Sarah Khabirpour (photo), Luc Welter et Véronique Cioli ont répondu aux questions du dossier Communication de l'édition de mars du Paperjam2. (Photo: Julien Becker )

Sarah Khabirpour (photo), Luc Welter et Véronique Cioli ont répondu aux questions du dossier Communication de l'édition de mars du Paperjam2. (Photo: Julien Becker )

C rise ou pas crise, la fonction «communication» au sein d’une entreprise n’a pas toujours la place qu’elle mérite. Parfois considérée comme superflue quand tout va bien (quel intérêt y a-t-il à communiquer quand les affaires tournent à plein régime?) ou reléguée au rang des dépenses compressibles quand ça va moins bien, elle a encore du mal à trouver sa bonne place au sein de l’organisation d’une entreprise.
La multiplication des canaux de diffusion de l’information, entraînant, en toute logique, une multiplication des formes que peut prendre la communication, a néanmoins quelque peu changé la donne. Et au-delà de l’importance même de la mise en place d’une stratégie de communication, c’est désormais sa position au cœur de la stratégie de développement de l’entreprise qui suscite la réflexion.
«La communication influe sur la stratégie et vice versa. L’une ne va pas sans l’autre», affirme Véronique Cioli, marketing and business development manager chez Linklaters. «La stratégie de communication doit venir tout naturellement s’intégrer dans la stratégie business development.»
Une proximité maximale entre le management opérationnel d’une société et son service de Communication est donc indispensable. Le cabinet d’avocats Linklaters l’a bien compris, lui qui, pour améliorer sa visibilité sur un marché très concurrentiel, a davantage intégré la dimension communication dans son approche. «Malgré l’importance de notre réseau à l’international, il fallait renforcer notre stratégie de communication et de visibilité à Luxembourg, afin de mieux nous positionner», explique Mme Cioli, arrivée il y a un an pour, justement, développer cet aspect. «Nous avons procédé à une analyse de marché et à une veille concurrentielle afin de déterminer notre stratégie de communication.»

Éviter les contradictions

Et c’est ainsi qu’a été dévoilée, en début d’année, la toute nouvelle campagne de communication de Linklaters, dans laquelle un lion pixellisé s’affiche fièrement au pied de la Philharmonie. «Chacun des pixels du lion représente nos collaborateurs, dans leurs différences et leurs multiples compétences», explique Mme Cioli.
Pour arriver à ce résultat, il a évidemment fallu des liens étroits à tous les niveaux décisionnels de la firme. Du reste, le comité de direction de Linklaters compte, parmi ses membres, le marketing & business development manager. Et dans certains cas, il peut même arriver que ce soit la communication qui amorce une partie de la stratégie même de l’entreprise. «Nous avions organisé l’année dernière un événement dédié à la finance et aux technologies, afin d'amener une réflexion sur le positionnement de la Place», se souvient Mme Cioli. «Nous avons ensuite développé toute une stratégie business autour de cette thématique, laquelle retient maintenant plus largement l'attention.»
La frontière entre les deux est donc ténue, voire inexistante selon les circonstances. Chez Post Luxembourg, par exemple, le grand rebranding mené en 2013 ne s’est pas uniquement traduit par un nouveau logo et un nouveau nom: il a suivi l'adoption par l'entreprise d'une nouvelle stratégie, accompagnée d’une nouvelle organisation interne. «Le volet marketing était, auparavant, rattaché aux directeurs de nos différents métiers. Il dépend, depuis, directement du directeur général», explique Luc Welter, directeur du marketing et de la communication chez Post. «Il était impossible d’envisager un tel rebranding sans connaître la stratégie, les valeurs et les missions de l’entreprise. Tout est intimement lié et indissociable.»
Le lancement de l’offre Scoubido, au début de l’automne dernier, illustre par l’exemple cette indissociabilité, pour un produit qui, à lui seul, peut intéresser potentiellement près d’un tiers de la clientèle mobile de Post, puisqu'il remplace une quinzaine d’offres et forfaits déjà existants. «Dans une première approche», se rappelle M. Welter, «il y avait deux produits Scoubido, selon que le client possédait ou pas un device. Mais après des semaines de réflexion et de discussions auxquelles le département ‘Markcom’ a été étroitement impliqué, nous avons estimé qu'il valait mieux miser sur la simplicité. Alors la forme du produit a été modifiée et il a finalement été décidé qu’il n’y aurait qu’un seul produit. Le volet communication a été essentiel dans ce changement.»
La complexité d’une structure telle que celle de Post – avec des métiers aussi divers que les télécoms, les services postaux et les services financiers – oblige bien souvent à une gymnastique intellectuelle nouvelle: «Il est très important d’éviter les ‘eux’ et les ‘nous’», confirme Luc Welter. «Quand il y a des experts dans un des métiers qui font appel au service de Communication, nous devons éviter qu’il y ait une approche du style ‘Nous avons décidé que et vous devez appliquer’. C’est plus compliqué, mais c’est aussi plus intéressant, car cela amène à envisager des synergies et une vision globale qui l’emporte sur la vision d’un seul secteur… On évite ainsi des incohérences ou des entrechoquements, voire des contradictions dans le message à transmettre.»
La problématique n’est guère éloignée du côté de la Bil. La Banque internationale à Luxembourg, elle aussi, abrite sous un même toit plusieurs métiers. Mais à la différence de Post, son histoire récente pour le moins mouvementée (liée à l’effondrement de sa maison mère Dexia, qui a failli l’entraîner dans sa chute) l’a obligée à revoir en profondeur ses stratégies en termes de business et de communication. L’arrivée d’un nouveau CEO fin septembre 2014 contribue évidemment largement à cette réflexion à laquelle Sarah Khabirpour est étroitement liée depuis son arrivée en juin dernier en tant que head of business development & regulatory affairs. Une double compétence à laquelle est venue ensuite se greffer celle du marketing et de la communication. «Nous sommes au cœur d’un plan de réflexion ‘Bil 2020’», explique l’ancienne directrice de cabinet de Luc Frieden lorsque celui-ci était ministre des Finances. «Nous devons repositionner la banque sur cinq ans et nous poser un certain nombre de questions: quelle est sa stratégie? Quels sont les défis et les attentes inhérents à une banque moderne souhaitant avoir un rôle à jouer dans l’innovation? D’ailleurs, ‘innovation’ constitue pour nous le terme fédérateur.»
Banque privée, corporate banking, retail, marchés financiers: les métiers et les compétences de la Bil sont multiples, voire fragmentants en termes d’image. D’où la volonté de mettre en place une réelle stratégie globale pour la banque, portée par l'idée directrice que la Bil est une seule banque avec un ancrage local indéniable. «Les choses changent: nous devons sortir d’une approche essentiellement réactive et devenir plus proactifs en communiquant davantage lorsque nous avons envie de communiquer», précise Mme Khabirpour. «Nous souhaitons un réel dialogue avec le marché luxembourgeois et nous y positionner comme un acteur qui s’intéresse à autre chose qu’au seul secteur bancaire et financier, mais aussi au développement de la société en général.»

Ainsi, la communication telle qu’elle est actuellement structurée au sein de la Bil concerne tout autant un produit que l’identité même de la banque, qui est en cours de (re)construction. En redéfinissant les focus, les métiers, la banque se forge de nouveau une identité et une culture qui, mécaniquement, vont influer sur la stratégie. «Dans une structure multi-business telle que la nôtre, il y a la nécessité de trouver le juste équilibre entre la verticalité, qui sert à créer l’expertise, et l’horizontalité, qui sert à créer la vision, la stratégie, un cadre conceptuel et une démarche cohérente. C’est à l’intersection de cette horizontalité et de cette verticalité que se trouve le département Communication. Il ne s’agit pas d’une superstructure qui vient s’ajouter à celle déjà existante de la banque, mais au contraire un outil de collaboration entre les services, porteur de valeur ajoutée. La communication externe se construit d’abord sur la communication en interne. C’est le fruit d’une culture de confiance, d’adhésion et de transparence.»

Le facteur humain

L’implication et l'information de l’ensemble des salariés d’une entreprise dans le processus constituent une des clés de sa réussite, même si elle n’est évidemment pas la seule. Là aussi, cela demande une adaptation dans la façon de faire: «C’est à nous de faire l’effort et non pas aux gens d’aller chercher eux-mêmes l’information», note ainsi Luc Welter. «Et nous devons aussi faire attention à la régularité de l’information. En 2014, par exemple, nous avons publié 292 news sur notre intranet, c’est-à-dire plus d’une par jour ouvrable. Et les employés sont demandeurs!» Le tout dans le respect minimum des valeurs de l’entreprise. «Si nous ne sommes pas en adéquation avec ce que nos collaborateurs pensent, nous ne pourrons pas réussir», estime Véronique Cioli (Linklaters). Pour autant, la politique du «tout communication» n’emporte pas forcément l’adhésion de tous. En gardant à l’esprit que ce sont les employés d’une entreprise qui en sont aussi les premiers ambassadeurs et relais vers l’extérieur. Ce qui représente une masse critique non négligeable. «J’ai une hésitation par rapport à une telle culture de consommation d’informations», tempère Sarah Khabirpour. «Communiquer, c'est dialoguer. Ce qui m’importe, c’est qu’il y ait aussi du répondant. C’est une culture que j’appellerai ‘responsabilisante’. Et lorsque l’on crée une telle culture, il est alors essentiel de la faire coller en termes de culture générale RH d’une entreprise.»
Incontestablement, la mise en œuvre d’une collaboration toujours plus étroite entre communication et business development est un concept qui fait largement son chemin. Plus rien ne semble devoir arrêter le mouvement. Bien au contraire. «Cela n’est pas près d’en être autrement, surtout dans le contexte concurrentiel que l’on connaît. Je pense même que les liens seront toujours plus renforcés», indique Véronique Cioli. Cela ne passera pas systématiquement par un renforcement des équipes, mais des moyens, avec davantage de présence, de participations à des événements… Ce n’est pas en augmentant les équipes que l’on atteindra les objectifs, mais en fédérant les collaborateurs et en les faisant adhérer au projet. À partir du moment où ils se reconnaissent dans les valeurs, ils n’auront alors aucun souci pour les transmettre. Ils sont nos ambassadeurs.»
Le facteur humain restera, quoi qu’il en soit, un élément déterminant, quel que soit le niveau hiérarchique des personnes considérées. «Ce sont toujours des êtres humains qui doivent collaborer ensemble», résume Sarah Khabirpour (Bil). «L’environnement change, les structures changent. Il est essentiel d’avoir une vision claire, mais flexible. Peu importe la façon dont on le traduit dans la structure.»
Et Luc Welter de conclure: «Personne ne détient seul la vérité et ce sont les échanges qui enrichissent les décisions. Il y a du plaisir à travailler tous ensemble. Le temps des silos ne permet plus à une entreprise moderne d’évoluer. C’est sans doute plus simple pour prendre des décisions, mais ce n’est pas efficace. Il y a un intérêt à coopérer, à partager et à avancer ensemble.»

Investissement ou coût?
Quels moyens pour communiquer?
La question est sans doute au moins aussi vieille que ne l’est la fonction: la communication représente-t-elle un coût ou un investissement? Vu du côté de ceux qui font la communication, cette question ne se pose évidemment même pas. «Même une marque comme Coca-Cola y consacre un budget impressionnant alors qu’elle est mondialement établie», fait remarquer Sarah Khabirpour (Bil). «On n’est jamais vraiment au bout du chemin.» Quand on s’appelle Linklaters, Bil ou Post, cela est encore plus vrai. «Il est évident que c’est un investissement», tranche sans hésiter Véronique Cioli (Linklaters). «Depuis que les règles du Barreau en la matière se sont assouplies, tout le monde communique. Il nous a donc fallu dégager un budget pour cela. Il faut montrer que l’on est bien présents, tout en démontrant que les coûts engagés sont raisonnés et contrôlés.» Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, cet investissement n’est pas nécessairement appelé à être chaque année plus élevé. «La tendance n’est pas forcément à la hausse des moyens, mais à mieux les utiliser, plus efficacement», estime Luc Welter (Post). Un souci d’efficacité que Sarah Khabirpour (Bil) résume dans la formule «faire plus avec moins». «Et il y a matière», précise-t-elle. «Pas forcément en termes de ressources humaines, mais plutôt en termes d’adaptation et d’attentes de l’environnement. Il est par exemple toujours possible d’initier plus d’insourcing, de savoir-faire et d’expertise, au-delà du savoir-faire métier, et sur laquelle on ne capitalise jamais assez. Ce n’est pas une question de budget, mais de culture et d’attitude. Ensuite, évidemment, lorsqu’une décision est prise, il faut se résoudre à investir.»