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La restauration d'affaires a souffert, elle aussi, du ralentissement économique. De profondes remises en question ont été nécessaires.

"La clientèle d'affaires recherche naturellement toujours la meilleure qualité, mais dans un budget serré et dans un laps de temps très court: le repas ne peut plus excéder une heure et demie, tandis que le service se doit d'être toujours plus pointu, et la cuisine légère". Que ce soit à La Lorraine, au Royal, au Restaurant Speltz, ou encore au Groupe Accor (avec son fleuron du Kirchberg, le Sofitel), tous les propriétaires, exploitants et chefs des restaurants à clientèle business s'accordent à souligner que la restauration d'entreprise n'est plus la même qu'il y a quelques années. Sous l'effet de la crise, de l'arrivée de l'euro et de l'évolution de la place financière, la demande a fortement évolué.

On constate également une quasi unanimité pour considérer que les restaurants - très haut de gamme - d'entreprises constituent, de facto, une concurrence déloyale même si ce n'est certes pas le but recherché. Certaines interprétations de cette évolution et certaines mises en perspective varient cependant, en fonction de l'emplacement, de l'offre, etc.

Quelle est la réponse à apporter par les restaurateurs? Qualité du service, des produits et flexibilité: voilà les thèmes qui reviennent unanimement. Pour le reste, tout est question d'imagination, souvent mise au pouvoir, et des spécificités de chacun.

Si certains, enfin, se montrent très critiques par rapport à la politique de la Ville de Luxembourg - "Il ne nous reste plus qu'à attendre les élections pour espérer que cela change!" - d'autres sont beaucoup plus nuancés à ce sujet. Mais tous se retrouvent pour mettre sévèrement en cause la politique des parkings payants et leur coût.

Pour autant, la clientèle business n'est pas nécessairement un coeur de cible pour tous les restaurateurs de la Place. Ainsi, Jerry Maes, directeur de la restauration du groupe Goeres (Hôtel Parc Belair et Hôtel Parc Belle Vue), reconnaît que ces hôtels n'accueillent, en général, que "quelques petits repas d'affaires" et que, dans les restaurants associés, cette clientèle n'était pas du tout celle qui était visée. De surcroît, le groupe ne propose aucune offre traiteur.

A noter, tout de même, que le groupe est sur le point d'ouvrir deux nouveaux hôtels: l'Art Hôtel, un établissement haut de gamme de 10 chambres, situé en plein centre-ville et le Parc Plaza, un hôtel qualifié de "business", fort de 90 chambres, en construction à côté de l'hôtel Parc Belair. De quoi, éventuellement, envisager la problématique sous un jour nouveau...

Temps et budget coupés

"Les repas d'affaires ne sont plus du tout ce qu'ils étaient il y a 4 ou 5 ans, note d'emblée Emmanuel Sarrasin, à La Lorraine. A cette époque, la clientèle business disposait d'une carte de société et ne regardait ni à la consommation, ni à la carte des vins. C'étaient des repas de plaisir. Aujourd'hui, le plaisir doit toujours être là, mais les budgets sont restreints et l'homme d'affaires a beaucoup moins de temps. Les repas de 2, 3 ou même 4 heures, c'est fini. Et la situation économique fait qu'il y en a beaucoup moins. Le budget, le temps et le nombre sont limités".

Pour Emmanuel Sarrasin, le passage a l'euro a lui aussi pesé très négativement. Avec la monnaie unique, la notion d'argent n'est plus du tout la même et beaucoup ont "surdépensé" en ne se rendant pas compte du prix qu'ils payaient.

Dans le même temps, beaucoup de restaurateurs auraient leurré leur clientèle en profitant de la monnaie unique pour augmenter les prix, parfois sensiblement. "Et il a fallu neuf mois à un an pour s'en rendre compte".

Un autre facteur défavorable se trouve dans l'essor des restaurants d'entreprises. Emmanuel Sarrasin exprime l'avis de nombre de ses confrères lorsqu'il explique: "Ils font beaucoup de mal car ils sont à la limite de la concurrence déloyale. Ils ne sont en effet pas là pour réaliser des bénéfices, ils sont très professionnels et ils présentent un aspect pratique évident, puisqu'il suffit de prendre l'ascenseur".

Un point de vue que confirme le président d'une des plus grandes banques de la place, en nous indiquant qu'il prend tous ses repas d'affaires au restaurant de son institution.

Tous ces éléments annoncent-ils une mutation du secteur de la restauration d'affaires? Pour Emmanuel Sarrasin, une grande restructuration ne fait aucun doute, d'autant qu'on ne ressent pas, dans les repas d'affaires, le frémissement de reprise économique. "Il y a trop de restaurants, l'offre est trop importante. Le grand souci, c'est d'être plus rigoureux pour l'ouverture d'établissements. Il faudrait laisser ça aux professionnels. On a laissé ouvrir des restaurants par des personnes peu professionnelles, et la clientèle a été déçue. Un fossé va se creuser entre le très haut de gamme, avec le service et la qualité, et la petite restauration à thèmes commerciaux. Mais il est vrai que notre métier a aussi une part de responsabilité, parce qu'on a parfois laissé faire n'importe quoi".

Dans ce contexte - et c'est un avis lui aussi souvent exprimé - cette autre clientèle que constituent les visiteurs prend toute son importance. "Heureusement que j'ai les touristes", constate, ainsi, un restaurateur. Parce que, en plus de la crise, force est de constater que les gens, quels qu'ils soient, voyagent beaucoup dès qu'ils en ont l'occasion. Le succès des city-trips illustre parfaitement le phénomène.

Une part de la clientèle va donc consommer ailleurs. Et la place de Luxembourg "n'aura plus jamais l'aura des années 90". "Ce n'est peut-être pas plus mal, estime Emmanuel Sarrasin, car c'était surfait et on a remis les choses à un bon niveau pour évoluer sur une base plus sérieuse. Reste que, lorsqu'il y a des places libres à midi, ça montre qu'il y a un problème".

Flexibilité, prix et services

Cette évolution du mode de consommation des clients business oblige les restaurants à s'adapter. Sans surprise, pour de telles institutions, ce sont les mots "qualité, service, flexibilité et prix étudiés" qui reviennent partout. Et certains développent ce qu'il faut bien appeler une réelle politique de marketing clientèle.

A La Lorraine, cette politique se décline à travers de nombreux éléments. Ainsi des menus à budget étudié sont-ils proposés sous plusieurs formes, pour éviter d'éventuelles dérives. Ceci entre autres via une carte réduite, ou bien une enveloppe prédéterminée, des accords à tarifs préférentiels, des contrats à l'année, une carte gastronomique et une autre de produits du terroir dans lesquelles les clients peuvent indifféremment choisir pour un menu tout en limitant leur budget, etc.

Côté vins, c'est le même travail acharné: la carte des quelque 400 vins en recense à partir de 15 euros et plus d'une vingtaine est proposée au verre. Des accords ont été négociés avec certaines entreprises clientes pour des tarifs dégressifs et le "wine bag" permet d'emporter (en toute discrétion) une bouteille entamée...

Pour répondre à la limitation de temps, les deux menus peuvent être servis en une heure, dans un confort total. De plus en plus de réunions se faisant sans coupure, mais en débordant sur le créneau du déjeuner, La Lorraine offre un service continu. Autant d'atouts auxquels il convient d'ajouter le service taxi, l'envoi de la carte à l'avance pour le choix des plats, des salons privés etc. Mais pas le wireless... Un choix très largement partagé, pour le respect du confort de tous les clients.

Côté gastronomie, la légèreté est plus que jamais au rendez-vous. "Notre fer de lance, ce sont les poissons grillés. Il faut la légèreté dans l'assiette, parce que l'homme d'affaires va très souvent au restaurant. Avant, il fallait des sauces crème. Aujourd'hui, nous avons retiré les sauces. Le mode de cuisson et de traitement permettent d'avoir le moins de matières grasses possible. Nous, nous avons des produits d'exception à la base. Les cuisiner le plus simplement du monde, c'est aussi respecter leur qualité la plus haute".

Enfin, La Lorraine a développé un service traiteur, mais uniquement sur des produits très ciblés - surtout les fruits de mer - haut de gamme. Avec comme ligne directrice de "toujours répondre à la demande sans limitation de service". Et d'anticiper. "Car notre métier est un métier d'anticipation'.

"Refléter un esprit luxembourgeois"

Le ton est à la fois semblable, mais différent à l'étoilé Restaurant Speltz. Semblable - ou, en tout cas, très proche - sur la qualité, la diversité, les prix étudiés, etc; différent sur la réalité économique.

"De plus en plus de restaurants s'ajoutent aux établissements traditionnels comme le nôtre, qui se situent dans un esprit de culture culinaire luxembourgeoise, souligne Carlo Speltz. Le client a le choix parmi au moins dix restaurants spécialisés. Pour nous, la meilleure réponse est de rester fidèles à notre image et à notre cheminement avec comme programme l'esprit de qualité et de maintien de notre étoile au Michelin'.

Quant à l'évolution des repas d'affaires, Carlo Speltz note lui aussi que les choses étaient différentes il y a une dizaine d'années. Les banques étaient beaucoup plus présentes. "Maintenant, nous vivons de plus en plus le retour d'une clientèle privée".

Côté budget, il y a toujours, au restaurant Speltz, des clients dépensiers qui commandent de très grandes bouteilles. On sent cependant toute une clientèle qui restreint les dépenses. Il n'y a plus une ligne de conduite - toujours le même menu et toujours la même bouteille - mais des attitudes différentes. "Maintenant, le client peut surprendre par des choix complètement différents d'une visite à l'autre".

Pour ce qui est de l'impact de la crise économique, Carlo Speltz est nettement plus nuancé que la plupart de ses confrères. Selon lui, le Luxembourg dispose d'encore beaucoup plus de réserves et d'une économie beaucoup plus saine que dans les pays limitrophes. "Mais certains se laissent influencer par la presse et par les événements négatifs qui touchent d'autres pays. Se laisser influencer ainsi est une erreur". Tout comme il estime que manger plus sain et plus léger ne présente rien de nouveau. Ce serait même vieux de trente ans, puisque c'est dans les années 70 que la nouvelle cuisine française a enlevé les sauces consistantes. Aujourd'hui, l'idéal culinaire et gastronomique se situerait entre les deux: moins de gras et de sauces, et le retour à un produit de base - de qualité irréprochable - présenté dans toute sa fraîcheur avec un bel accompagnement de légumes.

La problématique du temps consacré au repas apporte un constat identique à celui déjà observé par ailleurs. La réponse à cette nouvelle donne se fait de manière très pragmatique, avec le même souci de simplifier les problèmes: il faut repérer les clients de passage, qui disposent de temps, et les hommes d'affaires, qui doivent avoir déjeuné en une heure et demie, avec un service et une qualité adéquats. "Eux comme les autres, il faut les servir comme ils l'attendent". Soit parfaitement, en mijotant au mieux l'offre à la demande.

Quant à l'avenir du secteur, Carlo Speltz affiche une confiance certaine. "Le marché s'autorégule. Si une formule ne plaît pas, elle disparaîtra et les autres vont se confirmer. Les bons professionnels, eux, resteront. Et tout est concurrence, surtout s'il y a offre supplémentaire. Là, un de nos multiples atouts est d'être assez unique en plein centre-ville".

Le point de vue est plus ironique vis-à-vis des restaurants d'entreprises, avec cette boutade: "Y en a-t-il un qui ait une étoile au Michelin'" Et Carlo Speltz d'expliquer qu'un ami lui a dit avoir conclu les meilleures affaires dans son restaurant. Parce que la qualité sous toutes ses facettes, parmi lesquelles l'atmosphère et l'esprit, un restaurant d'entreprise ne peut pas l'offrir. "Nous, nous voulons transmettre l'image d'un restaurant à caractère familial, où le client est comme chez lui".

Veiller à des prix "sages"

Les mêmes réalisme et pragmatisme prévalent quant à la manière dont le Restaurant Speltz a adapté son offre face à l'évolution des repas d'affaires. "Nous avons la chance d'être en plein centre-ville et donc accessibles par énormément de personnes. Nous proposons aussi une gamme très complète de vins au verre, que ce soit pour un seul vin ou des vins différents dans un menu. Notre challenge, c'est de garder notre ligne de conduite et notre exigence de qualité même dans certains menus où nous proposons des produits plus simples et donc moins chers. Là, il faut s'adapter et veiller à des prix 'sages'. Dans cet esprit, nous proposons par exemple sur la carte le homard et le turbot bretons et un menu à un peu plus de vingt euros, avec trois plats. Ce qui est particulièrement compétitif pour un restaurant étoilé".

Et de souligner un élément qui indique une fidélité certaine de la clientèle de cette véritable institution: à midi, le client n'ouvre souvent même pas la carte des menus. Il fait confiance au maître d'hôtel ou au patron. Il y a une complicité entre le client d'affaires et le restaurateur, qui doivent être en harmonie. Il faut de la finesse. Avec cette précision qui vaut son pesant d'or: "Nous sommes un des derniers à vouloir refléter un esprit luxembourgeois à toutes nos clientèles. C'est une tradition qui se paie. Et qui est couronnée de succès depuis 16 ans".

Difficile de surprendre et de charmer

"La plus forte évolution, c'est le temps du repas, qu'il nous faut maîtriser en cuisine. Il est difficile d'allier gastronomie et vitesse. Mais c'est inévitable". Cyril Mollard, chef de cuisine des restaurants La Pomme Cannelle et Le Jardin de l'hôtel Le Royal, et Philippe Scheffer, directeur adjoint pointent eux aussi le temps comme le nouveau facteur déterminant du repas d'affaires. Un facteur aux conséquences multiples.

Cette clientèle a en effet l'habitude d'aller très souvent au restaurant et ne prend souvent plus le temps de regarder les menus. "C'est donc à nous de leur montrer notre savoir-faire pour un repas rapide et de dégustation. Si les hommes et femmes d'affaires viennent ici, c'est pour manger quelque chose de différent. Nous avons pour cela élaboré un menu efficace, à prix modéré. Il ne faut pas, bien sûr, baisser la qualité ni minimiser les recettes. En revanche, il faut adapter une cuisine très simple et très surprenante. La gastronomie, c'est un charme particulier. Ce n'est pas simple, car les gens sont un peu blasés de tout et ont goûté à tout. Il est difficile de les surprendre et de les charmer. Surprendre, faire plaisir, donner envie de revenir en un petit laps de temps demande beaucoup d'alchimie. C'est tout notre challenge".

Pour répondre à l'obligation de légèreté, Cyril Mollard utilise beaucoup d'infusions à base de lait et de légumes. Sans oublier l'huile d'olive, produit essentiel. "Mais légèreté ne veut pas dire sans graisse".

Quant à la clientèle, elle n'est pas unique. Il y a plusieurs catégories d'hommes d'affaires. "Le très haut de gamme choisit toujours la gastronomie. Il s'intéresse au caractère de son invité, à la manière de l'étonner. C'est mis dans un registre adéquation du déjeuner/enjeu/personnalité. Ils veulent manger en une heure, mais restent plus longtemps. Ils sont prisonniers de leur style de management. La productivité est contre-nature".

Au Royal, on prend acte de l'existence des restaurants d'entreprises - "Il y en a d'exceptionnels" - tout en comparant leurs avantages (confidentialité, flexibilité) et leurs inconvénients, pour en arriver à la conclusion que l'on s'engage sur un faux calcul. Car ces restaurants, avec leurs menus préétablis, n'offrent pas de découverte culinaire et n'ont pas la variété des gammes de produits des autres. Ils sont, en revanche, concurrentiels au niveau de la main-d'oeuvre, car ils ont du personnel hautement qualifié qui désire un peu lever le pied par rapport à un métier "déphasé", qui exige un engagement total, une passion sans limite.

Quant à l'évolution du secteur, l'analyse va au-delà du constat d'une offre très importante et du fait que, lorsque des tables restent libres, c'est mauvais signe. "Les choses vont se décanter. Le jeu économique jouera contre les plus faibles. Mais il faut avoir son ressort propre". Il faudrait peut-être un peu plus de solidarité entre les restaurateurs pour des actions plus percutantes. "Il y a une déperdition de la culture de la gastronomie. Les restaurateurs doivent défendre ces valeurs. La gastronomie, c'est venir à l'essentiel, dans la convivialité, la compétence et la créativité. Le Luxembourg a un fort potentiel de petits artisans producteurs qui proposent des produits formidables. Il y a un côté rassurant dans notre tradition, avec des valeurs sûres dont les restaurateurs et producteurs sont les détenteurs. Les discours sur la malbouffe et la mondialisation font beaucoup réfléchir les consommateurs. Nous, nous allons dans ce sens, pour faire de la restauration un moment de fête et d'exception. Souvent, les hommes d'affaires font du 'bien manger' un réel art de vivre. On touche ainsi à une problématique d'alimentation de classe".

Vendre Luxembourg comme destination

Cyril Mollard et Philippe Scheffer nuancent les critiques très sévères que certains émettent à l'encontre des responsables de la Ville de Luxembourg, tout en tenant bien sûr compte du fait que le Royal est aussi un hôtel pour le moins très coté. "La Ville manque peut-être un peu d'impulsions. Mais ce sont surtout le mode de consommation et les habitudes locales qui interviennent. Ici, il n'y a pas le brassage des grandes capitales, avec des quartiers qui vivent la nuit. Nous, nous voyons notre positionnement vis-à-vis d'autres hôtels. Chez nous, les clients peuvent en plus découvrir la ville. Mais il faut poser la question de savoir comment Luxembourg comme destination est attractive. Ca, c'est un autre problème! Nous vendons avant tout la destination Luxembourg. Là, il y a un net besoin de soutien. D'autant que les visiteurs sont très surpris par nos richesses culturelles".

Pour ce qui est de s'adapter aux tendances nouvelles et aux budgets plus serrés, on a, au Royal, déployé une panoplie d'idées. Le menu "affaires", d'abord, sécurise le client, qui peut en outre recevoir toute l'information au préalable, pour obtenir du "sur mesure". L'adaptabilité aux demandes est totale. Cyril Mollard souligne néanmoins que, "ici, le prix n'est pas la préoccupation principale. Ce qui est décisif, c'est la durée, le dépaysement, l'adéquation avec le client. Et la confidentialité qui, chez nous, joue beaucoup".

Reste que, face aux restrictions budgétaires, le chef de cuisine note que "Nous avons toujours eu la réputation de ne pas assassiner" les clients. Il entend continuer dans cette voie. Entre autres via l'offre de vins. Le vin au verre, comme ailleurs, fait maintenant partie des moeurs. "Et correspond à une très nette tendance à l'hygiène de vie".

L'approche économe des vins continuera, notamment, avec plus de produits de cépages, même s'il faut bien sûr une carte des vins joliment habillée. "Il faut être à l'affût de ce qui est bien par millésime, être sélectif et disposer d'une bonne palette représentative, y compris dans les prix, pour une relation gagnant-gagnant avec le client, en le faisant bénéficier de ces produits de qualité".

Pour le respect de l'ambiance et de l'ensemble des clients présents, il n'y pas de bornes Internet sans fil. Quant au GSM, sa présence est, dans certains endroits, clairement indésirable...

L'attractivité joue sans nul doute aussi avec le voiturier et le parking intégré gratuit. Tandis que diverses actions de fidélisation sont menées par des opérations commerciales ou encore la "corporate table", qui permet aux clients réguliers d'être facturés en fin de mois tout en bénéficiant de divers avantages.

"La crise peut aussi être une opportunité"

"Celui qui décide, c'est le client. Il est de plus en plus exigeant et sélectif. Il compare et ne veut pas se faire rouler. Le mot gastronomie est galvaudé. La seule cuisine valable est celle à succès commercial; le reste, c'est du pipeau. La crise peut aussi être une opportunité. C'est une question d'attitude positive. Et cela donne une opportunité formidable de s'occuper plus des clients. Soyons plus proches, plus souples, écoutons"! Ralph Radtke, directeur du Groupe Accor pour le Luxembourg, et donc des hôtels Novotel et Sofitel, au Kirchberg, a un franc-parler qui ne laisse personne indifférent. Dans un sens ou dans l'autre.

Il remarque d'ailleurs lui-même que, "il y a dix ans, lorsque je suis arrivé, des gens ont rigolé. Maintenant, ce n'est plus le cas". Pourtant, sur bien des points, l'approche est similaire. Sur d'autres, par contre, la différence peut surprendre, voire déranger. Avec la prochaine ouverture d'un restaurant du terroir, l'homme fera à coup sûr encore parler de lui.

Face à l'évolution de la restauration d'affaires et à la crise, les propos sont tranchés. "Si la mise en cause passe aussi par la concurrence, elle doit cependant être permanente. Il ne faut pas s'adresser à l'Etat, mais avoir une approche du marché. Nous ne sommes pas les gardiens du Graal de la restauration. Je suis très content que les mauvais, qui préjudicient l'image de la restauration, disparaissent. Il faut valoriser vers le haut ce métier formidable. J'ai horreur de pleurnicher. Quand c'est plus difficile, il faut d'abord se regarder soi-même et se remettre en cause. Il faut faire son métier avec passion et ne pas être jaloux".

Comme au Royal, le patron du "paquebot" du Kirchberg et de son restaurant gastronomique italien souligne qu'il n'y a pas une seule catégorie de clients d'affaires, mais bien plusieurs. Il faut donc parler par segmentation, avec des budgets différents selon les niveaux de responsabilités. Au restaurant du Sofitel, rien n'a changé, affirme Ralph Radtke, pour les décideurs supérieurs. "Ils ne peuvent pas se le permettre, car ils doivent correspondre au niveau de leur interlocuteur. C'est dans les autres catégories que les budgets ont été coupés. Mais l'ambiance du restaurant joue beaucoup aussi, tout comme le travail effectué avant auprès de la clientèle. La fidélisation s'effectue à travers la relation cadre-qualité-prestations-prix".

Mais l'homme d'affaires est plus sélectif. Il veut autre chose, avec le même budget, et fait son choix en fonction des réponses à ses exigences.

Dans ce contexte, Ralph Radtke insiste lourdement sur l'importance de l'équipe des collaborateurs. Ceux-ci ont un rôle primordial dans l'accueil et la reconnaissance du client. "Il faut se prendre davantage pour son client, donc comprendre ce qu'il attend, pour le fidéliser". Et de faire le lien entre la qualité de cette équipe et le fait que, cette année est l'une des meilleures du restaurant. "Le travail de fourmis des équipes fait que nous avons toujours autant de clients, même plus puisque notre restaurant connaît une hausse de fréquentation de 25% au moins, sans jamais avoir baissé les bras sur la qualité. Et ça, ça paie".

Pour ce qui est de l'évolution des tendances, Ralph Radtke estime qu'en réalité, on change en permanence. Mais que, malgré tout, on ne mange plus de la même manière, qu'il y a des tendances qui sont données par les grands de la restauration, comme dans la haute couture. Si une formule fonctionne aujourd'hui, ce n'est pas pour cela que ce sera encore le cas dans dix ans.

Se prendre davantage pour son client

Ainsi les formules affaires ont-elles été adaptées, comme partout, aux tendances du moment. En premier lieu avec des repas qui peuvent être pris en une heure. Idem pour la légèreté, en remarquant que "La cuisine gastronomique italienne n'est naturellement pas riche". Dans cet aspect légèreté, le client veut aussi savoir ce qu'il mange. Il faut communiquer sur cette qualité des produits. "Parce que l'époque est à 'mangeons et buvons moins, mais mieux'". Sans oublier d'animer la restauration par une carte qui change, des offres spécifiques et ponctuelles (ici les festivals des produits frais et les découvertes culinaires des régions d'Italie).

Côté adaptabilité, une formule comme le Tapas Bar cible une clientèle spécifique, assurée d'être servie en quinze minutes après la commande, "parce que beaucoup de gens sont très pressés et ne font que grignoter". Enfin, la carte "Club" - payante et délibérément limitée à mille adhérents - connaît, selon Ralph Radtke, un succès tel qu'il a fallu la limiter. Cette carte individuelle, valable dans tous les restaurants du Groupe Accor au Luxembourg, le sera aussi en Belgique à partir de 2005. Une politique volontariste qui repose sur une position de principe "Si le seul argument, c'est le prix, c'est tout faux".