Le tri des feuilles de tabac, chez Heintz van Landewyck, en 1920. (Photo: archives Heintz van Landewyck)

Le tri des feuilles de tabac, chez Heintz van Landewyck, en 1920. (Photo: archives Heintz van Landewyck)

Le Centre des arts pluriels d’Ettelbruck (CAPE) propose jusqu’au 5 juillet une exposition consacrée au bicentenaire de la production tabatière au Luxembourg.

Bien avant la sidérurgie, le tabac a constitué la première industrie du pays durant de nombreuses années. Son histoire est d’abord liée à un nom, celui de Michel Fixmer qui, après un apprentissage à Anvers, en Belgique, fonde en 1815 à Ettelbruck la première manufacture du pays où est produit du tabac à chiquer ainsi que pour la pipe.

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L'emballage manuel du tabac, chez Fixmer à Ettelbruck, vers 1900.

L’initiative fera rapidement des émules et, en 1880, le pays compte une trentaine de manufactures, pour la plupart des petites entreprises familiales qui emploient au total près de 300 salariés et qui ont pour nom Becker, à Perlé; Feller, à Dudelange; Galles, à Eich; Knaff-Welter, à Larochette; Spadaro, à Esch-sur-Alzette; ou encore Heintz van Landewyck à Luxembourg-Ville qui, elle, s’intéresse très tôt à la fabrication de cigarettes toutes faites. Il engage pour ce faire des femmes – des «cigaretières» – qui roulent chacunes à la main jusqu’à 1.000 cigarettes par jour.

Durant ce temps, Fixmer mise lui sur le tabac pour la pipe et crée «Goldchlessel», la première marque luxembourgeoise.

L’avènement des machines

Au tournant du vingtième siècle, la mise en place d’accises sur le tabac et l’apparition de premières machines vont bouleverser l’industrie du tabac et signer la fin de bon nombre de petites sociétés artisanales.

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L'arrivée des machines, au début du 20e siècle, a boulversé l'industrie du tabac.

«Il fallait des fonds de roulement pour payer ces taxes et investir dans la mécanique», explique Georges Krombach, international marketing director chez Landewyck Tobacco et comptant parmi les organisateurs de l’exposition présentée à Ettelbruck.

Dèbut 1900, il ne reste dès lors plus que trois manufactures – Fixmer, Heintz van Landewyck et Cahen – qui profitent d’un climat économique favorable, au sein du «Zollverein». Mais cette période, avec la Première Guerre mondiale, ne dure pas et la sortie du Luxembourg de cette union douanière avec l’Allemagne complique encore un peu plus les choses avec la perte des marchés allemand et alsacien.

L’UEBL change la donne

Désormais tenus par la nouvelle Union économique belgo-luxembourgeoise (UEBL) signée en 1922, les producteurs de tabacs luxembourgeois doivent affronter les producteurs belges qui envahissent le marché. Ils doivent alors de réorienter leur production vers la cigarette toute faite qui domine désormais les habitudes des fumeurs.

Fixmer, qui ne s’y était pas préparé, ne survivra pas à ce changement et, à la mort de son directeur Charles Fixmer qui n’a pas d’héritier, sa société – dont les activités de grossiste perdurent toutefois aujourd’hui – est reprise intégralement par Heintz van Landewyck en 1939.

Rostiegel face à l’envahisseur

De son côté, la manufacture Cahen connaît de gros soucis durant la guerre lorsqu’elle est placée sous administration fiduciaire par l’occupant nazi. Elle ne doit son salut qu’à l’intervention de Gustave Koener, directeur de Heintz van Landewyck, qui avec Fixmer reprend les activités de Marcel Cahen à travers la société Rostiegel GmbH pour éviter qu’elles ne tombent entre les mains de repreneurs allemands.

Quelques jours après la libération du pays, en octobre 1944, Marcel Cahen retrouvera la direction de son entreprise qui cessera ses activités l’année suivante, laissant à Heintz van Landewyck le monopole de l’industrie du tabac au Luxembourg.

En réponse aux Américain(e)s

Seul maître à bord, le groupe n’a cessé de grandir depuis lors, et ce malgré la concurrence farouche de grandes marques, notamment américaines, apparues avec l’arrivée des GIs à la fin de la guerre et leurs Lucky Strike et autres Camel face auxquelles Heintz van Landewyck lance – le choix du nom n’a pas été anodin – les Maryland, premier gros succès de la manufacture de la rue de Hollerich.

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Le premier paquet de Maryland a été produit par Heintz van Landewyck en 1944.

«Puis il y a eu ensuite, au début des années 60,  les premières études sanitaires menées sur le tabac qui ont conduit les producteurs à fabriquer des cigarettes à filtre», rappelle Georges Krombach, citant également l’arrivée sur le marché de Marlboro, de son marketing à outrance avec son fameux cowboy, et son sponsoring de grands événements sportifs tels que la Formule 1.

Pour contrer Philip Morris, Heintz van Landewyck lancera en 1969 la Ducale, un autre succès, à l’heure où les cigarettes prennent place dans des paquets rigides. Parmi ceux-ci, on retrouve notamment les Kent, des blondes réputées à travers l’Europe, produites au Grand-Duché à travers une joint-venture conclue entre le fabricant luxembourgeois et les manufactures américaines Lorillard.

Rebondir sans cesse

Au terme d’un partenariat de 10 ans, Lorillard revendra Kent à British American Tobacco, contraignant Heintz van Landewyck à rebondir à nouveau en se lançant dans la production de marques génériques, notamment à destination du marché allemand, et – en 1998 – en imposant au marché ses Elyxir, qui représentent aujourd’hui la plus grande marque du groupe à l’international.

Heintz van Landewyck produit aujourd'hui 9 milliards de cigarettes par an.

En 2015, Heintz van Landewyck dispose d’un portefeuille d’une trentaine de marques vendues dans 35 pays d’Europe, d’Asie, d’Océanie et d’Afrique, en attendant de poser le pied en Argentine ainsi qu’en Corée du Sud.

Le groupe, qui dispose de cinq sites de production – deux au Luxembourg, un en Belgique, un en Allemagne et un en Hongrie – emploie à l’heure actuelle quelque 2.000 salariés, dont 750 au Grand-Duché. Il produit 9 milliards de cigarettes par an.

Sa production, qui représente 6% du budget de l’État, se fait à 85% à l’export. Au niveau national, Heintz van Landewyck détient 15% du marché des cigarettes et 25% de celui du tabac, à rouler ou à tuber.

200 ans de manufactures de tabac au Luxembourg - Centre des arts pluriels – 1, place Marie-Adélaïde à Ettelbruck – Exposition gratuite accessible du lundi au samedi de 12h à 20h et le dimanche de 10h à 18h.