Pour Adrien Ney, CEO de Luxair, «le combat» au sein du secteur aérien devrait aboutir à une concentration du nombre de compagnies aériennes d’ici l’horizon 2025.  (Photo: Maison Moderne)

Pour Adrien Ney, CEO de Luxair, «le combat» au sein du secteur aérien devrait aboutir à une concentration du nombre de compagnies aériennes d’ici l’horizon 2025.  (Photo: Maison Moderne)

Avec un milliard de passagers transportés via des compagnies low cost en 2016, la situation des compagnies traditionnelles se révèle compliquée. Quelle analyse faites-vous des prévisions qui tablent sur un trafic aérien en Europe opéré à 60% par ces compagnies d’ici 2020?

«La croissance des low cost va continuer. On le voit aussi au Luxembourg où de nouveaux acteurs vont arriver. La seule façon de nous adapter à ce genre de combat, c’est d'adapter notre structure de prix comme nous l’avons fait, et de nous différencier avec notre offre. Mais il faut être réaliste, il existe une différence structurelle entre un low cost et un transporteur traditionnel. De notre côté, nous avons un réseau plus complet et un nombre de rotations plus important, particulièrement vers les destinations les plus demandées par nos clients. Proposer au client un produit de qualité – que ce soit au niveau de la qualité de service, du réseau de destinations ou encore du nombre de vols vers ces destinations – à des prix honnêtes, voilà le seul moyen de résister.

Selon vous, à quel résultat ce «combat» va-t-il aboutir?

«Je crois qu’en 2025, le paysage aérien aura fondamentalement changé. Cela se traduira notamment par le rapprochement entre grandes compagnies et donc une réduction du nombre de compagnies actives. D’un côté, il y aura probablement quatre ou cinq low cost en Europe et deux à trois transporteurs ‘traditionnels’. Car au final, qu’est-ce que le low cost? C’est un modèle différent basé le plus possible sur l’outsourcing, c’est une politique sociale tout à fait différente des transporteurs classiques. La création de telles compagnies par les grands groupes traditionnels est destinée avant tout à réduire leurs coûts de production. En ce qui nous concerne, nous sommes cependant convaincus que Luxair restera le petit Gaulois qui défendra son village.

Pour répondre à ces nouvelles attentes, l’acquisition de nouveaux appareils serait souhaitée. Cela est-il déjà décidé dans le cadre du renouvellement de la flotte prévue en 2019?

«Il y a pour le moment plusieurs possibilités sur le marché, dont le Bombardier C qui semble idéal du point de vue confort passager et coût de maintenance. Maintenant, la décision n’est pas encore prise. L’avion ne vole que depuis quelques mois et il faut voir comment il se comporte en opération réelle: quelle est sa fiabilité,quels sont les coûts réels? Il est pour l’instant, l’‘option privilégiée’ car son coût d’exploitation par siège/kilomètre est inférieur à tous ses concurrents, et il a été conçu avec un transporteur européen de grande renommée. C’est pratiquement du sur-mesure pour le marché moyen courrier. Mais, en attendant de prendre une décision, il faut aussi voir comment se développent ses concurrents.

Pour Luxair, quel serait l’intérêt de cet avion?

«Vu que London City est un aéroport extrêmement important pour nous, sur lequel nous effectuons sept rotations quotidiennes en été et six en hiver, le fait que le Bombardier C soit en cours de certification pour cet aéroport spécifique est un plus indéniable. Mais, attention, à ce jour, aucune décision n’est encore prise. On devrait rouvrir ce dossier fin 2018.

Les premiers échos indiquent que la situation de LuxairTours n’a pas été très bonne cette saison…

«La saison a été très difficile. Mais il y a une très bonne nouvelle, c’est qu’en nombre de passagers LuxairTours, c’est-à-dire pour les vols vacances, nous avons enregistré une croissance de 4%. Ce qui n’est pas mal au vu du contexte actuel. Je ne vais pas tomber dans l’euphorie, mais les premiers chiffres des réservations pour la saison 2016/2017 sont eux aussi bons. Maintenant, il est clair que tout cela reste très fragile à cause de la situation géopolitique… Pour la Turquie par exemple, nous remarquons une certaine réticence de la part de notre clientèle. Or, si le passager ne se sent pas à l’aise, vous pouvez lui proposer n’importe quelle tarification, il ne va pas y aller.

Si on regarde les destinations LuxairTours, elles se situent majoritairement dans des pays en situation politique compliquée…

«Ce n’est pas vrai, car le plupart de nos destinations se trouvent en Espagne qui représente un marché énorme, sinon au Portugal, en Grèce et j’en passe comme l’Italie, la France, la Bulgarie... Ceci dit, nous sommes confrontés à deux problèmes majeurs: le nombre de vols qu’on peut assurer et les capacités hôtelières disponibles. Nous sommes un transporteur moyen courrier et je ne crois pas que nous serons un jour un transporteur qui, par ses propres avions, offrira des destinations vacances lointaines. Or, pour opérer vers les destinations actuelles, la question du réseau de destinations tient au nombre de rotations que l’on peut effectuer et à la capacité hôtelière sur place.

Nous n’avons donc pas forcément besoin de nouvelles destinations, mais nous rencontrons un problème au niveau du prix concernant un segment de notre clientèle... Il s’agit de la clientèle ‘tunisienne’ qui nous a quittés, comme toutes les autres compagnies par ailleurs. Cette clientèle, à défaut d’offre adéquate, s’est orientée vers des destinations françaises. Ce sont donc des clients qui n’ont plus volé mais qui ont probablement utilisé leur voiture pour se rendre en vacances en France. Cependant, sans tomber dans l’euphorie, à première vue, l’année 2017 sera plus qu’acceptable pour LuxairTours. Je ne vais pas vous donner les chiffres, mais malgré les circonstances, nous avons été rentables l’année dernière avec LuxairTours et nous essayerons de faire mieux en 2017. Ce qui est déjà ambitieux dans le contexte actuel.

Malgré des taux d’occupation aux alentours de 70% et des revenus par passagers à nouveau en hausse, la situation de Luxair reste toujours compliquée. Envisagez-vous à terme de développer un service low cost pour contourner ces difficultés?

«Non, car pour diverses raisons, je n’y crois pas. Lancer une compagnie low cost doit commencer de zéro, car tous les essais réalisés par les transporteurs montrent que les alliances entre transporteurs traditionnels et low cost sont contre-nature et ne fonctionnent pas. Le seul modèle qui semble marcher, c’est celui d’Eurowings (compagnie allemande détenue par Lufthansa, ndlr), mais avec notre taille, ce n’est de toute façon pas possible.

Les investissements prévus à hauteur de 250 millions d’euros prévoient également le déploiement d’un environnement digital et la création d’un nouveau siège. Où en sont ces projets?

«Le nouveau siège à Munsbach sera terminé en août. Nous avons construit notre immeuble sur notre terrain, et donc, financièrement, ce sera beaucoup plus intéressant sur le long terme que d’être locataire comme nous le sommes actuellement. Sinon, nous devons investir dans un hangar maintenance, mais ce que le grand public ignore, ce sont les investissements que nous réalisons et qui ne se voient pas. Ce sont des équipements cargo notamment. Individuellement, ce ne sont pas des éléments spectaculaires, mais dans l’ensemble, cela pèse. Idem pour l’informatique et le développement digital, il s’agit de sommes substantielles que nous investissons. Au niveau du digital, nous allons lancer cette année un nouveau site web, nous améliorons les services online, comme le online check-in par exemple, notre application mobile fonctionne très bien… Tout cela ne serait pas possible si le système n’était pas performant.

La rentabilité d’une compagnie aérienne dépend de bon nombre de facteurs, allant du prix du carburant aux taxes aéroportuaires. Quel est le coût moyen pour la compagnie d’un passager?

«Nous connaissons parfaitement ces coûts, mais nous ne les publions pas. Il s’agit de données confidentielles à usage interne.

Des réflexions seraient en cours pour étudier la possibilité d’introduire une nouvelle taxe au Findel, payée par les compagnies. Quelle est votre position sur cette question?

«Même si nous sommes la compagnie principale à l’aéroport de Luxembourg, nous n’y sommes que client. La politique tarifaire pratiquée par l’aéroport n’est pas de notre ressort, alors que nous comprenons très bien que l’aéroport a besoin de revenus pour fonctionner. Si introduction d’une nouvelle taxe il devait y avoir, il est pour nous primordial que celle-ci soit équitable pour tous les clients.

Depuis 2001, le moyen courrier est un combat extrêmement rude.

Adrien Ney, CEO de Luxair

L’un des autres aspects tient dans votre activité de handling. Craignez-vous une nouvelle concurrence dans ce domaine?

«Aviapartner a obtenu sa licence d’exploitation qui est encore valable pendant six ans. Nous avons, dans un premier temps, remporté ce marché, car aujourd’hui tous les clients de l’aéroport ont signé un contrat avec nous. Mais nous avons dû faire beaucoup d’efforts financiers pour y parvenir et la menace persiste. Si un jour une compagnie aérienne décide de contracter Aviapartner pour son handling au Luxembourg, la menace sera réelle. Du point de vue financier cela joue. L’arrivée d’Aviapartner, même si c’est une arrivée virtuelle pour le moment, est une bataille extrêmement dure,  car l’arbitrage est fait par l’ensemble des compagnies aériennes. Ça aurait été une grande erreur de notre part de ne pas faire d’efforts pour garder nos clients. En nous imposant dans un premier temps, nous avons aussi gardé les emplois chez nous, ce qui est une très bonne nouvelle. On a même été forcés de réembaucher.

Vous semblez très pessimiste quant à l’avenir du secteur...

«Depuis 2001, le secteur de l’aviation du moyen courrier connaît un environnement extrêmement rude. Les longs courriers ont longtemps été la ‘cash cow’ des grandes compagnies. Depuis l’arrivée des acteurs du Moyen-Orient sur ce marché, le long courrier n’a plus la même rentabilité. Et du coup, tous les secteurs de l’aviation sont en forte concurrence. Les groupes qui ont bien vécu du long courrier peinent un peu plus désormais, en lien avec la mise en place de très grands hubs qui réduisent les coûts. Pour les acteurs du handling, vous avez une pression des fournisseurs très forte, liée à la pression qu’eux-mêmes reçoivent pour baisser leurs coûts.

En ce qui nous concerne, nous sommes sous pression pour l’ensemble de nos activités. Pour nos métiers dans l’airline, nous avons une concurrence des low cost, pour LuxairTours nous avons une concurrence dans la Grande Région mais aussi un aspect géopolitique qui reste imprévisible et pour le handling, vous avez un coût de main-d’œuvre qui augmente en permanence avec des clients qui ne sont pas prêts à honorer les efforts consentis. Tout cela est effectivement compliqué. Mais j’y crois. Nous avons réussi à nous en sortir dans le passé, et nous allons réussir à nous imposer demain. La bataille pour y arriver devient juste de plus en plus rude.»