Les couloirs du tribunal résonnent des échos du plaideur et du Parquet. Force doit rester à la loi... (Photos: DR / Paperjam)

Les couloirs du tribunal résonnent des échos du plaideur et du Parquet. Force doit rester à la loi... (Photos: DR / Paperjam)

On aurait bien voulu une rentrée de classe. Hélas, un plaideur du cru, déjà célèbre pour ses sorties médiatiques et ses causes tonitruantes, y est allé d’une lettre ouverte à la bourgmestre de Luxembourg, y pointant la mendicité organisée en termes peu (ou trop bien?) choisis.

Pêle-mêle, il vitupérait contre des gens «dégueulasses et insolents», contre la «racaille» venue de la «lointaine Roumanie»…

Nul n’était obligé de relayer de tels propos, leur donnant une importance que seule une caisse de résonance (résonner n’est pas raisonner) pouvait leur octroyer… Car, évidemment, la publication a eu des suites. Les commentaires sont allés bon train, entre applaudissements populaires et indignation de fond ou de forme.

Certes, le «bavard» a clarifié ses propos, face à la polémique suscitée. Il a réfuté toute approche xénophobe. Il a été mal compris. Entre la triste réalité du quotidien et les analyses de trottoir, il n’en a pas moins agité l’été, secouant la traditionnelle torpeur des congés. Cependant, Gaston Vogel – puisque c’est de cet avocat qu’il s’agit - a trop d’entregent pour s’être laissé déborder par ses phrases.

Il reste le débat judiciaire. Le Parquet est entré dans la danse et fera ses propres observations, en regard du code pénal.

Le poids des mots

Il s’est fendu d’un communiqué officiel, estimant que «tant la ‘lettre ouverte’ de Me Gaston Vogel que les différentes réactions à celle-ci» appellent des clarifications. Le Parquet rappelle que la liberté d'expression est considérée comme une valeur fondamentale dans une démocratie, et qu'elle est protégée par des textes internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 (article 19) et la Convention européenne des droits de l’Homme (article 10). «Il va néanmoins de soi que cette liberté ne saurait être illimitée», «qu’elle connaît certaines restrictions qui sont fixées par la loi (l’article 457-1 du code pénal) et qui sont nécessaires au respect des droits et de la réputation d’autrui».

Le Parquet met en avant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme: «La liberté d’expression vaut non seulement pour les ‘informations’ ou ‘idées’ accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent: ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique» (arrêt CEDH Handyside/Royaume-Uni, no 5493/72).

Il faudra, prévient le ministère public, apprécier, «avec soin, et sans agir sous la pression publique», si le contenu de la missive, outre le côté «dérangeant et provocateur», peut tomber sous le coup du code pénal. «Il va sans dire que le Parquet procédera à cette analyse en toute indépendance et sans considération de la personnalité ni de l’auteur ni des éventuelles victimes de l’écrit en question.»

L’art du communiqué, comme celui de la lettre ouverte, voire le cas échéant celui du modeste billet éditorial, se nourrit du poids des mots, sans négliger le choc des images que ceux-ci font naître.