Jeannot Krecké: «L’élan que l’on constate aujourd’hui dépasse les objectifs que je m’étais fixés» (Photo: Eric Chenal/Blitz)

Jeannot Krecké: «L’élan que l’on constate aujourd’hui dépasse les objectifs que je m’étais fixés» (Photo: Eric Chenal/Blitz)

Monsieur Krecké, comment jugez-vous l’état d’avancement du plan de développement d’infrastructures que vous aviez annoncé en 2010?

«J’aurais voulu commencer plus vite, mais nous avons dû attendre que l’Institut Luxembourgeois de Régulation (ILR) donne son feu vert. Je crois qu’on est encore dans les délais, mais si c’était bon de pouvoir l’annoncer, c’est encore mieux de pouvoir le réaliser.

Justement, la décision de l’ILR approuvant l’offre de référence de l’accès à très haut débit de l’Entreprise des P&T (EPT) n’a pas fait que des heureux auprès des opérateurs alternatifs…

«L’ILR a une position neutre et jusqu’à présent, je n’ai pas vu qu’il avait été particulièrement favorable à l’EPT. Si, après de longues discussions et une fois que tous les chiffres sont sur la table, on en vient à la conclusion que la décision publiée se base sur des conditions qui puissent être acceptées par tout le monde, alors je dis que les opérateurs alternatifs feraient bien de collaborer et de travailler au lieu de se plaindre.

Je crois que les alternatifs ont un petit peu exagéré. On est dans un marché où il faut se défendre et j’ai parfois l’impression qu’ils voulaient que ce soit l’Etat qui leur aménage indirectement des conditions extrêmement favorables.

Je rappelle qu’à l’origine, l’infrastructure que l’EPT voulait développer était plus fermée et que c’est le gouvernement qui a insisté pour qu’elle soit vraiment ouverte. Il est par exemple prévu de mettre quatre fibres dans chaque maison, pour que justement la concurrence puisse jouer.
Quel que soit le secteur, chacun veut toujours avoir plus. Mais je crois que l’offre qui est proposée est honnête. Alors que tout le monde travaille, désormais, et qu’on avance!

Je suis de toute façon partisan d’avoir des infrastructures non concurrentielles, où tout le monde passe dessus moyennant le paiement d’un péage, comme c’est le cas dans le secteur de l’énergie. Malheureusement, ce n’est pas comme ça que les choses ont été établies à l’époque.
Mettons donc en place des infrastructures de très haute qualité. Ensuite, c’est à chacun d’offrir les services nécessaires et demandés.
Si on demande à l’EPT d’avancer, c’est parce que nous avons les moyens de l’influencer en tant qu’actionnaire. Nous serions fous de ne pas utiliser les outils que nous avons pour avancer dans les infrastructures. Car c’est bien de cela que l’on parle à l’extérieur du pays et c’est sur cette base que nous allons établir notre attractivité.

Mais si les tarifs imposés par la décision de l’ILR ne permettent pas à la concurrence de développer de nouveaux services, mais seulement de faire un copier-coller de l’offre de l’opérateur historique, où se trouve la plus-value?

«L’ILR dit que c’est possible!

Oui, mais en disant en même temps qu’il va approfondir l’analyse des conditions financières de ces offres avec l’aide d’un expert. Ce qui veut dire qu’il n’est pas sûr de son coup…

«C’est juste pour une année. Et il aurait été dramatique d’attendre une année supplémentaire avant de publier cette décision. On ne peut pas annoncer quelque chose comme nous l’avons fait début 2010 et attendre deux ans que quelque chose se passe. J’ai horreur de ça. On pourra toujours rectifier le tir si ça s’avère nécessaire. A ce jour, ce ne sont que des procès d’intention. Je veux que tout le monde travaille et qu’on fasse avancer le pays!

De ce que vous observez à l’occasion de vos missions à l’étranger, constatez-vous que le pays est effectivement en train d’avancer?

«Nous avons des choses à montrer et nous avons des résultats. Presque à chaque mission, je ramène une firme! Ce qui est exemplaire, pour le moment, au niveau de la coopération à l’intérieur du gouvernement, c’est cette collaboration entre le service des Médias et des Communications (rattaché au ministère d’Etat, mais placé sous la responsabilité du ministre des Communications et des Médias, François Biltgen, ndlr.) et notre ministère. Cette démarche commune est exemplaire et les résultats sont visibles.

Du reste, je tiens à insister sur l’influence de M. Biltgen, avec qui j’entretiens une bonne collaboration depuis que nous avons travaillé ensemble au sein du comité de conjoncture (François Biltgen était ministre du Travail et de l’Emploi lors du précédent gouvernement, entre 2004 et 2009, ndlr.). Cette bonne entente se perpétue et se voit dans la façon dont nous collaborons.

Sur le terrain, comment cela se passe-t-il?

«Partout où nous allons, nous avons des contacts concrets, comme au Japon, avec la société Rakuten (société spécialisée dans l’e-commerce et qui emploie plus de 7.000 personnes au monde, ndlr.). Nous avons également été en Corée et c’est Nexon (un des leaders mondiaux dans les jeux en ligne, ndlr.) qui a décidé d’établir des activités au Luxembourg.

Nous sommes récemment allés aussi à Moscou et nous avons convaincu des sociétés de venir s’établir ici. L’une d’entre elles est venue au Grand-Duché un mardi et le vendredi, elle avait signé les contrats avec les opérateurs de datacenters. Une autre est sur le point de venir.

Le fait que vous soyez le ministre de tutelle de l’EPT et que M. Biltgen soit le garant du développement et de la bonne tenue d’un marché concurrentiel ne vous met-il pas parfois en opposition?

«Mais je rappelle que c’est lui qui établit les règles, que ce soit pour le service postal ou les télécommunications. Le ministre de tutelle de l’ILR, en charge de la réglementation, c’est lui! Le ministère de l’Economie et du Commerce extérieur, lui, devrait plutôt s’occuper des firmes. Mais vu la bonne entente entre nos deux ministères, nous collaborons étroitement dans tout.

Il est vrai que, à l’occasion, je peux être amené à défendre la société dont j’ai la tutelle, c’est clair… C’est le même principe dans le domaine de l’énergie. Nous avons des discussions, mais au final, c’est lui qui prend la décision, toujours dans l’intérêt du marché et du pays.
Je rappelle que le ministère de l’Economie et du Commerce extérieur est avant tout un ministère de coordination et qui s’occupe de certaines firmes où l’Etat a des participations stratégiques. Nous sommes habitués à cette situation.

Avez-vous le sentiment qu’il est plus facile de ‘vendre’ le Luxembourg aujourd’hui qu’hier?

«On commence en effet à être bien connu, mais surtout par le fait que l’information circule beaucoup entre les opérateurs. Quand AOL s’est établi ici, les autres se sont posé la question. Pareil pour Amazon. A partir de là, il n’y a plus besoin d’expliquer grand-chose… Et puis il faut savoir que même dans un grand pays comme les Etats-Unis, le monde de l’IT, lui, est un peu comme le Luxembourg: tout le monde se connaît. Le bouche à oreille fonctionne beaucoup.

L’ICT est un secteur qui se vend bien, en tous les cas bien plus facilement que d’autres. C’est une bonne chose aussi que M. Biltgen ait été d’accord de se rallier à Luxembourg for Business avec le label ‘proud to promote ICT’. Cela permet de conserver une certaine visibilité au secteur sans qu’il soit noyé dans Luxembourg for Business. Et c’est la même façon de communiquer pour bon nombre d’autres secteurs, sous une même image unique.

Est-ce suffisant pour faire de l’ICT un réel pilier de l’économie pour le Luxembourg?

«L’ICT se développe, mais on ne peut pas la comparer aujourd’hui aux services financiers. C’est, bien sûr, devenu un secteur porteur, mais il est évident que c’est encore le secteur des banques qui assure les trois quarts des recettes de l’impôt sur les revenus des collectivités. Mais tous ces différents secteurs ou activités que l’on est en train de développer, que ce soient les headquarters, les sciences de la vie ou encore les écotechnologies, tout cela attire de plus en plus d’entreprises qui s’établissent ici. Ils ne représentent pas encore de rentrées financières mirobolantes, à part la TVA.

Une TVA qui ne va bientôt plus être un argument d’appel pour le Luxembourg, lorsque le régime actuel changera en 2015…

«Oui, justement, il faut que ces sociétés viennent s’établir ici avant ce changement et faire en sorte qu’après, elles n’aient plus envie de partir. J’ai confiance dans le fait que très peu de ces sociétés partiront. Mais cela nécessite que l’on continue à développer un environnement qui leur soit favorable.

Qu’est-ce qui pourrait les convaincre de rester?

«Ce que les sociétés apprécient avant tout ici, c’est le fait que nous leur fournissons un traitement personnalisé et un accès très facile à toutes les administrations clés, voire aux ministres concernés. C’est quelque chose que les autres n’ont pas forcément.

Nexon, par exemple, était établie en Grande-Bretagne depuis quelques années. Ils n’ont jamais, vu ni de près, ni de loin, ne serait-ce que le conseiller d’un ministre. Ici, ils ont été bien entourés. Lorsqu’ils sont arrivés, on les a pris par la main et on a fait le tour des administrations et des services dont ils avaient besoin. C’est ce traitement personnalisé qui va faire la différence.

Cela nécessite-t-il des ressources nouvelles au niveau des ministères?

«Nous avions une personne qui faisait ça à mi-temps précédemment et qui, maintenant, ne fait plus que ça. Mais elle n’est pas toute seule et peut compter sur plusieurs autres personnes pour l’épauler si besoin. Nous avons une panoplie de gens dont chacun a ses spécialités.

Etes-vous surpris de la rapidité avec laquelle les choses ont évolué ces dernières années?

«Il y a eu plusieurs phases. Il y a d’abord eu une accélération lorsqu’il y a eu l’attrait de la TVA, c’est clair. Puis il y a eu un ralentissement, car les infrastructures n’ont pas tout de suite suivi. On a alors poussé dans ce domaine et l’élan que l’on constate ressemble à celui de la TVA à ses débuts. Et dans cette phase de redémarrage, oui, j’avoue que je suis surpris, car cela dépasse les objectifs que je m’étais fixés.

Qu’en est-il des entreprises qui sont déjà établies ici, à commencer par les entreprises ‘locales’. Sont-elles également portées par ce même élan?

«Bien sûr. Elles profitent de la masse critique qui est atteinte de l’ensemble du business qui est ramené au pays. Chacun peut revendiquer sa part du gâteau. Regardez un événement tel que la conférence internationale sur la sécurité Hack.lu qui s’est récemment tenue pendant deux jours, fin septembre, à Luxembourg. Nous ne pourrions pas accueillir un tel événement si nous n’avions pas la masse critique. Sans compter que cet aspect de la sécurité est également suivi de très près ici.

Les firmes établies profitent donc de tout ça, mais aussi de la réputation de l’ensemble du pays. Il ne faut pas se leurrer: nous sommes connus à l’extérieur et, donc, cela attire de nouvelles affaires et de nouvelles firmes qui ont besoin de fortes bases informatiques. Regardez le secteur des biotechnologies. S’il y a bien quelque chose de nécessaire pour leur développement, c’est l’informatique!

Le Luxembourg est-il également en mesure de tirer son épingle du jeu en matière de cloud computing? Beaucoup de monde en parle, mais peu en font vraiment ici…

«Il faut avant tout essayer d’avoir une législation qui soit adaptée à ces technologies. Quelque chose qui soit facile à appliquer et qui donne confiance aux consommateurs afin qu’ils sachent, à chaque instant, ce qu’il advient de leurs données, quel que soit le cas de figure envisagé. Il y a déjà une ébauche de projet de loi que j’espère voir aboutir l’année prochaine. Mais ce n’est pas facile, car nous risquons d’être les premiers à légiférer, ce qui veut dire qu’on ne peut pas copier sur une autre législation. Cela nous donnerait, là aussi, un sacré avantage.

En 2014, il y aura des élections au Luxembourg et, probablement, des changements dans les attributions ministérielles. L’élan que vous avez insufflé avec M. Biltgen, et que vous considérez comme étant un élément clé du développement de l’ICT au Luxembourg, survivra-t-il si l’un de vous deux voire les deux n’occupent plus les fonctions qui sont les leurs aujourd’hui?

«Même si ce ne sont plus les mêmes ministres qui sont en place, on retrouvera en grande partie les mêmes fonctionnaires. Tous ont appris à bien travailler ensemble au-delà des deux ministres dont ils dépendent. Il y a aussi de très bonnes relations entre eux, ce n’est pas un souci.»

 

Développements - Tous azimuts

On ne s’est guère ennuyé en cette année 2011 dans le secteur de l’ICT au Luxembourg, tant les annonces, plus ou moins spectaculaires, ont été nombreuses. Les spécialistes des jeux online OnLive, Kabam, Agopia, Big Fish ou encore Zynga ont choisi le Luxembourg pour y établir qui un centre technologique, qui un bureau de centralisation de leurs activités opérationnelles… A cela s’ajoutent le déploiement, depuis le Grand-Duché, du Reader Store de Sony ou encore l’annonce de l’établissement, à Luxembourg, d’une antenne de l’accélérateur d’entreprises innovantes de la Silicon Valley Plug and Play, créant ainsi un pont direct entre l’Europe et la Californie pour les jeunes pousses technologiques. Mais l’émulation vient aussi de l’intérieur, comme en témoigne l’initiative Europe4StartUps qui propose, depuis Luxembourg, une palette de services gratuits destinés à des start-up (prioritairement, mais pas exclusivement, issues des secteurs e-commerce, e-games et multimédia) désireuses de s’implanter en Europe.