Marcel Origer (CFO, LuxConnect) (Photo: David Laurent/Wide)

Marcel Origer (CFO, LuxConnect) (Photo: David Laurent/Wide)

Monsieur Origer, vous êtes chief financial officer chez LuxConnect. Le contexte dans lequel votre entreprise exerce est un peu particulier. Comment le définiriez-vous?

«Oui, l’entreprise peut être considérée comme atypique. Elle est directement issue de la mission confiée par le gouvernement luxembourgeois, qui est de diversifier l’économie du pays, en la dotant d’une infrastructure de pointe. LuxConnect offre un package qui contribue à attirer et à fixer de nouvelles entreprises au Grand-Duché.

Nous avons en fait trois business lines. Connecter, établir un réseau passif de fibres optiques. Il fallait créer un réseau additionnel à celui de
l’Entreprise des P&T, afin de réduire les distances, de se positionner au nœud d’un réseau entre Bruxelles, Londres, Francfort ou Paris. Le Luxembourg ne rentrait pas dans un business case intéressant pour des opérateurs étrangers, à cause d’une taille critique du pays ne permettant pas d’assurer un retour sur investissement. Il fallait donc le faire en interne et créer des chemins redondants avec des opérateurs différents.

Ensuite, notre modèle est celui d’un grossiste. Nous ne traitons jamais directement avec l’utilisateur final. Nous louons nos espaces techniques aux opérateurs, une salle blanche dans un datacenter, et le coût du mètre carré est le même pour tout le monde. C’est transparent et non discriminatoire. Il n’y a d’ailleurs pas de démarchage ou de concurrence. Nous avons une offre, nous sommes un maillon de la chaîne des valeurs qui a pour objectif d’attirer du business au Luxembourg.

Notre structure nous rend atypiques aussi. Nous avons des bâtiments de la taille d’une usine, avec nos deux datacenters à Bettembourg et le projet d’un troisième à Bissen. Mais nous sommes une PME de 16 personnes.

Et cela fonctionne pour vous?

«Nous manquons de recul pour établir quelque chose de pertinent, dans une croissance de chiffre d’affaires par exemple. 2010 a été la première année complète d’opérations et de ventes.

Jusque-là, l’entreprise avait surtout posé ses bases juridiques et techniques, depuis son lancement en 2007. Mais aujourd’hui, notre premier centre est plein. Pour le centre 2, une salle est occupée, deux autres sont en négociations avancées. Fin de cette année, les trois quarts seront en location…

Le côté atypique implique-t-il des spécificités dans vos fonctions par rapport à l’entreprise?

«Oui, parce que je ne suis pas seulement CFO. Quand j’ai été recruté en 2009, les équipes avaient le nez dans le guidon technique. Il fallait quelqu’un pour l’encadrement. Comme nous sommes petits, je cumule la gestion des finances, les ressources humaines, l’informatique interne, le volet assurances, les relations avec les administrations publiques…

Je suis secrétaire du conseil d’administration de LuxConnect et DataCenterEnergie. En gros, je me retrouve responsable de toutes les fonctions de back-office. Ma valeur ajoutée est d’être un support à la fois pour le management et les équipes techniques.

La direction de l’entreprise se résume à trois personnes, un directeur général, un directeur technique et un directeur administratif et financier. Cette responsabilité en triangle réagit dans la proximité, l’efficacité et la souplesse. Nous sommes voisins de bureau et il y a donc un très court chemin entre questions et réponses. Nous sommes évidemment responsables devant notre conseil d’administration, mais nous avons une belle autonomie dans la gestion courante.

Comment percevez-vous l’évolution du CFO ces dernières années?

«Comme je suis dans le métier proprement dit depuis juin 2009 seulement, je ne peux pas me baser sur une large expérience dans ce domaine.

Néanmoins, quand je prends du recul et que je considère ce que j’ai vécu dans les entreprises pour lesquelles j’ai travaillé, je me souviens que le CFO avait surtout la réputation d’être un contrôleur de dépenses pour revoir les budgets à la baisse. Il était souvent considéré comme un frein, une barrière à passer avant de pouvoir initier un projet, celui qui sort de sa tour d’ivoire pour porter des nouvelles peu agréables…

Je vois mon rôle différemment. Evidemment, je surveille les dépenses et je veille au respect des budgets. Mais la valeur ajoutée que j’évoquais tout à l’heure, à la fois pour le management et le technique, me confère le support des missions stratégiques de l’organisation, par la mise à disposition de ressources financières nécessaires à la réalisation des différents projets. Je me considère donc plus comme un facilitateur que comme un contrôleur.

Cette approche du CFO exige-t-elle des besoins spécifiques ou un profil idéal?

«Je pense être surtout celui qui exécute des fonctions de support administratif. En tant que membre du comité de direction, je participe directement à l’orientation stratégique de l’entreprise. Il faut transformer les chiffres financiers en informations utiles pour la prise de décisions. Le reporting financier n’est pas seulement un outil de gestion, c’est une boîte à outils pour le management, une aide à la décision.

Les responsables des différents métiers ont surtout un bagage technique. Alors, quand ils sont confrontés à des démarches administratives, je fournis le support pratique afin qu’ils puissent avancer avec leurs projets. Mon propre bagage technique est alors un atout utile. Et, dans une approche similaire, j’apporte du support au service commercial pour les questions de facturation, de soucis clientèle, etc.

Franchement, je ne pense pas que le profil idéal existe. Il dépend fortement de l’entreprise, du secteur, des produits. LuxConnect est une start-up, une entreprise jeune et petite. Beaucoup de process administratifs sont encore à développer. Chaque jour, il y a de nouvelles découvertes, de nouvelles demandes auxquelles il faut réagir, de nouveaux problèmes à résoudre. C’est une véritable aventure, quand chaque jour représente un nouveau challenge…

Personnellement, je me sers d’un profil de généraliste et de l’expérience acquise dans les différents domaines du management. Et je trouve important de parler le même langage que mes collaborateurs.

Dans cette petite structure, quelle est l’organisation de vos services financiers?

«Une personne, à mi-temps, travaille pour la comptabilité. Elle a un travail de gestion courante, l’encodage et le paiement des factures… Notre logiciel de gestion est paramétré et modifié par un prestataire de services extérieur. L’expertise-comptable et le calcul des salaires sont réalisés en externe, dans une fiduciaire. Les contacts étroits permettent des rapports analytiques pour suivre les données en temps réel.

Nous avons aussi recours à un économiste, en freelance. Il est disponible et réactif pour des missions ponctuelles, des plans financiers ou des modèles pour baliser les investissements. Tout cela est efficace et permet de garder en permanence un œil sur ce qui entre et sort, d’évaluer la faisabilité des projets. Tous ces supports extérieurs sont précieux.

Quels sont les impacts des changements législatifs sur la façon de diriger et de prévoir des stratégies?

«On ne peut pas être expert en tout. C’est une raison de plus pour s’entourer. Nous faisons notre métier et nos prestataires extérieurs le leur. Et ils ont notamment pour mission de suivre les changements et de donner les conseils appropriés. Cette façon de faire, c’est un choix de LuxConnect, confirmé régulièrement. Nous gardons une grande flexibilité et nous réagissons en fonction des besoins et des cas qui se présentent.

La crise a-t-elle eu un impact sur le marché?

«Le gouvernement avait lancé LuxConnect avant la crise. L’entreprise a démarré en plein dedans. Et à ce moment-là, nous avons bénéficié d’une mission encore élargie, une incitation à investir et à réfléchir afin de positionner le pays pour l’après-crise. L’Etat a poussé cette fameuse infrastructure, les réseaux de télécommunications, les datacenters, le commerce électronique.

LuxConnect est devenu un outil de diversification de l’économie. Nos investissements ont, en quelque sorte, représenté un tremplin de sortie de crise et de nouvel essor.

Avec les intérêts créditeurs très bas, conséquences de la crise financière, la stratégie en a été renforcée. Nous avons pu conclure des contrats pour des crédits d’investissement à des conditions intéressantes, donnant un impact très positif sur le ROI des projets.

Quels sont vos enjeux aujourd’hui, vos chantiers de chevet?

«Nous consolidons l’existant. Nous pilotons le projet de troisième datacenter et nous pensons, c’est le souci numéro un, à apporter des solutions sur le marché.

Je pense que nous avons contribué à ce que le Luxembourg rattrape son retard. Le pays a été placé sur la carte et cela se confirme par les différents benchmarks qui sont publiés.

Il ne s’agit pas de se reposer sur les lauriers fraîchement cueillis. L’enjeu est non seulement de rester à la hauteur, mais d’obtenir une longueur d’avance. Pour attirer davantage d’acteurs étrangers au Luxembourg, nous devons être encore plus compétitifs.

Nous avons une infrastructure de pointe et on s’appuie sur une législation intéressante, une fiscalité attractive. La promotion à l’étranger, via l’agence gouvernementale Luxembourg for Business, est un atout dans la stratégie.

On doit suivre l’évolution. Mieux, anticiper, puisque tous les secteurs de l’économie peuvent être concernés par les besoins de transfert et de sécurisation des données. Cloud computing, dématérialisation, tout cela est dans notre horizon.

Il faut prévoir et imaginer un maximum de choses. Car le temps après la crise, c’est aussi le temps avant la prochaine.»

 

Parcours - Le challenge de l’innovation

Marcel Origer, 55 ans, a rejoint LuxConnect, qui prenait doucement son envol, en août 2009. Il y a été recruté dans l’encadrement, en tant que directeur administratif et financier. Au cours de ses 29 ans de carrière, ce Luxembourgeois aux compétences techniques – il est ingénieur en électronique, diplômé de l’université d’Aix-la-Chapelle - a collecté une expérience dans une série de domaines IT et dans différents secteurs de l’économie, aussi bien dans un environnement national que dans un contexte international de référence. Il a notamment travaillé chez Goodyear. Puis il a été, de 2003 à 2008, country manager de la branche luxembourgeoise d’IBM Belgium, avant d’enchaîner comme client executive chez IBM toujours, jusqu’à l’été 2009. On le retrouve aussi au sein du groupe ICT de la Fedil ou dans le comité d’EuroCloud Luxembourg. «Quand je suis arrivé chez LuxConnect, dit-il, je passais d’une multinationale à une PME innovante. Mais le développement d’une entreprise, lancée en 2007 en étant porteuse d’une mission stratégique pour le pays, était un challenge très motivant. Et ça l’est toujours…»