Si les pays avec une politique fiscale compétitive privent d’autres pays de leurs recettes fiscales, la conclusion serait donc que chaque politique en matière d’imposition qui est plus intéressante que celle de la France est ainsi prédatrice. (Photo: Licence C.C.)

Si les pays avec une politique fiscale compétitive privent d’autres pays de leurs recettes fiscales, la conclusion serait donc que chaque politique en matière d’imposition qui est plus intéressante que celle de la France est ainsi prédatrice. (Photo: Licence C.C.)

La Commission européenne a récemment publié deux propositions de directives relatives à la fiscalité de l’économie numérique. Les deux propositions ont vocation à déplacer les recettes fiscales des États-Unis vers l’Europe en taxant les activités dominées par les entreprises technologiques américaines là où leurs clients sont situés. Le Luxembourg s’est manifesté pour une consultation plus vaste, au niveau de l’OCDE, demandant une solution internationale. L’opposition du gouvernement est purement au niveau de la compétitivité, et non au niveau du sens de la taxe.

La première proposition de directive vise à fournir une réponse à la question de savoir comment taxer les entreprises qui opèrent en ligne plutôt que par le biais d’établissements physiques traditionnels. Une entreprise serait considérée comme ayant une présence numérique significative dans un État membre si son chiffre d’affaires annuel dépasse 7 millions d’euros, si elle compte plus de 100.000 utilisateurs dans un État membre ou si elle détient plus de 3.000 contrats de services numériques avec des entreprises dans cet État membre. Une part proportionnelle de ses bénéfices deviendrait alors imposable dans le pays auquel elle est liée.

La deuxième proposition de directive est présentée comme une solution temporaire qui permet aux pays de percevoir des taxes sur certaines activités numériques pendant que les négociations sur l’institution d’une taxe digitale permanente ont lieu. Cette taxe provisoire ne s’appliquerait qu’aux opérations de réseaux sociaux et aux ventes d’annonces en ligne et uniquement à certaines grandes entreprises – celles ayant un chiffre d’affaires mondial d’au moins 750 millions d’euros et un revenu d’au moins 50 millions d’euros dans l’Union européenne. Il s’agit là uniquement d’une taxe sur les Gafa.

La différence est plutôt au niveau des recettes que d’un principe de justice sociale.

Bill Wirtz

La justification centrale que la Commission a donnée à ces deux propositions est que les activités numériques échappent à la fiscalité traditionnelle. La propriété intellectuelle des entreprises concernées est souvent située en dehors de l’Union européenne, là où la plus grande partie de la valeur ajoutée y est pourtant créée. Les revenus de ces entreprises ne sont généralement pas imposés dans l’UE, mais cela ne signifie certainement pas qu’ils ne sont pas imposés, surtout depuis que les États-Unis ont adopté un impôt minimum global. Il ne s’agit donc pas de l’idéal vertueux selon lequel «ces entreprises doivent payer leurs impôts», mais plutôt que ces entreprises doivent payer leurs impôts à l’Union européenne. La différence pour une organisation internationale qui vient de perdre un grand membre contributeur (le Royaume-Uni) est donc plutôt au niveau des recettes que d’un principe de justice sociale.

Imaginons donc que la prétention de cette proposition française pour une taxe digitale est basée sur des raisons idéologiques. Si les pays avec une politique fiscale compétitive privent d’autres pays de leurs recettes fiscales, la conclusion serait donc que chaque politique en matière d’imposition qui est plus intéressante que celle de l’Hexagone est ainsi prédatrice. Quelles conséquences le Luxembourg est-il censé en tirer? Augmenter l’impôt sur les sociétés? Augmenter l’impôt sur le revenu? Augmenter la TVA?

La logique européenne n’est pas celle des avantages du progrès technologique, mais celle des risques.

Bill Wirtz

L’argument d’une justice fiscale interétatique est un jeu rhétorique de la France qui cherche à mettre en place un système fiscal inefficace dans toute l’Europe. Bercy rejette l’idée de la compétition fiscale, justement parce que la France n’est pas intéressante en matière fiscale ou entrepreneuriale. Appliquer cette même logique au marché numérique aura des conséquences majeures. N’avons-nous pas conscience que chaque invention technologique majeure vient de la Silicon Valley, et non de l’Europe? Et non, ce n’est pas parce que nous ne taxons et ne subventionnons pas assez, mais justement parce que nous en faisons trop. La logique européenne n’est pas celle des avantages du progrès technologique, mais celle des risques. De plus en plus, notre classe politique a tendance à considérer des entreprises qui ont du succès avec de la suspicion, au lieu de célébrer leur contribution au progrès humain.

S’ajoute le fait qu’une taxe digitale n’est pas payée par les entreprises, mais par les employés de la société ou par ses consommateurs. Quand nous prétendons rendre notre système d’imposition «plus juste», ce que nous faisons en réalité, c’est imposer une taxe régressive aux plus pauvres de notre société. Le gouvernement luxembourgeois a raison de s’opposer à cette taxe. Pas pour la raison que sa mise en œuvre n’est pas commune, mais parce qu’elle n’a pas lieu d’être dès le début.