans la chaîne des responsabilités. Mais un jour, ils ont arrêté d’évoluer, en étant paralysés par les conséquences possibles de leurs décisions.

J’ai aussi vu des salariés se révéler dans l’action… En les côtoyant, nous avons vu qu’ils étaient capables de trancher et de faire avancer les choses, puis d’assumer leurs choix, alors que ce n’était pas forcément les premières qualités que nous avions vues chez eux…

Il y a un dernier-né dans le groupe, c’est LuxCloud, dans lequel vous êtes également investisseur ‘à titre personnel’… Vous y croyez donc très fort?

«Je suis dans le métier depuis dix ans, et je me suis construit avec le temps ma vision de l’industrie. J’ai toujours eu envie de construire une espèce de ‘supermarché’ de l’Internet. C’est ce que nous tentons de faire, ensemble avec notre actionnaire LuxConnect et, notamment, ses dirigeants Edouard Wangen et Marcel Origer. C’est grâce à eux que nous avons pu relever cet extraordinaire challenge qu’est LuxCloud.

La période 2009-2010, c’est une nouvelle révolution dans le monde d’Internet. C’est le moment où tous les services convergent. Je veux que l’on y joue un rôle très important… et j’y crois. C’est également la raison pour laquelle j’apparais comme un investisseur personnel dans LuxCloud, en plus de la participation de Datacenter Luxembourg. C’est un nouveau challenge personnel.

Typiquement avec l’âge, très naturellement je pense, on a tendance à vouloir prendre moins de risques. On a une maison, une femme, des enfants… Il y a des phases où l’on a envie de calme et d’autres où l’on veut aller de l’avant.

J’ai 38 ans, et je suis fier de ce que j’ai fait, mais j’ai malgré tout le sentiment de ne pas avoir encore atteint ma destination finale… Peut-être que d’ici quelques années, je serai plus sage et que comme les bouddhistes, je comprendrai enfin que ‘le chemin est le but’, mais en attendant, j’ai encore envie d’avancer.

Je veux toucher au caractère exponentiel de la croissance d’Internet. C’est parce que je suis persuadé de l’opportunité unique de cette révolution que je m’engage à ce point dans LuxCloud.
Là, j’ai trouvé ma vocation. Au risque de paraître prétentieux, je pense que nous pouvons devenir le prochain RTL ou le prochain SES au Luxembourg. Le monde informatique de demain passera par Internet et par les services. Tout comme un transpondeur de satellite est le moyen indispensable de distribuer du contenu média, il y aura un prestataire qui permettra de faire le lien entre de nombreux producteurs et de nombres utilisateurs. C’est ce que LuxCloud fera.

Le Luxembourg vous semble donc bien placé pour cette bataille du cloud computing?

«Ces six ou sept dernières années, nous nous sommes battus pour qu’à Luxembourg nous ayons tout pour construire un environnement favorable à l’industrie d’Internet. Maintenant, c’est possible. Les centres de données sont là, la bande passante est là, la technologie est également là.

Dans d’autres domaines, les trains sont partis depuis longtemps, dans des pays où le potentiel était autrement plus grand. En matière de SaaS, par exemple, nous prenons le départ en même temps que les autres, et nous avons l’intention d’aller loin.

Pendant des années, j’ai vraiment beaucoup râlé sur la médiocrité des infrastructures dans le pays. Mais en deux ans, le Luxembourg a réussi à se rendre compte de la situation et des risques qu’il encourait à ne pas redresser la barre. Et le travail nécessaire a été fait. Le Grand-Duché reste quand même un des rares pays capables de changer, sur le plan économique, les choses, et de les changer vite et bien, une fois que la prise de conscience a été faite.

Quel est l’intérêt du SaaS?

«Pour les PME, l’enjeu, c’est de maîtriser leurs dépenses d’investissement. Les sociétés acceptent l’idée de payer pour un service avec des coûts variables selon leurs besoins… Le SaaS, c’est simplement un moyen de faire passer leurs dépenses d’investissement vers des coûts opérationnels, qu’ils seront capables de faire diminuer en cas de besoin. Dans quoi faut-il investir? Dans leur outil de production ou dans le prochain upgrade d’un serveur informatique?

Dans les faits, quelle sera la façon dont LuxCloud travaillera?

«Il va y avoir différents types de clouds… Il y aura les closed clouds, qui permettront l’optimisation des échanges de données, mais qui resteront propriétaires dans leur approche. Il y aura également les open clouds, comme LuxCloud, qui prendront différentes solutions et les proposeront, de manière concurrentielle, à leurs clients. Pour réussir, ces open clouds vont devoir se servir et aider à construire des standards ouverts pour l’échange de données, entre un ERP (Enterprise Resource Planning, ndlr.) et un CRM (Customer Relationship Management, ndlr.) par exemple…

Si les open clouds ne se battent pas sur ces points, ils vont avoir du mal à réussir face à la concurrence bien organisée des closed clouds, comme Google Apps. En même temps, avec leur position neutre, ils seront en position pour insister et participer à la création d’un standard d’échange. Après, tous les clients ont le choix entre deux conceptions différentes.»