Marc Hemmerling: «Sans informatique, le développement de la place financière ne serait pas possible.» (Photo: Jessica Theis)

Marc Hemmerling: «Sans informatique, le développement de la place financière ne serait pas possible.» (Photo: Jessica Theis)

Monsieur Hemmerling, vous êtes en charge des aspects informatiques au sein de l’ABBL, quel est votre rôle à cet égard?

«Je suis responsable de l’informatique interne de notre association, mais je consacre naturellement aussi une large partie de ma mission aux évolutions informatiques qui touchent nos membres, dont beaucoup sont influencées pas l’agenda réglementaire communautaire. Concernant notre méthode générale, qui s’applique également aux questions IT, nous misons sur une approche à la fois verticale et horizontale. La première se consacre aux différents métiers de la banque tels que le retail banking, le commercial banking et le private banking pour n’en citer que quelques-uns, la seconde aux thèmes transversaux qui concernent les banques dans leur ensemble, comme les paiements électroniques, les standards et l’IT. Il ne nous incombe pas de définir les solutions IT qui doivent être utilisées par nos membres, mais nous jouons le rôle de conseiller quant aux tendances qui peuvent les intéresser. L’IT occupe du reste une grande importance au sein de l’agenda général de l’ABBL. Sans informatique, le développement de la place financière ne serait pas possible, voire n’existerait pas.

Quelle est votre méthode pour faire entendre votre voix quant aux projets réglementaires?

«Il est, d’une manière générale, intéressant de noter que les réglementations ne doivent pas être sys­té­matiquement vues comme contraignantes, mais aussi synonymes d’opportunités. Comme la majeure partie des régulations sont en pro­venance des instances européennes, nous consul­tons nos membres sur les projets en cours avant d’arrêter notre position et de la partager avec nos collègues européens au sein de la Fédération bancaire européenne. Nous menons également des pourparlers directs avec le ministère des Finances qui est notre principal interlocuteur lorsqu’il s’agit de transposer une directive européenne en droit national. Notre bureau à Bruxelles est de son côté en contact direct avec les services de la Commission euro­péenne ainsi qu’avec les parlementaires euro­péens pour faire entendre notre voix.

Comment se sont adaptées les entités bancaires à la vague de régulation connue depuis la crise, notamment d’un point de vue IT?

«Il faut même remonter au début des années 2000 pour retracer le véritable début de la vague réglementaire qui a notamment touché le retail banking. La directive de 2007 concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit, transposée en droit national en 2009, a été à cet égard importante. Elle a ouvert l’accès au marché à d’autres acteurs que les banques. La révision de la directive sur les services de paiement voulue par la Commission européenne est l’un des chantiers importants sur lequel nous travaillons, au même titre que le dossier des commissions d’interchange entre banques que les autorités européennes veulent limiter. Un paquet législatif en cours concerne par ailleurs l’obligation de mise à disposition gratuite d’un compte bancaire aux citoyens. Post Luxembourg remplit cette mission au Luxembourg, mais les autorités communautaires veulent préciser quels types de services doivent être délivrés sans frais, ce qui peut potentiellement poser la question du ‘tout gratuit’. D’un point de vue informatique, ce changement réglementaire a demandé le remplacement complet des anciens systèmes de paiement par des systèmes répondant aux normes européennes nouvelles.

Quelle est l’évolution du rôle du CIO dans un tel contexte?

«Il est indéniable que la complexité de son rôle est sans cesse croissante. Outre la réglementation, les produits proposés aux clients sont de plus en plus complexes. La réglementation entrainant dans le même temps une certaine harmonisation des pratiques ainsi qu’un niveau de qualité, la différenciation s’effectuera de plus en plus uniquement via les prix proposés. À terme, nous pourrions observer deux types de mouvements au sein du secteur en réponse aux changements réglementaires synonymes d’investissements et de nouvelles organisations internes. Le premier serait de voir des groupes bancaires opter pour une solution commune transnationale. Le second se concrétiserait dans le regroupement de certains acteurs au sein du pays pour mutualiser leurs besoins via un PSF de support. À l’instar de ce que nous avions observé à l’époque avec la création de Cetrel pour exploiter des systèmes informatiques communs nécessaires pour les paiements par cartes des consommateurs. Au sein des entreprises, les CIO sont globalement reconnus dans leur rôle, même si cet état d’esprit ne se traduit pas toujours par les décisions adéquates pour leur métier. Le contexte général des affaires dans le monde bancaire pousse en effet les établissements à agir sur une échelle de court terme. Cela peut s’avérer potentiellement problématique, car à côté des actionnaires, les clients attendent régulièrement un renouvellement de l’offre de services qui nécessite pourtant des investissements importants.

Que vous inspirent plus largement ces changements à l’échelle de la Place?

«Je pense qu’il faut avant tout garder à l’esprit que la place financière de notre pays est une place intégrée où tous les métiers bancaires et les compétences auxiliaires sont présents. Tous ces acteurs peuvent aussi y recourir pour des services et des infrastructures de base bien développés et de haute qualité. Ces derniers ne sont pas forcément tous les plus profitables, mais ils sont indispensables à son bon fonctionnement. Or le risque est de voir le marché bancaire se rétrécir quant au nombre d’acteurs présents au Luxembourg. Le maintien de ces services de base et la mise en place de nouvelles solutions dépendront aussi des compétences dont disposent les banques. Celles-ci pourraient être tentées de recourir à des services à l’étranger si elles ne les trouvent pas sur place.

Quel sera l’impact de la fin du secret bancaire sur les opérations IT?

«Je note tout d’abord que l’échange automatique d’information qui était prévisible n’est de toute façon pas un phénomène nouveau. Certains clients l’ont en effet demandé depuis plusieurs années. Ceci dit, notre rôle est d’être prêts pour l’échéance de 2015, notamment quant au standard qui sera adopté pour fournir les informations aux autorités fiscales. Parallèlement, la mise en place de Fatca nécessite aussi l’adoption d’un modèle de communication. Les banquiers vont donc probablement réclamer qu’un seul modèle soit retenu in fine. Les responsables IT se préparent d’ores et déjà aux nouvelles obligations de reporting qui seront induites par les changements réglementaires et certaines banques utilisent d’ores et déjà des systèmes de reporting sophistiqués. L’un des langages qui pourraient être retenus est l’XBRL, qui est basé sur le XML avec des couches de sécurité supplémentaires. Il est déjà utilisé pour le reporting ‘Corep/Finrep’ des banques vers la CSSF et la Banque centrale du Luxembourg. Nous avions espéré que ce langage soit retenu dans le cadre de la mise en place du plan comptable normalisé, mais l’État ne l’a pas souhaité, estimant qu’il serait trop compliqué à gérer pour les PME. Nous restons toutefois persuadés que l’XBRL, outre pour l’échange automatique d’informations, pourrait être utilisé également par les fonds d’investissement comme langage commun de reporting. Cela faciliterait, par exemple, le travail des auditeurs, d’autant plus qu’il sera utilisé dans le cadre de la future directive Solvency II par de nombreux pays.

Qu’en est-il de la mise en place de SEPA (single euro payments area)?

«L’abandon des anciens systèmes de paiement au profit des nouveaux conformes à SEPA au 1er février prochain a été souhaité par la Commission et a été approuvé par les États membres et le Parlement européen. Il faut préciser qu’à compter de cette échéance, les systèmes actuels de virements et de domiciliations des créances libellés en euros ne seront plus valables et ne pourront plus être exploités. Il n’y a donc pas de plan B en la matière. Depuis 2012, nous aidons nos banques ainsi que les acteurs économiques concernés, dont notamment les commerces et entreprises, à se préparer à intégrer les nouvelles normes. Nous remarquons que certaines entreprises les utilisent déjà virtuellement mais, malgré nos séances d’informations mensuelles, il reste du chemin à parcourir pour beaucoup d’entre elles.

Le Luxembourg peut-il devenir le hub ICT en Europe comme le souhaitent les autorités?

«Malgré la disparition annoncée du secret bancaire, je reste persuadé que le Luxembourg restera propice pour le développement de solutions IT. Le pays dispose d’une infrastructure de qualité tout en étant bien connecté aux autoroutes de l’information. Nous disposons aussi des data centers nécessaires pour réussir cet objectif. La création de ‘hubs’ spécialisés tels qu’un hub offrant des services de high performancecomputing (HPC) dont pourraient profiter les acteurs du secteur financier, de la recherche et de l’industrie ou encore celui d’un ‘data hub’ pour gérer les données hautement confidentielles – activité encore plus proche du secteur financier – doit être examinée. Je pense par ailleurs que des réflexions autour de ces hubs devraient être nourries par une discussion entre les acteurs publics et privés, via une plateforme à mettre en place, autour de la finance et de l’IT. Le format d’un cluster, en l’occurrence Finance-IT, serait à mon avis approprié. Les deux domaines sont en effet intimement liés et les expertises glanées de part et d’autre pourraient permettre de favoriser les acteurs déjà établis comme les PSF ou encore d’apporter de nouvelles idées innovantes, par exemple dans le domaine des solutions mobiles. Par ailleurs, l’ABBL participe déjà aujour­d’hui activement aux structures ICTLuxembourg ainsi qu’au ICT Cluster actuel. L’idée est lancée.

Quelles évolutions sont attendues en matière de paiement mobile?

«Ce type de paiement n’en est qu’à ses débuts. Il ne constitue d’ailleurs qu’une partie de la relation commerciale. Je pense que ce type de moyen sera influencé par l’évolution des besoins tant des commerçants que des clients. Les banques ne souscrivent pas toutes à ces nouvelles technologies mais je pense qu’il est important qu’elles restent, d’une manière ou d’une autre, impliquées dans cette voie. Il ne s’agit pas forcément d’enjeux commerciaux mais bien de présence dans une chaîne de valeur, de l’acte d’achat au paiement. D’autres tendances doi­vent aussi être considérées à l’aune de notre réglementation comme le ‘crowd­funding’ qui reste encore à décou­vrir pour les banques. Celles-ci sont contraintes de respecter une réglementation assez stricte en terme d’octroi de crédit, d’où l’émergence de nouveaux acteurs dans ce créneau.

Quelle sera la fonction de l’IT bancaire dans les années à venir?

«Il devra jouer un rôle plus important, sur un mode davantage agile afin de répondre aux besoins de la réglementation. Il sera aussi primordial pour les différents acteurs bancaires d’être rapidement sur le marché avec de nouveaux services. La maîtrise des nouvelles tendances sera donc primordiale. Elle passera forcément par des expérimentations, pas uniquement limitées au produit et service lui-même, mais aussi concernant de nouvelles formes de coopérations avec des acteurs non bancaires. La confiance est bien entendu un élément qui restera essentiel dans la relation client mais elle dépendra en partie de la perception des clients quant à la pérennité des banques. Or seules celles qui seront capables d’innover en expérimentant seront à même de poursuivre leur croissance. D’une manière générale, si certaines avancées ou innovations techniques impliquent des coûts dans un premier temps, je pense qu’il faut garder une vue à moyen et long termes pour estimer les bénéfices que l’on pourrait en retirer.»

Parcours

Politique et technique

Si l’horloge qui orne son bureau est à l’image d’une mire télévisée, le regard de Marc Hemmerling sur le monde informatique est pourtant loin d’être figé. À 55 ans, il a passé près de 20 ans de sa carrière au sein de Cetrel, dont il fut le CIO. La notion de mutualisation des compétences pour atteindre un objectif lui tient donc à cœur. Une philosophie qui l’anime encore au sein de l’ABBL qu’il a rejoint en 2006 pour s’occuper des questions informatiques susceptibles de concerner les membres de l’association. Autrefois actif dans la politique locale dans sa commune de Betzdorf, Marc Hemmerling, également membre du comité de direction de l’ABBL, garde une certaine fibre politique au sein de la place financière où il verrait volontiers se former une plateforme IT-Finance pour favoriser l’émergence de nouvelles opportunités, à nouveau via la mise en commun du savoir-faire.

Ses missions actuelles concernent notamment les évolutions de la réglementation européenne appliquée au monde de l’informatique. SEPA est l’un des chantiers qui occupe son agenda.