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Ministère des Affaires étrangères? Au vu de l'actualité internationale, il y a beaucoup de choses à dire. Le 11 septembre, certes, mais d'autres choses aussi, peut-être?

Vous venez de citer une date qui bien évidemment va conditionner pour beaucoup notre activité pour les années à venir. Mais je voudrais également tout de suite aire mention du 26 février 2001, le jour où j'ai signé le traité de Nice. C'est aussi un moment très important. En premier lieu, il permet au Luxembourg de sauvegarder sa place au sein de l'Union Européenne, une place respectée, une place autour de la table où des décisions sont préparées, discutées puis prises et exécutées. Le traité de Nice permet également l'élargissement. Au niveau européen, c'est quelque chose d'extrêmement important. Au niveau mondial, le 11 septembre domine. Le Luxembourg a montré que même un petit pays pouvait prendre ses responsabilités, parfois plus rapidement que d'autres. Le 11 septembre nous interpelle au niveau de la politique intérieure, mais également extérieure, militaire, la collaboration entre les services de police européens et mondiaux? C'est un moment très fort qui va accélérer etapprofondir certaines collaborations.

Est-ce que certaines choses n'auraient pas eu lieu sans le 11septembre?

Je crois qu'il s'agit principalement d'une accélération. Le 11 septembre a fait que l'intérêt de ces coopérations citées précédemment est devenu évident. Il s'agissait de faire certaines choses plus vite et mieux. Cette date nous a fait prendre conscience de l'interdépendance de nos sociétés. Certains pays pouvaient paraître éloignés, mais quand on voit de quelle manière un mal immense a pu être perpétré par quelques. Ils étaient présents depuis des années, la communauté internationale était au courant. Il aurait été impossible de faire quelque chose auparavant. Lorsque la menace se transforme en crimes et attaques, les choses deviennent naturelles et nécessaires. Une action militaire n'est jamais une partie de plaisir? Mais quand on voit Kaboul libérée, la manière dont les gens respirent, que l'on voit ce que les gens ont vécu pendant des années, on se demande si l'intervention n'aurait pas dû venir plus tôt? Ceci dit, rien n'aurait été possible avant? Je n'ai pas non plus besoin de mentionner la situation de la femme pour dire combien les choses étaient terribles. Il faut maintenant veiller à ce que la reconstruction se fasse sur des bases plus démocratiques, plusrespectueuses des droits de l'homme et de la femme?

Le Luxembourg, à côté des autres grands pays, a-t-il un rôle à jouer?

Comme je l'ai déjà dit, le 11 septembre démontre l'interdépendance des Etats. On l'a vu dans la réaction des états-Unis. Ils n'ont pas dit qu'ils allaient réagir seuls. Ils se sont bien rendu compte que, pour lutter contre un fléau comme le terrorisme, il faut avoir une grande, très grande coalition, où chacun compte. Une chaîne, même très longue, ne mesure sa force qu'à l'aune du maillon le plus faible. Un maillon qui rompt, et c'est toute la chaîne qui disparaît. Chacun a son rôle. Chacun doit donc naturellement prendre ses responsabilités. Il ne faut pas que les plus petits ignorent leur rôle. Pour être un partenaire respecté et respectable dans la communauté des nations, il faut aussi prendre ses responsabilités, y inclus aux moments difficiles. On ne peut pas tout le temps rester un simple spectateur neutre. Le Luxembourg n'a pas cette habitude. Nous avons pris toutes nos responsabilités, à tous les niveaux. On peut citer comme autre exemple le voyage au Moyen-Orient que j'ai fait il y a quelques semaines. Nous devons, en tant que partenaire, membre de l'Union Européenne appelé à en prendre la présidence en 2005, préparer ce moment. Nos partenaires doivent comprendre que l'on s'est impliqué. Le Luxembourg se doit d'être impliqué dans les dossiers ? dont le Moyen-Orient ? qui concerne l'Europe. Dans de très nombreux cas, ce n'est qu'en se rendant sur place que l'on peut prendreconscience de l'ampleur des problèmes.

La politique étrangère du Luxembourg a-t-elle un ton particulier? êEtre un "petit" pays donne-t-il une plus grande ou une plus petite liberté demouvement?

Notre politique étrangère est une politique qui mise sur la durée, la confiance et la crédibilité. Pour être crédible, il faut être compétent, avoir une vue cohérente des différentes parties de la politique que l'on mène, il faut être un partenaire fiable, faire ce que l'on dit, s'engager. Pour tout cela, en tant que Luxembourg, il nous faut savoir quelles sont nos possibilités! Notre engagement politique est évidemment basé sur les valeurs fondamentales de notre engagement européen. Respect des droits de l'homme, état de droit, mais aussi une politique très active dans l'aide au développement. Nous avons par exemple mis sur pied un programme de formation administrative pour ces pays? Ce que nous offrons, c'est parce que nous le voulons, aucun rapport de force n'est inclus dans nos collaborations. Si nous faisons quelque chose, c'est parce que nous estimonsque c'est la bonne chose, pour eux et pour nous, sans arrière pensées.

L'Euro arrive, l'Europe s'élargit? Le Luxembourg est un des rares pays où les habitants sont majoritairement favorablesà cette arrivée de la monnaie unique?

Ca ne m'étonne pas de la part des Luxembourgeois. Nous sommes habitués à vivre avec une monnaie qui n'est pas seulement la nôtre? Nous sommes en Union Monétaire avec la Belgique depuis 1922. Avec la Belgique, nous avons connu des côtés très positifs, mais aussi l'une ou l'autre crise? En 1982, la dévaluation nous a fait prendre conscience combien il était important d'avoir une monnaie stable. Nous avons vraiment soutenu la mise en place d'une monnaie unique stable. C'est pour le fond. Pour la forme, on mesure le côté pratique. Visiter nos voisins sans changer de monnaie, dans un petit pays, est plus que pratique? L'Euro est une manière de plus de démontrer que le monde est devenu un grand village interconnecté, ce qui est bon pour l'un a des répercussions sur les autres? et inversement. L'économie européene n'aurait jamais pu vivre les crises asiatique et russe sans union économique et monétaire et la stabilité qu'elle procure! Une fois que l'Euro sera matériellement dans les poches, il aura également une très grande force symbolique: il prouvera que l'on appartientà une grande communauté.

A-t-on raison ou tort d'avoir peur du sentiment de perted'identité, de dilution dans un plus grand ensemble?

En me permettant d'être très franche, je crois que le Luxembourg, sur les 50 dernières années, a gagné en souveraineté en étant membre de cette communauté. Ce sont toujours les mêmes arguments de l'interdépendance des pays? Les problèmes sont trop grands et trop compliqués pour être résolus par une petite communauté. ? ? Les Luxembourgeois ont bien pris conscience que nous ne serions pas le pays prospère et indépendant que nous sommes aujourd'hui si on n'avait pas été membre d'une union plus large. Cela ne va évidemment pas sans changement. Notre mode de vie, notre société d'aujourd'hui sont différentes. J'y vois beaucoup de bonnes choses. Certains peuvent regretter les changements qui sont intervenus, mais globalement notre société est plus riche, pas seulement financièrement parlant, mais culturellement également. C'est une société ouverte et multiculturelle comme on en trouve rarement. On ne se rend pas toujours compte vraiment dans quel petit paradis nous vivons? Tout le monde gagne à respecter l'autre dans sa différence. Le problème, ce n'est pas la différence, c'est la non-acceptation de cette différence! Je crois que le Luxembourg, sans être parfait, a plutôt bien réussi. Ce que j'aime bien, c'est cette ambiance ouverte et cosmopolite, sans cette volonté d'en imposer à l'autre. Il faut cependant également comprendre les "Luxembourgeois desouche", qui tiennent à leur langue et leur culture.

Que pensez-vous du débat autour de la question des 700.000habitants?

Je n'ai pas du tout aimé la façon dont ce débat a été amorcé. La question n'est pas de savoir si un jour nous voulons être 700.000. Ce n'est pas un jour, un matin, où l'on va se réveiller et être 700.000. S'il y a 30 ans, 50 ans, on avait dit aux Luxembourgeois qu'en l'an 2000, nous serions 35% de non luxembourgeois, que le Kirchberg serait devenu un grand quartier d'affaires, les gens auraient pris peur! Ils auraient dit "Non, jamais!" Et pourtant nous y sommes arrivés dans le consensus? Il faut laisser les choses évoluer en étant à chaque moment conscient des changements. Ce que je n'aime pas, c'est que l'on suscite la peur. La peur est toujours mauvaise conseillère. Ce qu'il faut faire, c'est susciter le débat. Discuter ensemble, décider ensemble? On doit prendre des décisions sur ce qui est calculable. On sait le nombre d'étudiants, collégiens et lycéens que l'on aura d'ici quelques années? On doit être transparent, donner toute l'information avant de prendre des décisions. Il faut être réaliste. Certaines décisions ont été prises par les responsables politiques, et n'ont pas eu les effets escomptés. Il est clair qu'à un moment ou à un autre, on doit prendre des décisions, et qu'il est alors impossible de contenter tout le monde. Il faut que ceux qui sont opposés à ladécision sachent pourquoi elle a été prise.

e-Luxembourg est un autre grand dossier? En tant que ministre dela fonction publique, vous êtes directement concernée?

Je reviens souvent sur ce fait, mais nous sommes un petit pays, une petite administration, et nous devons digérer le même nombre de directives européennes que les grands avec un nombre de fonctionnaires infiniment plus petit. Nous devons donner au citoyen et au fonctionnaire la meilleure infrastructure pour gérer ce travail au quotidien' Nous devons utiliser la technologie, les potentialités qu'elle nous donne. On sait bien qu'il y a un certain nombre de personnes qui vont adopter ces technologies très vite, d'autres plus lentement. Nous devons miser sur les jeunes, sur les générations montantes. Ici aussi, tenir un discours est facile. Implémenter, mettre les choses en place demande beaucoupplus de temps. C'est un travail de longue haleine.

Y'a-t-il une partie du projet qui vous tient plus àc'ur que d'autres?

On travaille à intégrer les nouveaux médias dans l'administration, à tirer avantage des possibilités offertes. Mais je dois mettre un bémol. C'est un service qu'on peut rendre, mais il ne faut surtout pas négliger le contact personnel. Nous devons être "up-to-date" au niveau technologique. Mais le contact direct entre une administration et ses administrés ne doit surtout pas être rompu. J'y tiens beaucoup, c'est une questiond'équilibre.

Quel sera le grand chantier de 2002?

Nous aurons la présidence du Conseil de l'Europe en 2002. Il y aura aussi une convention européenne sur l'avenir de l'Europe? C'est un chantier important à suivre? Sans oublier la discussion autour de l'élargissement. Il y a de nombreuses réticences à vaincre. Il faut également être conscient qu'un certain nombre de ces pays n'est pas encore "à niveau" et, sans être trop restrictif, il faudra continuer à les aider à rattraper le retard, surtout économique, qu'ils ont malheureusement pris. Au-delà des dossiers, nous devrons également mieux nous connaître? Quand je suis devenue ministre des Affaires étrangères, je m'étais promis de visiter tous les pays candidats, pour avoir une "vue correcte" de la situation. Il ne manque plus aujourd'hui que la Roumanie. La dernière chose est d'améliorer l'image du Luxembourg chez certains de nos voisins, notamment en France. Nous allons nous donner les moyens pour recadrer cette image de marque, ces préjugés.