Le nouveau parc commercial ouvert à Arlon densifie un peu plus l'offre dans la région. Qui y gagnera?
33.000 m2 de plateaux, 1.000 emplacements de parkings, 34 enseignes: le parc commercial de l'Hydrion, à Arlon, a ouvert ses portes en fanfare, fin août. Preuve de la confiance qu'il suscite auprès des géants des implantations du genre, le promoteur privé qui en a été le maître d'oeuvre vient déjà de le revendre à une société britannique spécialisée.
A en croire le bourgmestre d'Arlon, Guy Larcier, dont l'administration a fermement soutenu le projet, et Francine Walhain, "gestionnaire du centre-ville", ce parc constitue, tout simplement, une première en Europe continentale.
Toutes les grandes surfaces cherchent en effet à se développer. Face au manque d'infrastructures d'ensemble, elles s'implantent donc où elles trouvent de la place: dans des bâtiments en "boîte à chaussures" ou dans des centres commerciaux classiques. "Ici, une cohérence d'ensemble a été voulue, avec une unité architecturale et une intégration forte", explique Guy Larcier. En soulignant que, avec ses halls de 1.000 à 2.000 m2 (la plus petite surface commerciale sera de 300 m2 et la plus grande de 2.500), l'Hydrion n'a rien à voir avec un centre commercial intégré. Ici, d'ailleurs, pas de galerie couverte, mais simplement un auvent tout au long des commerces. Pas question, donc, de flâneries comme dans les centres classiques. On vise la très grande surface par enseigne.
Moyen et bas de gamme
Autre caractéristique: les enseignes (hi-fi, jouets, chaussures, alimentation, décoration, informatique, parfumerie, vêtements, mobilier, cuisines équipées, supermarché, et l'on en passe) sont toutes de moyen et bas de gamme. Ce choix délibéré est venu de la Ville d'Arlon. "Le parc est ainsi complémentaire avec le centre-ville, où nous visons le commerce haut de gamme et de luxe, qui ne nécessite pas de telles superficies", précise le bourgmestre.
Et il y aura sur le parking un pavillon avec toutes les informations sur le centre-ville tout proche. Parce qu'une telle infrastructure draine une clientèle qui vient de loin, souvent pour des achats bien précis. Le but est donc de l'attirer, après, vers le centre-ville, d'autant qu'il n'y aura pas d'Horeca à l'Hydrion.
A titre indicatif, rappelons qu'Ikéa annonce, pour sa future implantation à Sterpenich, 1,3 millions de visiteurs par an, dont 1,2% vont aussi à la ville la plus proche. Un message que les commerçants d'Arlon, favorables tant à l'Ikea qu'à l'Hydrion, ont très bien compris. Le président de leur association, André Fellin, a ainsi expliqué à un quotidien belge que "le commerçant arlonais doit se remettre à penser comme un badaud'. Et d'avancer toute une série de propositions concrètes pour s'attirer cette clientèle nouvelle, sans oublier le côté animation: "Le centre-ville doit redevenir un lieu de rencontre, de culture, où se situent des boutiques autres que celles qu'on trouve ailleurs". Ce qui vaut pour les commerçants d'Arlon vaut pour ceux de toute agglomération d'importance.
"Struggle for life"
L'Hydrion s'inscrit dans une région des trois frontières où grandes surfaces et galeries commerciales se multiplient d'une manière qui peut paraître suicidaire. Sans oublier que le nouveau gouvernement luxembourgeois a décidé de lever le moratoire sur l'implantation de grandes surfaces, ce qui ne manquera pas de susciter le mécontentement des commerçants, qui auront donc peut-être des leçons à recevoir outre-Capellen.
Les distributeurs, eux, parlent de concurrence et de potentiel de clientèle. On ne demande qu'à les croire. Ils soulignent aussi qu'il faut comparer ce qui peut l'être. Ainsi, du côté du City Concorde, on remarque que les enseignes de l'Hydrion ne sont pas concurrentes du haut de gamme qui prévaut à Bertrange. Tout en se réjouissant de la future levée du moratoire, attendue depuis longtemps, certains reconnaissent cependant que "les parts du gâteau deviennent plus petites", que des problèmes apparaissent au moins sur certaines zones commerciales et que, dans un petit pays comme le nôtre, il y a déjà beaucoup de grandes surfaces. Trop? "C'est le client qui tranchera. Il choisira en fonction des prix, de la qualité et du service.", tranche-t-on au City Concorde.
Reste que l'Hydrion donne une tendance, en tout cas pour sa gamme d'enseignes: presque une dizaine y vient en délocalisation de leur site du "triangle des trois frontières", à Messancy. Une zone commerciale - certes entachée par des irrégularités sur le plan urbanistique et marquée par des bâtiments vétustes et de qualité très critiquée - qui va, du coup, s'en trouver désertée.
Seuls subsisteront l'énorme shopping Cora, avec sa vaste galerie commerciale, Leroy-Merlin, et le quasi flambant neuf Outlet Center. Pour ce dernier, on peut se demander jusqu'à quand: il ne regroupait déjà que quelques enseignes, seulement, et deux viennent de fermer! Dans ce contexte, le discours de Francine Walhain, très franc, paraît le plus juste. "De toute façon, c'est 'struggle for life'. Oui, il y a surcharge de l'offre. Mais il y a encore des projets sur les trois frontières. Donc, ceux qui ne viendraient pas ici iraient ailleurs. Alors, autant les accueillir, et bien. Et, à l'Hydrion, le prix des loyers est le même qu'à Messancy, avec des bâtiments faits pour durer, dans un concept qui permet une très bonne gestion et le long terme". La messe est dite...
Certains estiment aussi que la zone commerciale de Messancy, bâtie - "par décision politique" - sur une zone marécageuse est une erreur. " A l'époque, Arlon s'est fait prendre de vitesse, mais c'est à Arlon que tout cela aurait dû se faire. Car, à Arlon, il y a un pôle urbain et des synergies possibles. Pas là-bas".
Enfin, une concurrence apparaît aussi entre nationalités des enseignes. Dans chaque partie nationale des trois frontières, ce sont les enseignes et les produits nationaux qui sont mis en valeur. Ainsi, l'Hydrion ne rassemble-t-il pratiquement que des enseignes belges. De l'autre côté de la frontière, sur le versant français, un groupe français a racheté l'ex-site Daewo, juste en face d'Auchan (qui projette de se développer sur deux autres zones riveraines) afin d'y implanter un parc commercial très semblable à l'Hydrion, en ciblant la même clientèle, avec uniquement des enseignes françaises, comme c'est déjà le cas à Thionville.
L'union européenne a beau avoir ouvert les frontières, on est toujours de quelque part. Pourtant, tout un chacun admet une très forte mouvance naturelle des clients, attestée par l'immatriculation des voitures sur les parkings. L'herbe est toujours plus verte ailleurs...