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La sombre perspective du gigantesque chantier de la gare <br/>multimodale au Kirchberg va-t-elle obliger Luxexpo à se délocaliser <br/>pour retrouver la lumière? (Photo:Luxexpo) 

Le ministre de l’Economie, Jeannot Krecké, l’a promis lors de la dernière foire d’automne: il révèlera, à l’occasion de la prochaine Foire de Printemps (inaugurée le 24 mai prochain) la décision finalement retenue au sujet de l’avenir de Luxexpo, dont dépend son ministère. Le sort de ce qui fut, jusqu’en 2004, la Société des Foires Internationales devrait alors être en grande partie scellé et d’ici là, les discussions risquent probablement d’être passionnées, avec en filigrane la question de l’existence même d’une institution créée en décembre 1953.

Pour l’heure, le site de Luxexpo se trouve sur un terrain de 12 ha appartenant au Fonds d’-Urbanisation et d’Aménagement du Plateau de Kirchberg, alors que ses bâtiments, occupés en location, sont la propriété de la Société Immo-bilière du Parc des Expositions de -Luxembourg (SIPEL, détenue à deux tiers par l’Etat et, pour le tiers restant, par le Fonds -Kirchberg). Luxexpo y dispose de quelque 35.200 m2 de surfaces d’exposition.

Mais deux événements majeurs sont venus perturber le cours de l’existence du site. En 2003, tout d’abord, l’Etat a, en quelque sorte, réquisitionné deux des halls d’exposition (les 4 et 5), ainsi qu’un parking, pour y établir le Centre de conférences Kiem (CCK), structure provisoire destinée à accueillir les réunions du Conseil des ministres européen pendant toute la durée des travaux de réfection du «vrai centre» de conférence. Initialement conclu pour une durée de quatre années, le contrat de bail, signé en 2003, autorisait trois prorogations d’une durée de deux années chacune.

La première est en cours et selon toute vraisemblance, les deux autres suivront, de sorte que l’aspect «provisoire» de ce Centre de conférences devrait durer jusqu’en 2013, prolongeant d’autant la problématique, parfois sans solution, de l’allocation des emplacements de parking lors des grandes manifestations, compte tenu de la place occupée par le CCK.

Deux études sur la table

Par dessus ce premier problème est venu se greffer le projet d’implantation d’une gare ferroviaire multimodale (avec trois quais et six voies) sur le site même de Luxexpo, dans le cadre de l’élaboration du concept de train-tram. «Luxexpo a toujours fait le maximum pour s’accommoder de cette situation tout en assurant sa mission d’intérêt général. Mais on comprend que la question de l’adéquation du site fasse son apparition de temps à autre, commente Alain Georges, le président du conseil d’administration. La longue incertitude sur son sort est très défavorable à Luxexpo, qui est raisonnablement obligée de reporter tout projet d’investissement important jusqu’au jour où ses orientations définitives sont arrêtées. Or, au fil des ans, les infrastructures actuelles vieillissent et l’industrie des foires change. Il faudrait donc investir, aussi sur le lieu actuel pour adapter les halles aux exigences d’un centre d’exposition moderne et aux normes de confort et de sécurité d’aujourd’hui».

Interrogé au début de l’année 2005 dans nos colonnes (voir paperJam avril 2005, page 16), le ministre Krecké estimait qu’il n’y avait aucune urgence à prendre une décision dans l’immédiat. Trois ans plus tard, il n’en est évidemment plus de même. Et la principale nouveauté réside dans le fait que le ministre de l’Economie a désormais, à sa disposition, deux études assez détaillées sur deux scénarii alternatifs.

Le premier est l’œuvre d’un bureau d’études français, AREP Ville, filiale de la SNCF spécia-lisée dans l’implantation de gares en milieu urbain. L’étude, commanditée par le Fonds -Kirchberg, devait notamment déterminer dans quelle mesure l’activité de Luxexpo est compatible avec l’implantation d’une gare ferroviaire sur l’actuel site, que ce soit pendant le chantier, mais aussi après.

Parallèlement, la direction de Luxexpo a reçu mandat, de la part de son conseil d’administration, de se faire conseiller par un bureau d’architectes externe, non seulement pour évaluer la pertinence des propositions issues de l’étude d’AREP, mais également pour réaliser une autre étude de faisabilité pour l’implantation d’un nouveau parc d’expositions qui se situerait à Hollerich. A la recherche d’un site de repli depuis quelque temps déjà, Luxexpo et Laurent Langer, architecte au service d’urbanisme de la ville, ont en effet identifié comme seul terrain d’accueil possible une zone d’une douzaine d’hectares de superficie, à la Porte de Hollerich, délimitée par les voies de chemin de fer d’Arlon et de Pétange, et par l’autoroute d’Esch.

C’est au cabinet d’architectes allemand spécialisé Gerkan, Marg & Partner (GMP, créateur d’une vingtaine de parcs d’exposition à travers le monde, parmi lesquels le Dubai Exhibition City, mais aussi les sites de Rimini, Vérone, Friedrichshafen, Leipzig, le nouveau parc de Moscou ou encore cinq sites en Chine) qu’a été confiée cette étude.

Que ressort-il de ces deux analyses? AREP Ville, dans ses conclusions, propose notamment, dans l’hypothèse du maintien des acti-vités de Luxexpo au Kirchberg, une surface d’exposition sur un niveau, d’un total de 26.000 m2 et l’élaboration de trois niveaux de parkings souterrains. Un second scénario, imaginant le site sur deux niveaux d’exposition, a également été suggéré, mais ne devrait pas dépasser le stade de la simple ébauche sur du papier, compte tenu de la complexité technique de la chose, mais aussi des expériences négatives enregistrées dans d’autres pays dans un cas de figure similaire.

Pour parvenir à cette configuration, un chantier gigantesque découpé en quatre phases a été imaginé (au cours duquel le complexe cinématographique Utopolis devrait être rasé et reconstruit quelques mètres plus loin), devant permettre la poursuite de l’activité du site pendant les travaux, estimés à une durée minimale de cinq ans, sachant que le maintien du CCK jusqu’en 2013 ajoute une contrainte temporelle supplémentaire

«De graves appréhensions»

«Nous sommes aujourd’hui à la croisée des chemins, et les décisions qui seront prises dans les prochains mois risquent d’influencer durablement l’avenir de Luxexpo, prévient Alain Georges. La forme du communiqué du conseil d’administration, diffusé le 13 mars, est beaucoup moins arrondie. «Le conseil exprime ses graves appréhensions devant les conséquences fonctionnelles, commerciales, logistiques et financières de l’option comportant une reconstruction des halles d’exposition sur une partie du site actuel. Ces conséquences, et notamment la cohabitation avec un chantier de très longue durée, menacent sérieusement la viabilité de Luxexpo et sa capacité d’exercer sa mission d’intérêt public».

Outre les nuisances évidentes que pourrait constituer la promiscuité annoncée entre le gigantesque chantier de la gare ferroviaire et le centre des expositions, les caractéristiques techniques du projet présenté par AREP Ville suscitent en effet autant d’interrogations que d’inquiétudes.

L’important déficit de surface d’exposition (les besoins minima exprimés pour le futur parc d’exposition, quel qu’il soit, ont été établis à près de 39.000 m2), l’engorgement des flux de visiteurs et d’exposants, compte tenu d’un nombre limité d’accès physiques au site ou encore la pénurie de surfaces logistiques dédiées aux exposants font partie des arguments généralement avancés.  

«Luxexpo a ceci de particulier, c’est qu’elle ne fonctionne que par intermittence et non pas en continu, constate Patrick Gillen, président du conseil d’administration et du comité exécutif du Fonds Kirchberg. C’est pour ça que nous pensons qu’une formule de stationnement de type P+R utilisable lorsque la Foire ne fonctionne pas nous semble pertinente. C’est, de toute façon, aux dirigeants de Luxexpo de déterminer si le choix d’un autre site est mieux pour eux. Même si nous avons surtout développé l’activité bancaire au Kirchberg, Luxexpo représente une diversification intéressante. Mais sa présence ou non ne changera pas fondamentalement les choses pour nous. En cas de départ, nous avons la possibilité de lancer un programme d’implantation de logements».

La crainte des sceptiques quant à la viabilité de la solution Kirchberg est exacerbée par l’alternative proposée par GMP sur le site de la Porte de Hollerich. Le terrain y est jugé comme se prêtant parfaitement à l’implantation d’un tel parc d’expositions, en plus d’un aspect «visuel» prestigieux à l’une des principales entrées de la ville de Luxembourg. Entre les deux, les cœurs ne balancent pas forcément longtemps...

A ce stade de la réflexion, l’aspect financier n’a pas encore été approfondi, mais selon les estimations faites par GMP, les travaux souterrains qu’exigerait la solution «Kirchberg» représenteraient un investissement de 100 millions d’euros, alors que les coûts relatifs à des travaux similaires, mais en surface, ne représenteraient que 5 à 10% de ce montant. Il est à noter que la convention signée entre l’Etat, la SIPEL et Luxexpo, en avril 2004, stipule clairement que tout projet de migration ne doit entraîner de coût supplémentaire ni pour Luxexpo ni pour la SIPEL.

«La voie retenue devra tenir compte tant des règles d’un bon urbanisme que des besoins d’une exploitation efficace et des impératifs de la recherche du meilleur coût, estime Alain Georges. Je suis convaincu que nous réussirons ensemble, le Gouvernement, la Ville de Luxembourg, Luxexpo et ses actionnaires, à trouver une solution qui corresponde à l’ambition de doter le Luxembourg d’une foire rayonnante, à la fois vitrine de ses artisans, commerçants et industriels et espace d’ouverture sur le monde».

La prochaine assemblée générale de Luxexpo*, prévue pour le 24 avril, promet en tous les cas d’être assez animée autour de ce sujet. A moins que d’ici là, le ministre de tutelle, Jeannot Krecké, ait anticipé la date prévue de l’annonce de sa décision.

 

* L’actionnariat de Luxexpo est composé de la Chambre de Commerce (24,01%), la Ville de Luxembourg (17,81%), la Chambre des Métiers (11,90%), les banques Fortis Luxembourg, BCEE, Dexia BIL, KBL (7,70% chacune) et ING (7,72%), ArcelorMittal (6,90%) et enfin, de la Chambre des Fonctionnaires et Employés publics et de la Chambre de Travail (0,43% chacune).