Marcel Gross (Entreprise des P&T) : « Le plus important a été fait.» (Photo : Luc Mullenberger)

Marcel Gross (Entreprise des P&T) : « Le plus important a été fait.» (Photo : Luc Mullenberger)

Monsieur Gross, comment se sent-on à quelques jours de quitter la présidence du comité de direction d’une entreprise où vous venez de passer 40 années de carrière?

« Je ne ressens rien de spécial. Je suis encore complètement dans le business. Il est impossible d’être encore actif ici et, déjà, de préparer sa retraite. Je me rappelle, il y a quelques années, d’un directeur de Belgacom, avec qui nous venions de passer une journée entière à discuter au sujet de liaisons internationales. Il avait regardé sa montre et nous avait dit : ‘Messieurs, il est 18h30, je suis officiellement en retraite.’ Ça m’avait beaucoup impressionné…

Vous auriez pu quitter vos fonctions en septembre 2010. Vous avez souhaité prolonger un peu votre mandat afin de suivre au plus près certains chantiers en cours. L’un d’eux concerne la libéralisation des services postaux. Un gros morceau ?

« Le plus important a été fait, avec la mise en place d’une organisation qui est basée sur le recrutement de salariés et un changement de statut, du public vers le privé. C’est très important pour le contrôle des coûts dans le futur. Et ce qui est essentiel, c’est que cela a pu se faire avec l’accord des représentants du personnel.

Nous aurons, en parallèle, plusieurs statuts de personnels et nous savons qu’il y aura des problèmes pour gérer cela dans le futur. La plupart des problèmes opérationnels du début de la réorganisation ont pu être corrigés. Cependant nous devons encore y apporter quelques modifications afin d’améliorer la qualité de service.

Sur quel point ?

« Nous avions dû prévoir une solution spéciale pour la distribution des publicités. Confier cette tâche à court terme à des gens qui n’avaient pas encore été assez formés a été un peu difficile. Nous avons donc de nouveau changé et nous sommes en train de mettre en place un projet pilote à Remich pour réinsérer les publicités dans les courses de distribution des facteurs, comme c’était le cas dans l’ancien système.

De même, nous nous sommes rendus compte qu’il n’était pas cohérent de charger les nouveaux salariés seulement de la distribution du courrier et de confier la préparation du courrier à des facteurs confirmés. Cette solution n’était pas la bonne et nous avons conclu qu’il était préférable que ce soit celui qui distribue le courrier qui soit aussi celui qui effectue la préparation de la distribution.

Il reste 10 mois avant l’entrée en vigueur de la libéralisation au Luxembourg concernant les courriers de moins de 50 grammes. Les P&T sont-ils prêts à affronter ce nouveau défi ?

« Il m’est difficile de répondre. Mais il faut savoir qu’il y a une grande différence entre la libéralisation qu’on a connue dans les télécoms et celle en cours dans les services postaux. Pour les télécoms, tout s’est passé dans un marché en effervescence. Or, pour la poste, le volume est en déclin. Le papier n’est plus utilisé comme c’était le cas il y a quelques années.

En plus de la concurrence de l’électronique arrive celle d’autres opérateurs qui, bien sûr, chercheront à nous prendre des parts de marché, en particulier sur les grands comptes. Nous risquons donc de perdre des grands clients, mais nous devons, dans le même temps, continuer à assurer une couverture nationale et un service public minimum nécessaire, ce qui est aussi très coûteux.

Nous devons le faire, c’est évident. Mais ce qui n’est pas clair, c’est de savoir comment payer à terme ce service, surtout si nous perdons des sources de revenus par ailleurs.

Les activités postales sont-elles encore rentables ?

« Elles ne s’écrivent pas en chiffres rouges, en tous les cas. Les résultats sont encore positifs, mais ils décroissent. Si les choses continuent d’une façon normale, il y aura des problèmes à terme. D’où l’importance des changements actuellement introduits avec les salariés. En gardant à l’esprit que la gestion des coûts est essentielle et qu’il faudra savoir bien le faire dans le futur, et pas uniquement dans la partie postale. Les télécoms aussi sont concernées.

Que doit-il encore se passer d’ici au 1er janvier 2013 ?

« Il y a un projet de loi qui suit son parcours législatif (le projet de loi 6160 sur les services postaux, déposé en juillet 2010 par François Biltgen, ministre des Communications et des Médias, n’a plus avancé depuis juin 2011, dans l’attente de l’avis du Conseil d’État qui n’a toujours pas été rendu, ndlr.). Il y a encore des points qu’il faudra bien aborder, comme la distribution du courrier le samedi. Pour nous, en termes de coûts, ce serait totalement impensable de pouvoir gérer une telle distribution. Surtout que si on fait une distribution le samedi, on n’aura presque plus rien à distribuer le lundi. Il convient donc encore de bien réfléchir sur certains points.

D’ailleurs, la régulation européenne ne prescrit pas spécialement la distribution le samedi, mais parle de cinq jours par semaine. Et je sais que d’autres opérateurs voisins qui le font encore pensent à l’abandonner.

L’autre chantier que vous vouliez aussi accompagner concerne celui du regroupement des activités commerciales de téléphonie au sein d’une seule entité. Où en est-on ?

« Le processus suit son cours. Nous avons créé un conseil de surveillance et un directoire pour cette structure. Tout cela fonctionne. Nous devons encore procéder au transfert du fonds de commerce de la téléphonie fixe, qui est encore de la responsabilité de la division des Télécoms de l’Entreprise des P&T, vers LuxGSM, avec effet au 1er janvier 2012. Cela se fera dans les prochains mois.

Quid de NewCo ? Cela fait deux ans que vous annoncez un nouveau branding pour ces activités, mais rien ne vient…

« Il faut dire que la tâche est compliquée. Nous avons trois métiers : les comptes chèques postaux, la poste et les télécoms. À cela s’ajoute maintenant la commercialisation des services télécoms. Nous avons le choix entre trouver un nouveau nom pour cette entité seule, ou bien changer de branding pour l’ensemble des services P&T. Nous n’avons pas encore tranché. Nous y travaillons. Et puis, il faut bien laisser un peu de travail à mon successeur…

Où en est le développement de votre troisième métier, la banque postale ?

« Nous avons fait un très grand pas l’année dernière, même si on n’en a pas beaucoup parlé : nous avons procédé à un changement de software très important, qui va nous permettre d’offrir d’autres services que nous n’aurions pas pu réaliser avec l’ancienne base informatique. Sur ce plan-là, donc, tout fonctionne bien. Le problème est plutôt que nos recettes sont très tributaires des dépôts que nous faisons auprès des banques. Avec les taux d’intérêt actuels, nos revenus sont donc très limités. Il faut aussi faire attention.

Est-ce en raison de ce niveau de taux que vous n’avez pas encore lancé de compte d’épargne, comme cela est évoqué depuis un moment ?

« Nous y travaillons. L’élément bloquant a plutôt été ce travail de mise en œuvre du nouveau software informatique, qui a nécessité beaucoup d’efforts. Mais le projet de compte d’épargne est bien avancé. Ce sera aussi à mon successeur de le concrétiser.

Pensez-vous qu’à partir du 1er mars, vous passerez de meilleures nuits ?

« Assurément, oui, je dormirai mieux ! Vous savez, lorsque vous êtes sur ce siège, vous avez une responsabilité élevée dans trois métiers à la fois. Il y a chaque jour quelque chose qui ne fonctionne pas bien dans au moins un des trois. Parfois c’est futile, parfois moins. L’accumulation de tous ces problèmes est, en effet, parfois de nature à générer des insomnies… »

 

Personnalités - Et passent les ministres…

Marcel Gross n’aura pas vraiment l’occasion de « fréquenter » bien longtemps le nouveau ministre de l’Économie et du Commerce extérieur, son ministre de tutelle. Le premier quitte ses fonctions à peine un mois après que le second ait été intronisé. Mais cela porte tout de même à 10 le nombre de ministres avec lequel le futur ex-directeur général des P&T a été en relations directes. « Le premier fut Pierre Werner (alors ministre d’État, le poste de ministère de l’Économie n’existant alors pas encore, ndlr.), se souvient-il. J’étais jeune ingénieur et j’accompagnais l’ancien directeur général Jos Heinen (qui fut en place de 1969 à 1985, ndlr.) dans les réunions. »
Mais ceux qui ont le plus marqué M. Gross resteront tout de même ceux qu’il a coudoyé en tant que directeur général : le libéral Henri Grethen (« qui a tout de suite fait abstraction du fait que je n’avais pas de couleur politique et qui m’a clairement dit que cela ne l’intéressait pas. C’est très important d’entendre cela venant d’un politicien ») jusqu’à 2004, puis Jeannot Krecké (« La collaboration fut excellente avec lui. Il a toujours été très présent et s’est montré très attaché à l’Entreprise des P&T. ») Depuis janvier 2002, Marcel Gross n’a, en outre, connu qu’un seul président de conseil d’administration : Gaston Reinesch, pour lequel il ne tarit pas d’éloges non plus. « Il a vraiment fait beaucoup dans les grands chantiers en cours. Il fallait un homme comme lui pour accompagner un tel travail. »