Philippe Brassac: «Je ne pense pas qu’on peut prétendre être une banque universelle et sophistiquée sans avoir cette forte présence au Luxembourg.»  (Photo: BenoitDecoutRéa)

Philippe Brassac: «Je ne pense pas qu’on peut prétendre être une banque universelle et sophistiquée sans avoir cette forte présence au Luxembourg.»  (Photo: BenoitDecoutRéa)

Il y a tout juste deux ans, le 20 mai 2015, Philippe Brassac, alors secrétaire général de la Fédération nationale du Crédit Agricole, a pris la direction générale de Crédit Agricole SA, la société cotée du groupe bancaire français qui compte parmi les acteurs majeurs dans l’Hexagone (première banque avec quelque 25% de parts de marché) et à l’international (2e banque de la zone euro et 11e à l’international, selon le dernier classement S&P Global Market Intelligence publié en avril dernier).

De passage à Luxembourg la semaine dernière – pour la deuxième fois depuis sa prise de fonction – M. Brassac a pu faire le point avec les équipes sur place, confirmant, s’il en était besoin, l’importance stratégique que revêtent les activités du groupe au Grand-Duché. «Le Luxembourg est pour nous un hub européen à vocation mondiale, notamment pour l’épargne et l’assurance, avec un niveau de sophistication et d’acceptabilité multijuridictionnelles qui est remarquable», a-t-il expliqué à Paperjam.lu, en marge de sa visite. «Pour être très performants tous azimuts, notamment en matière d’épargne et d’assurance au sens large du terme, nous avons besoin d’être présents dans des territoires où l’on peut exceller, et avec plus de marge de manœuvre en termes d’expertise, sur des métiers aussi spécialisés que le custody ou l’asset management.»

La transparence et la loyauté fiscales font partie des valeurs de notre groupe et nous les retrouvons ici.

Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA

Au Luxembourg, le groupe emploie quelque 1.500 personnes, dont près d’un millier pour la seule entité Caceis (banque dépositaire et administration de fonds). Crédit Agricole Indosuez Wealth Management (gestion de fortune) et Cali Europe (assurance-vie) complètent la structure au Grand-Duché. «Le Luxembourg est, certes, un petit territoire géographique, mais qui présente des caractéristiques d’expertise, de spécialisation et de sécurisation qui font que des métiers s’y logent très naturellement», estime M. Brassac. «Je ne pense pas qu’on peut prétendre être une banque universelle et sophistiquée sans avoir cette forte présence au Luxembourg.»

Une présence qui, pour l’heure, s’étale largement dans le quartier du Limpertsberg, entre l’allée Scheffer et l’avenue Pasteur. Certaines indiscrétions évoquent un futur regroupement de toutes les équipes sur un site unique à la Cloche d’Or. Un projet qui, officiellement, semble encore être très peu avancé au-delà de la simple réflexion. «Comme dans tous les pays où nous sommes présents, nous visons à travailler sur une localisation unique, un peu sur le modèle de notre siège social sous forme de campus à Montrouge (en région parisienne, ndlr). Au Luxembourg, cela ferait aussi du sens et nous y réfléchissons. Mais il ne s’agit pas encore d’un projet ficelé.»

Un regroupement à l’étude

Vu de France, le Luxembourg n’a pas toujours bonne presse et y développer un pan complet de ses activités suscite toujours, de la part des observateurs, méfiance et prudence. Une attitude à laquelle Philippe Brassac oppose un discours de transparence et de clarté. «Rechercher la sécurité et la sophistication d’une juridiction telle que celle du Luxembourg ne veut absolument pas dire qu’il y ait une quelconque intention maligne sur le plan de la fiscalité. La transparence et la loyauté fiscales font partie des valeurs de notre groupe et nous les retrouvons ici.» 

L’adhésion du pays aux principes d’échange automatique d’informations a, dans cette optique, pesé de manière cruciale dans la relation développée par le groupe vis-à-vis du Luxembourg. Mais cela va encore plus loin. «Non seulement nous limitons nos activités de wealth management aux seuls pays qui pratiquent ce même échange automatique d’informations, mais nous recevons uniquement des clients dont le pays de résidence répond lui aussi à ces exigences.» En venant personnellement au Luxembourg, Philippe Brassac a en tous les cas tenu à faire passer un message clair à l’ensemble de ses équipes: «Ils peuvent compter sur moi pour faire en sorte que le Luxembourg soit mieux connu et compris à l’échelle du groupe.»

Les économies européennes n’ont rien à gagner d’une forme d’uniformisation avec le modèle anglo-saxon.

Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA

Par opposition à un modèle de type anglo-saxon, misant sur la relation fragmentée et spécialisée, Crédit Agricole a préféré développer un concept plus universel, que ce soit dans la globalité des services que de la relation avec le client, indépendamment du canal de communication choisi. «Nous pensons que la relation globale entre une banque et ses clients ne se fait de façon efficace que si elle est collective», explique M. Brassac. «Une des difficultés généralement rencontrées par les banques universelles, c’est de trop souvent travailler en silo. En tant que banque universelle de proximité, il nous faut donc coordonner les métiers, et c’est pour cela que nous avons ici, au Luxembourg, un country officer, Olivier Chatain, qui est aussi à la tête de Crédit Agricole Indosuez Wealth Management, mais qui coordonne également les autres métiers du groupe.»

C’est, du reste, dans la fragmentation de l’offre et, d’une certaine façon, un certain consumérisme individuel excessif au détriment du collectif, que Philippe Brassac entrevoit un danger pour la relation client globale. «Je ne suis pas persuadé que les clients anglo-saxons sont davantage satisfaits des services financiers que les autres», note-t-il. «La banque de la relation est universelle par nature et la révolution du digital doit constituer une corde supplémentaire à notre arc pour que cette relation passe aussi par la voie digitale. Il ne faut pas au contraire que le digital provoque une rupture de cette relation. Ce qui est certain, c’est que les économies européennes n’ont rien à gagner d’une forme d’uniformisation sur le modèle anglo-saxon.»