Les pieds sur terre, la tête dans les étoiles, Abdu Gnaba continue d’avancer... Anthropologue et sociologue, il étudie les sociétés et les cultures humaines, pour révéler ce qui les unit, se plongeant dans leur passé pour mieux comprendre le présent.
Mais aujourd’hui, alors que l’idée de coloniser l’espace commence à faire son chemin dans certains esprits plus qu’avant-gardistes, de nouveaux modèles de sociétés «extraterrestres» sont sur le point d’émerger, élargissant de fait l’horizon de l’anthropologue au-delà de la seule gracieuse courbure de notre planète.
L’«anthropofiction» devient alors un concept à inventer, et Abdu Gnaba s’en revendique volontiers le pionnier. Car depuis qu’Elon Musk a dévoilé ses projets de colonisation de la planète Mars, l’idée de faire de l’anthropologie par anticipation est presque devenue pour M. Gnaba une obsession, doublée d’une fascination pour une matière encore vierge de toute investigation. S’il est bien un champ encore totalement inexploré, c’est celui de l’Homme dans l’espace.
Est-ce d’avoir eu pendant plusieurs années, depuis la fenêtre de sa chambre, une vue directe sur l’Observatoire de Nice, au sommet du Mont Gros, qui lui a forgé cet ambitieux dessein animé de passion? Est-ce la rencontre, au fil de sa carrière, avec quelques spationautes et leur vision humaniste, et parfois poétique, d’exploits technologiques sans précédent? «Au départ, la conquête de l’espace reposait sur une compétition politique», rappelle Abdu Gnaba. «Mais aujourd’hui, elle est avant tout facteur d’union. Tout le monde travaille ensemble. Or, justement, l’anthropologie travaille à révéler l’unité de l’Homme.»
Le lien est alors évident à ses yeux: l’espace nous permet de prendre conscience de notre appartenance à une espèce commune, nous apprend que nos différences sont source d’innovations et qu’elles nous permettent de progresser lorsqu’elles sont mises au service de tous. «On observe la création d’une culture nouvelle, avec ses mythes, ses règles, ses héros. Si le désir ou le fantasme est le moteur de l’humain, ce qui est fascinant aujourd’hui, c’est que plus on rêve grand, plus les projets les plus fous se concrétisent, à une vitesse étourdissante.»
Au point de classer Elon Musk comme un personnage mythologique. «La période que nous vivons est merveilleuse, au sens premier du terme. Tout ce que l’on peut imaginer peut potentiellement exister. Le propre de l’Homme n’est-il pas de se projeter vers un avenir et s’y adapter pour qu’il continue à y évoluer?»
À une époque charnière de la civilisation humaine, où l’idée d’une vie «hors Terre» ne semble plus être de la pure science-fiction, se pencher sur la sociologie de l’Homme dans l’espace revêt un intérêt à multiples facettes. «Dévoiler la manière dont les différentes cultures se représentent l’espace et sa conquête permet d’optimiser la collaboration entre ces cultures», explique M. Gnaba, qui a pu constater, au fil de son expérience, qu’un Russe, un Chinois ou un Américain ne considérait pas l’espace de la même manière. «Décrypter les motivations fondamentales des acteurs du secteur invite les non-initiés à adhérer au plus grand projet de l’humanité.»
Étudier cette nouvelle culture en formation est également essentiel à ses yeux pour anticiper ce que seront les fondements de l’humanité future. «L’Homme a besoin d’expansion, d’être toujours quelque chose de plus que lui-même. La Terre se rétracte, nous vivons dans un climat d’étouffement, de saturation, alimenté par l’angoisse de l’épuisement des ressources lié à la démographie galopante. C’est cette angoisse qui crée des peurs et du désordre. La conquête spatiale offre une respiration salvatrice qui remet l’humanité sur le chemin du progrès.»
L’objectif de ce projet? Toutes les civilisations se construisent sur des mythes fondateurs, et Abdu Gnaba part de l’hypothèse de travail que ces mythes qui évoluent vont finir par s’unir, pour créer un nouveau socle commun. «Nous sommes en train de vivre un basculement historique considérable. Nous allons nous extraire de la planète bleue, changer notre rapport à la mère nourricière, et réinventer notre histoire pour dessiner notre avenir», explique-t-il, prêt à explorer l’émergence de ce nouvel Homme.
C’est depuis le Luxembourg, pays qui, à ses yeux, incarne déjà la fédération de communautés de cultures œuvrant au service de causes communes (que ce soit pour le secteur biomédical ou pour le space mining), que M. Gnaba entend coordonner cette inédite étude anthropologique et sociologique de l’Homme dans l’espace. Un projet de longue haleine qui, potentiellement, n’a pas d’issue finie, mais qui pourrait servir de base, ensuite, à la mise en place de futurs développements économiques capables de s’adapter à ce contexte nouveau.