Alexandre Gauthy: «Aujourd’hui, la vulnérabilité des pays émergents est confinée à un nombre restreint de pays.» (Photo: Degroof Petercam)

Alexandre Gauthy: «Aujourd’hui, la vulnérabilité des pays émergents est confinée à un nombre restreint de pays.» (Photo: Degroof Petercam)

Face à ce regain de volatilité sur les marchés des taux et devises des pays en voie de développement, il est légitime de se demander si nous ne nous trouvons pas à l’aube d’une nouvelle période difficile pour cette région, similaire aux crises asiatiques et d’Amérique latine, ou encore lorsque la banque centrale américaine a communiqué en 2013 son intention de mettre fin à son programme d’achat d’actifs. 

À la différence de ces épisodes, aujourd’hui, la vulnérabilité des pays émergents est confinée à un nombre restreint de pays. En fait, dans leur ensemble, ces économies semblent être aujourd’hui dans une meilleure posture que lors des crises précédentes. Premièrement, l’endettement en devises étrangères (principalement en dollars) des agents économiques de ces pays reste raisonnable, ce qui veut dire qu’une appréciation du billet vert par rapport aux devises émergentes ne devrait pas trop dégrader leur situation financière. Deuxièmement, le besoin en financement externe de certains pays émergents fragiles s’est réduit au cours des dernières années. Les pays émergents peuvent néanmoins souffrir du contexte actuel d’augmentation des taux d’intérêt américains pour deux raisons principales. D’abord, s’endetter en dollar devient naturellement plus cher. Ensuite, plusieurs pays émergents sont encore dépendants de capitaux étrangers pour financer les investissements nécessaires à leur développement. Les investissements en dettes émergentes entrent ainsi en concurrence avec les obligations d’État américaines jugées sans risque.

La santé de l’économie chinoise est un facteur important pour la croissance économique des pays de la région.

Alexandre Gauthy, Degroof Petercam

Lorsque les rendements offerts sur le marché américain augmentent, ce qui est le cas cette année, les placements obligataires en dollars deviennent relativement plus attractifs, ce qui peut inciter les investisseurs à délaisser les dettes des pays émergents plus risquées au profit d’obligations émises par l’État américain. Ces flux de capitaux internationaux ne sont pas sans conséquence pour certains pays émergents, qui voient alors leur devise se déprécier par rapport au dollar et leur taux de financement augmenter. Cette dynamique s’est produite les mois derniers en Turquie et en Argentine. Suite à ces fuites de capitaux aux conséquences négatives pour ces économies, les banques centrales de ces deux pays ont été contraintes d’augmenter leur taux d’intérêt directeur afin d’endiguer la fuite des capitaux et rendre leur devise plus attrayante. Cette réaction des deux banques centrales est un signe encourageant, mais malheureusement, les déséquilibres macroéconomiques de ces deux économies restent de taille.   

Mis à part l’appréciation du dollar, la hausse des taux américains et des éléments spécifiques à quelques pays, il persiste un risque non négligeable qui plane sur les pays émergents: la problématique de l’endettement en Chine. La santé de l’économie chinoise est un facteur important pour la croissance économique des pays de la région. En effet, pour la plupart d’entre eux, l’empire du Milieu figure parmi les partenaires commerciaux les plus importants. Alors que la consommation des ménages reste solide en Chine, la croissance des investissements en infrastructure et immobilier montre des signes d’essoufflement depuis quelques mois. Ces types de dépenses avaient pris une proportion trop importante dans l’économie chinoise, ce qui a été rendu possible par une création de crédit inédite. Or, le gouvernement chinois a indiqué vouloir freiner l’augmentation de l’endettement par souci de stabilité financière.

La Chine est le plus grand consommateur mondial de matériaux liés à la construction.

Alexandre Gauthy, Degroof Petercam

Des mesures ont déjà été mises en place par l’administration en vue de cet objectif. Leurs effets commencent à s’observer à travers la hausse des taux d’intérêt bancaires et la diminution des demandes de prêts qui sont approuvés par les banques. Ces politiques du gouvernement central visant à ralentir la création de crédit ne sont pas sans risque, ces investissements étant souvent financés par l’endettement des constructeurs immobiliers et des gouvernements locaux. Pour construire ces immeubles et infrastructures, la Chine importe des matériaux des pays émergents producteurs. D’ailleurs, la Chine est le plus grand consommateur mondial de matériaux liés à la construction. On comprend dès lors qu’un ralentissement de la croissance économique chinoise, et plus particulièrement des investissements, aura des répercussions négatives sur les importations chinoises. Ces dernières constituent en somme le canal de transmission d’une décélération de l’économie chinoise vers ses partenaires commerciaux.