Madame Constantinidis, quel est le profil des femmes que vous avez interviewées pour vos recherches?
«Je me suis concentrée sur l’entrepreneuriat collaboratif, il s’agit de partenariats féminins, et les profils étaient très divers. On présente souvent les femmes qui se lancent dans une entreprise par nécessité, soit parce qu’elles n'arrivaient pas à trouver de travail salarié, soit parce qu’elles sont bloquées par le plafond de verre en tant qu’employée, mais nos recherches montrent qu’elles sont surtout animées par une passion pour le métier, une opportunité à saisir, ou encore une activité qui leur tient vraiment à cœur.
Pour les plus de 45 ans en particulier, c’est bien souvent parce qu’elles n’arrivaient plus à progresser dans leur carrière qu’elles lancent leur propre entreprise au départ, le plafond de verre les pousse à sauter le pas.
La passion donc, mais pas l’appât du gain?
«Disons que l’appât du gain ou du pouvoir sont plutôt perçus comme des motivations plutôt masculines. Les femmes sont, dans l’ensemble, plus intéressées par l’impact social et environnemental de leur activité, qui est vu comme complémentaire à la valeur économique. Pour elles, la responsabilité sociale est aussi importante.
Même si des réseaux entre femmes ont leurs limites, c’est un point de départ.
Dr Christina Constantinidis, chercheur à l’Université du Luxembourg, Crea
Quelles sont les barrières qu’ont rencontrées ces femmes?
«Les stéréotypes de genre ont la vie dure dans nos sociétés, cela impacte profondément les femmes, notamment en ce qui concerne la représentation de soi. Les femmes ne se sentent pas capables ou légitimes, le système scolaire actuel n’aide pas du tout à former cette confiance en soi pour qu’elles se lancent plus facilement. Il y a un gros travail à faire au niveau de l’éducation.
Au List (Luxembourg Institute of Science and Technology, NDLR), Marie Gallais travaille avec son équipe dans le cadre du programme ‘Gender4Stem’ pour changer la perception qu’ont les filles des métiers de la science et des technologies, mais aussi la perception des enseignants. C’est vraiment très important qu’il y ait plus de diversité dans ces secteurs dès les études.
Et puis, il y a aussi l’importance des réseaux. Historiquement, les hommes ont construit ces réseaux, avec leurs codes, leurs horaires, qui ne conviennent pas forcément aux femmes. Du coup, le système de cooptation en découle: les hommes ont tendance à penser à d’autres hommes, sans même s’en rendre compte, quand il faut nommer quelqu’un par exemple. La House of Entrepreneurship et la FFCEL (Fédération des Femmes Cheffes d'Entreprise du Luxembourg, NDLR) ont publié une liste de réseaux féminins. Même si des réseaux entre femmes ont leurs limites, c’est un point de départ et une nécessité pour les femmes entrepreneuses.
Il y a un manque réel de visibilité pour les femmes, qui ont besoin d’exemples, de ‘role models’, et les médias ont aussi leur rôle à jouer.
Les médias représentent également une barrière pour les femmes?
«Disons que les chiffres ne se retrouvent pas dans les médias. Ainsi, on constate que 39% de la population indépendante sont des femmes. C’est beaucoup. Quand on regarde les entreprises à plus de 15 employés, là, on tombe à 18%, mais quand même.
Une publication comme Paperjam peut travailler sur une visibilité plus accrue de ces femmes. Mes étudiants ont travaillé sur les différents médias au Luxembourg. Ils ont notamment relevé une seule couverture ‘féminine’ sur l'année 2017 pour Paperjam, avec deux femmes de dos... Je suis sûre que l’on peut mieux faire.
Aux États-Unis, une étude a été faite, et il est montré que la visibilité des femmes augmente dans les médias depuis 2009. La tendance est là, et il faut s’en féliciter. Les femmes entrepreneuses peuvent vraiment être un levier économique important et ont vraiment besoin de cette visibilité.»