L’événement a attiré près de 300 personnes au Cercle Cité. (Photo: Anthony Dehez)

L’événement a attiré près de 300 personnes au Cercle Cité. (Photo: Anthony Dehez)

C’est une brochette de femmes passionnantes qui a attiré jeudi soir un large public au Cercle Cité: Laurence Bory, présidente de l’Union internationale des avocats – la première femme à ce poste en 90 ans d’existence de l’association réunissant 2 millions d’avocats de 120 pays –, Juliane Kokott, avocat général à la Cour de justice de l’UE depuis 2003, Isabelle Riassetto, professeur de droit à l’Université du Luxembourg, et Khadija Al-Salami, réalisatrice yéménite du film «Moi, Nojoom, 10 ans, divorcée», primé au festival du film de Dubaï en 2014, et diffusé mercredi soir devant une salle comble à la Cinémathèque de la Ville de Luxembourg.

Quatre femmes pour un thème accrocheur: le statut de la femme et l’État de droit, à une époque où le premier reste un enjeu dans de nombreux pays. Khadija Al-Salami en témoigne avec force dans son film, qui retrace le combat d’une fillette refusant d’être mariée comme le veut la coutume dans les campagnes yéménites. Un combat qui a été le sien. «Je savais dès mon très jeune âge que ce qui était arrivé à ma mère et à ma grand-mère n’était pas juste, et je me suis battue pour ne pas être comme elles, pour recevoir de l’éducation, ce qui était mal vu à l’époque.»

Les hommes aussi sont privés de droits.

Khadija Al-Salami, réalisatrice yéménite

L’éducation – «une éducation de qualité», précise-t-elle -, c’est ce qu’elle prône pour libérer les femmes. Douloureuse situation que celle des femmes yéménites auxquelles la Constitution réserve officiellement les mêmes droits qu’aux hommes. «Mais les hommes aussi sont privés de droits», souligne Mme Al-Salami.

Pour l’heure, la priorité de son pays reste la survie face à l’intervention armée du voisin saoudien, «un pays riche qui attaque un pays pauvre, mais personne n’en parle car il y a des intérêts financiers en jeu», résume-t-elle, amère. Un pays riche qui «ne respecte ni les droits de l’Homme, ni ceux des femmes».

Khadija Al-Salami a réalisé son film sur les mariages précoces en secret dans son pays, le Yémen.  (Photo: Anthony Dehez)

Un témoignage qui raisonne en creux dans les propos de Laurence Bory, présidente de l’UIA. «Il faut faire comprendre aux gens qu’il est dans l’intérêt général de tout le monde de faire respecter l’égalité, et que ce n’est pas pour faire plaisir aux femmes», assène-t-elle. Cas concret: le droit syrien empêche d’enregistrer la naissance d’un enfant dont le père n’est pas présent. «Conséquence, dans les camps de réfugiés au Liban, vous avez 60.000 à 80.000 enfants qui n’existent pas, qui n’ont pas de papiers!»

En Europe, il n’y a quasiment pas de discrimination légale, mais des discriminations de facto que la Cour a toutes éliminées.

Juliane Kokott, avocat général à la CJUE

La situation des femmes dans l’UE s’avère enviable en comparaison. Même si elle découle d’un processus de longue haleine. «La Cour de justice de l’UE est une grande protectrice des femmes, et ce dès les années 1960, alors qu’aucune femme n’y était juge», souligne Juliane Kokott, avocat général à la CJUE depuis 2003. «En Europe, heureusement, il n’y a quasiment pas de discrimination légale, mais des discriminations de facto que la Cour a toutes éliminées.»

Mieux: «La CJUE a développé une jurisprudence plus progressiste que la Cour constitutionnelle allemande», remarque Mme Kokott. Ainsi, la Cour a arrêté que le droit européen ne reconnaît pas les dispositions des droits étrangers qui ne garantissent pas l’égalité d’accès au divorce, par exemple, alors que l’approche allemande tend à reconnaître tous les droits étrangers, pour autant que leurs dispositions ne soient pas contraires à l’ordre public.

Du champ économique au champ des droits fondamentaux

Confrontée à des questions extrêmement sensibles, comme le port du voile islamique au travail, la CJUE a construit une jurisprudence mesurée. «Elle laisse une marge d’interprétation et rend possible de prendre en compte le contexte national», commente Mme Kokott. «Pour certaines questions, il n’est pas indispensable d’avoir la même application à 100% dans chaque État, en raison des spécificités culturelles, comme la laïcité en France, la coopération Église/État en Allemagne, les Églises d’État dans certains pays…»

Avocat général à la CJUE depuis 2003, Juliane Kokott se dit «fière de la jurisprudence développée par la CJUE» en matière d'égalité entre femmes et hommes. (Photo: Anthony Dehez)

Surtout, la CJUE embrasse de plus en plus de thématiques. «Elle s’occupait surtout de sujets économiques, liés à la liberté de circulation des travailleurs ou des marchandises», mais s’approche progressivement d’un «rôle de Cour constitutionnelle» à la faveur de l’intégration européenne plus profonde et de l’entrée de la Charte des droits fondamentaux dans le droit européen. De quoi pérenniser son action en faveur du respect de l’égalité des droits entre hommes et femmes.

Le XXe siècle fut celui de l’égalité en droit, le XXIe sera celui de l’égalité en fait.

Isabelle Riassetto, professeur de droit à l’Université du Luxembourg

«Le XXe siècle fut celui de l’égalité en droit, le XXIe sera celui de l’égalité en fait et, je l’espère, de l’éradication des violences à l’égard des femmes», renchérit Isabelle Riassetto, agrégée de droit et professeur à la faculté de Droit de l’Uni. «La violence à l’égard des femmes est l’expression la plus inacceptable et la plus abjecte de l’inégalité», justifiée selon les cas par la culture, la religion ou la coutume.

Édifiant, ce colloque a été initié par Me Alain Grosjean, président de l’UIA au Luxembourg, en partenariat avec le Barreau de Luxembourg, l’étude Bonn & Schmitt, la Ville de Luxembourg, le groupe Larcier, le Cercle Cité et la Cinémathèque.