Jean-Yves Leborgne, portfolio manager chez ING Luxembourg (Photo: DR)

Jean-Yves Leborgne, portfolio manager chez ING Luxembourg (Photo: DR)

Sans investissement, pas de reprise en zone euro! C’est ce qu’on ne cesse d’entendre tant dans les cercles politiques que financiers. Encore faut-il bien comprendre la dynamique des investissements et les causes de sa faiblesse actuelle afin de prendre les mesures adéquates.

Qu’en est-il aujourd’hui? Tout d’abord, il est clair que la zone euro est toujours marquée par un manque d’investissements, tant privés que publics. Mais la situation est très hétérogène: l’Allemagne a retrouvé son niveau d’avant-crise, alors que pas mal de pays de la périphérie peinent à y parvenir. Le record est atteint par l’Irlande où, malgré ses bonnes performances économiques actuelles, le niveau de l’investissement est encore inférieur de moitié au niveau atteint avant la crise.

Dans son dernier rapport sur les perspectives économiques de l’Union européenne, la Commission tente d’expliquer la faiblesse de l’investissement en pointant quatre facteurs explicatifs:

Le deleveraging: rappelons donc qu’après une forte croissance de l’endettement privé et public dans les années 2000, la crise de 2008 a entraîné une période de consolidation de la situation financière des ménages, des entreprises et des États, qui s’est traduite par une hausse de l’épargne et une baisse de l’endettement. Des pays comme l’Espagne, la Grèce ou encore la Slovénie sont donc marqués par un fort mouvement de désendettement, peu propice à l’investissement.

La réorientation de l’économie: suite à des surinvestissements dans le secteur non marchand dans les pays de la périphérie, un mouvement de réorientation de l’économie a été entrepris au cours des dernières années. Cette réorientation a pour conséquence majeure de fortement diminuer l’investissement dans le secteur non marchand.

La fragmentation financière: la crise économique et financière, mais surtout la crise de la dette dans la zone euro qui s’en est suivie se sont traduites par une fragmentation de l’espace financier dans la zone euro. Ceci affecte l’offre de crédits dans les pays qui sont les plus touchés par cette fragmentation. Par conséquent, malgré une politique monétaire unique, le coût de financement des entreprises dans la zone euro est devenu très différent entre les pays de la zone euro et particulièrement élevé dans les pays de la périphérie. Même si la situation s’améliore grâce aux actions de la BCE, la fragmentation financière est loin d’avoir disparue.

L’incertitude: il faut ajouter aux éléments cités ci-dessus un manque de confiance des ménages et des entrepreneurs. Certes, les niveaux de confiance se sont bien relevés depuis fin 2012, mais ils restent encore fragiles. Par ailleurs, au cours des derniers mois, la confiance s’est de nouveau repliée. Il est alors difficile d’imaginer une forte croissance de la demande de crédits, ce qui en retour ne fait qu’alimenter le manque de confiance.

En conclusion, si l’offre de crédits est touchée à travers la fragmentation financière, la Commission européenne pointe surtout du doigt des éléments affectant la demande de crédits: désendettement, réorientation de l’économie, manque de confiance diminuent fortement l’investissement dans les pays qui pourraient bénéficier le plus d’une reprise par la demande intérieure. Cela pose aussi un gros problème de politique économique car comme le dit l’adage, «on peut amener un cheval à l’eau, mais on ne peut le forcer à boire». Tout est mis en œuvre pour débloquer au mieux le canal de l’offre du crédit. Mais si ni les ménages ni les entreprises ne veulent ou ne peuvent en profiter, ces efforts seront vains. On atteint là les limites de la politique économique et plus particulièrement de la politique monétaire.