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Il nous parle d’un temps qu’il n’a tout juste pas connu: «je suis entré au lycée quelques mois après les grèves et les manifs. La révolution était finie», constate Andy Bausch. Le réalisateur a passé de nombreux films à explorer l’histoire plus ou moins récente du Luxembourg comme dans «Schockela Knätschgummi a brong Puppelcher», «D'Belle Époque» ou «D'Fifties».

Chaque fois, il mêle photos et film d’archives, témoignages, documents d’époque, scènes rejouées et bande-son bien sentie. Il travaille le montage lui-même «pour pouvoir y passer autant de temps que nécessaire» et dessine toujours des story-boards hyper précis avant de tourner.

25 témoins

«Sixty8» ne fait pas exception. Andy Bausch s’intéresse ici à une époque récente – on célèbrera les 50 ans de mai 68 l’année prochaine – dont il reste beaucoup de témoins et qui ont aujourd’hui «la distance nécessaire pour avoir de l’autodérision et pour se critiquer eux-mêmes.» Il en a choisi 25, ceux qui avaient des souvenirs précis et envie de parler devant une caméra, ceux qui avaient participé aux réunions, manifestations, fêtes, grèves, expositions, impressions et parfois gardes à vue et interrogatoires, ceux qui avaient donc vécu cette «révolution».

Ils sont aujourd’hui pour la plupart retraités, rangés des voitures, certains ont même radicalement changé d’opinion, mais aucun ne semble regretter cette époque. Leurs noms apparaissent simplement à l’écran, sans titre ni fonction. Ceux qui étaient de l’autre côté – professeurs, politiques, policiers – étaient plus âgés et ne sont pour beaucoup plus là. «Ou alors ils ne souhaitent pas avouer le fait d’avoir été si réactionnaire à l’époque, et encore moins devant une caméra».

Faire souffler un vent nouveau

Alors bien sûr, Luxembourg n’est pas Paris. Ici, il n’y eut point de pavés et de barricades. Mais les carcans de la société étaient les mêmes, si pas pires, et la révolte des jeunes avait à l’époque quelque chose d’universel. C'est une rupture avec le monde adulte, le changement de la morale en matière de sexualité et d'autres valeurs sociales de la petite bourgeoisie. «Le temps était venu pour qu’un vent nouveau perce enfin les fenêtres calfeutrées de la société de l’époque…» (Pierre Puth).

Le film passe en revue différents chapitres et thématiques. Certains peuvent sembler du ressort de l’anecdote: la mode («plus les cheveux des gars étaient longs, plus les jupes des filles étaient courtes», se souvient Lucien Blau), la musique (le concert de Deep Purple au stade de l’Union à Bonnevoie qui avait des allures de Woodstock), les drogues (le repère du Dany Cage), l’éducation sexuelle, les interventions artistiques (les granges de Consdorf). Mais c’est le décor des sujets plus profonds comme l’opposition à la guerre du Vietman (dont Gaston Vogel était le chef de file), les grèves d’étudiants, la surveillance par la sureté de l’État, les débats entre trotskistes et maoïstes (qui ont eu raison de l’Assoss, le principal groupement de l’époque), les débuts du féminisme (timides débuts si on en juge par la faible présence féminine dans le film, les procès en censure (contre le périodique Roud Wullmaus, journal anticlérical d’étudiants)…

1.000 élèves dans les rues

En avril 1971, quatre élèves du lycée de Diekirch ont été expulsés pour un vague prétexte d’un câlin appuyé et d’une gifle trop vite partie. Les autres lycées manifestent leur solidarité à travers des grèves et des manifestations. Ils sont un bon millier à défiler dans les rues, à Diekirch, à Esch et puis à Luxembourg. «On avait surtout envie de sécher l’école et de faire la fête», tempère Jacqueline Breuer.

Le mois suivant, trois collaborateurs du journal d’élèves «Wullmaus» sont condamnés par le tribunal à des peines financières et un mois de prison avec sursis. Et à la rentrée suivante, les enseignants stagiaires Puth, Schlechter et Bamberg, qui étaient solidaires avec les élèves lors de la grève, sont mutés d'office.

Les évolutions sociétales et politiques sont venues progressivement et certains témoignent d’une certaine amertume: « Où en sommes-nous aujourd’hui avec le bagage reçu, qu’en avons-nous fait (…) Nous n'en avons certainement pas tiré que le meilleur » dit ainsi Pit Hoerold. Il reste que le film est un morceau d’histoire à vivre en direct: «J’espère que les jeunes iront voir ce film pour se rendre compte que même dans le petit Luxembourg, ça bougeait pas mal à l’époque et que ce qu’ils considèrent comme normal et acquis ne l’a pas toujours été», estime Andy Bausch.

Le film est produit par Paul Thiltges Distribution avec l'aide du Film Fund.