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 Crédit Photo: Castegnaro-lus Laboris Luxembourg

Les faits

Un établissement financier (ci-après, la Société ou l’Employeur) a décidé de délocaliser une partie des activités de sa succursale luxembourgeoise vers la Pologne.

Dans le cadre de la mise en œuvre de ce projet, l’Employeur a chargé le personnel luxembourgeois du département impacté (dont Monsieur X) de former quatre collaborateurs polonais aux tâches que ces derniers étaient appelés à reprendre. Ce transfert de compétences devant précéder la suppression de quatre postes au sein du département de la succursale.

C’est dans ce contexte que Monsieur X a remis à deux des salariés venus en formation une lettre au terme de laquelle il qualifiait la mesure de délocalisation de comédie et de décision inhumaine et enjoignait ses collègues polonais à se joindre au personnel luxembourgeois pour contraindre l’Employeur à renoncer à ce projet.

Monsieur X faisait également état du sentiment d’humiliation au quotidien et de la torture morale qu’occasionnait la présence des salariés polonais, avant de conclure que les licenciements à venir se feraient pour le prix d’un café et d’un sandwich.

L’Employeur, estimant ces propos discriminatoires à l’égard du personnel polonais et comme constituant un acte d’insubordination, a licencié avec préavis Monsieur X, qui cumulait une ancienneté de service de 6 années.

Le bien-fondé du licenciement a été reconnu tant en première instance qu’en instance d’appel au motif notamment que le salarié avait fait un usage manifestement abusif de sa liberté d’expression.

De manière générale, les juridictions du travail luxembourgeoises1 admettent que les critiques d’un salarié – fussent-elles «vives» – formulées à l’encontre de la nouvelle organisation de travail mise en place par l’employeur ne constituent pas, en soi, un motif de sanction disciplinaire, ce particulièrement compte tenu de «l’état d'excitation» de leur auteur à l’annonce de mesures de restructuration impliquant d’éventuels licenciements.

Toutefois, la liberté d’expression n’est certainement pas absolue et connaît des limites, qui, une fois franchies, exposent l’auteur des propos litigieux à une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement.

 

L’abus de droit: limite à la liberté d’expression

La Cour d’appel2 rappelle que la constatation de l’éventuel abus du droit à la liberté d’expression s’analyse nécessairement à la lumière du contexte dans lequel interviennent les propos reprochés au salarié. La teneur des propos, leurs destinataires, ainsi que la publicité qui leur est réservée sont également à prendre en considération pour apprécier si, oui ou non, le salarié a fait un usage légitime de la liberté d’expression.

Il ressort du raisonnement du juge d’appel que le comportement fautif de Monsieur X découle notamment:

  • du fait d’avoir qualifié la présence du personnel polonais d’humiliation au quotidien et de torture morale pour le personnel luxembourgeois, propos jugés blessants et vexatoires par la Cour;
  • du fait que le courrier litigieux, initialement remis à deux des salariés polonais, ait transité entre les mains de plusieurs responsables au sein de la Société et ait, au vu de son contenu, de toute évidence fait l’objet d’intenses discussions parmi les salariés du département impacté;
  • du fait d’avoir qualifié la mesure de restructuration de comédie et de décision inhumaine, ridiculisant ainsi, selon la Cour, la décision de l’Employeur;
  • du fait que Monsieur X, en sa qualité de formateur, aurait dû assurer le bon fonctionnement de la formation et consolider l’esprit d’équipe des participants, ce qui, pour la Cour, est incompatible avec le fait de qualifier leur présence d’humiliation et de torture morale;
  • du fait que Monsieur X n’ait pas exprimé ses préoccupations auprès de ses supérieurs hiérarchiques ou de la délégation du personnel, mais ait plutôt tenté d’amener les salariés polonais à se mobiliser contre le projet de l’Employeur. 

Selon la Cour, tous ces constats caractérisent:

  • une atteinte portée à la dignité des salariés polonais;
  • une marque d’irrespect vis-à-vis de l’Employeur et de sa politique économique;
  • une volonté du salarié d’accentuer les tensions au sein de l’entreprise et de durcir le climat social déjà affecté par le projet de restructuration.

À la lumière de ses conclusions, l’arrêt retient que les agissements du salarié ne constituent pas un simple «excès d’humeur ou de frustration», qui, dans un contexte de suppression d’emplois, aurait pu être légitime.

L’abus de droit étant caractérisé, le licenciement prononcé a donc été considéré comme justifié. La liberté d’expression, bien que relevant d’un droit fondamental du salarié, doit donc s’exercer dans un cadre respectueux des droits et libertés d’autrui, qu’il s’agisse de l’employeur ou de tiers (en l’espèce, les salariés polonais).

 

Retrouvez toute l’actualité Droit du travail

 

1 Notamment Tribunal du travail de et à Luxembourg, jugement du 2 octobre 2012, n°2245/2012 du répertoire

2 Cour d’appel, 22 mars 2018, n° 44459 du rôle