Pour répondre de manière plus efficace aux crimes transfrontaliers, les ministres de la Justice ont validé un texte proposant de nouvelles options pour les magistrats. Un texte qui ouvrirait la porte à un recul des libertés, selon certains. (Photo: Shutterstock)

Pour répondre de manière plus efficace aux crimes transfrontaliers, les ministres de la Justice ont validé un texte proposant de nouvelles options pour les magistrats. Un texte qui ouvrirait la porte à un recul des libertés, selon certains. (Photo: Shutterstock)

Renforcement de l’efficacité de la justice d’un côté, craintes de dérives liberticides de l’autre. L’adoption, vendredi, par les ministres de la Justice de l’UE d’une proposition de la Commission facilitant l’accès aux données électroniques pour les enquêtes criminelles ou terroristes réanime le débat entre impératifs sécuritaires et respect de la vie privée.

Concrètement, le texte, dont la version finale doit encore faire l’objet de négociations avec le Parlement européen, vise à accélérer les enquêtes réalisées entre plusieurs États membres en accordant aux autorités judiciaires un accès plus direct aux données. Que ces dernières concernent les connexions utilisées – telles que les adresses IP, localisation des bornes téléphoniques, etc. – ou les contenus – e-mails, vidéos, etc. De quatre à dix mois à l’heure actuelle, le délai de réponse légal auprès des opérateurs télécoms serait ramené à 10 jours, voire à six heures en cas d’urgence.

L’accord qui a été donné par le Luxembourg est un accord critique.

Félix Braz, ministre de la Justice

Autre nouveauté imaginée par Bruxelles, la possibilité pour un juge d’un État membre de réclamer une preuve électronique à un prestataire basé dans un autre État que le sien en contournant les autorités judiciaires de ce pays. Les fournisseurs d’accès internet mais aussi les Gafa auraient alors l’obligation de fournir les informations demandées, même si ces dernières sont stockées en dehors de l’UE. En cas de non-respect de ces nouvelles obligations, ces entreprises encourent des amendes pouvant atteindre 2% de leur chiffre d’affaires annuel.

«Les criminels utilisent une technologie de communication rapide et de pointe qui ne s’arrête pas aux frontières. Ces nouvelles règles remplaceront les méthodes lourdes existantes par des outils rapides et efficaces», indiquait vendredi Josef Moser, ministre autrichien de la Justice qui présidait le Conseil européen. Même son de cloche globalement du côté luxembourgeois où Félix Braz (Déi Gréng) rappelle lundi que «cette proposition avait été défendue en 2015 sous présidence luxembourgeoise», mais qui note que «l’accord qui a été donné est un accord critique».

Les principes de l’État de droit ne sont pas respectés partout de la même manière.

Katarina Barley, ministre allemande de la Justice

Car le texte provoque des sueurs froides dans plusieurs villes européennes, au rang desquelles figurent Berlin, La Haye ou bien encore Riga. En cause, les dérives possibles d’un tel texte qui ouvrirait la voie à un contournement des droits fondamentaux des citoyens. «Nous n’avons pas de législation harmonisée dans tous les pays en matière de droits de l’Homme», rappelle Ferdinand Grapperhaus, ministre néerlandais de la Justice auprès du Financial Times, en précisant que «dans certains pays, les autorités politiques ont, par le biais de la Constitution, la possibilité d’influencer via des menaces de poursuite».

Une charge indirecte contre certains pays d’Europe de l’Est, Pologne et Hongrie en tête. «Nous savons que les principes de l’État de droit ne sont pas respectés partout de la même manière», déclarait vendredi Katarina Barley, ministre allemande de la Justice, qui estimait que «ce n’est pas uniquement aux fournisseurs de décider si les données doivent être divulguées ou non, mais l’État (hôte, ndlr) doit en faire de même». Une position également défendue par le Luxembourg qui plaide pour la mise en place de conditions de contrôles supplémentaires, notamment celles en rapport avec le pays de résidence des suspects.

Selon les conditions actuelles du texte, les demandes de «preuve électronique» ne peuvent être faites que pour des cas où le délit soupçonné est passible d’au moins trois ans de prison. Au vu de la pression effectuée par les huit pays réfractaires, qui ont échoué de peu à obtenir une minorité de blocage, il est donc fort probable que la réforme envisagée soit amendée dans les prochains mois, notamment lors de son analyse au sein du Parlement européen. D’autant plus que certaines fédérations d’entreprises du secteur numérique telles que la Business Software Alliance – qui représente notamment Microsoft ou Adobe – ou la Computer and Communications Industry Association – où sont actifs Facebook, eBay ou Google – comptent bien faire entendre leur voix et introduire davantage de garde-fous.