Dr Yves Wagner, directeur chez BCEE Asset management (Photo: Julien Becker / Archives)

Dr Yves Wagner, directeur chez BCEE Asset management (Photo: Julien Becker / Archives)

Avec la crise ukrainienne et le conflit opposant la Russie aux pays dits de l’ouest, la géopolitique est redevenue une explication comportementale de stratégies politiques qu’on avait eu tendance à enterrer il y a quelques années. La géopolitique renaît de ses cendres pour analyser les diplomaties internationales dans une approche désuète de dichotomies diverses, est-ouest, nord-sud ou autres.
L’Europe se retrouve à nouveau enfermée dans cette classification simpliste la bloquant avec les États-Unis dans les «pays de l’ouest», et supposée opposée aux pays plus nuancés (catégorisées «à l’est») dans leurs réactions quant à la réunification de la Crimée et de la Russie. Une nouvelle fois, l’Europe a raté la chance de clarifier une position et une philosophie européennes autres qu’un alignement à une géopolitique de l’ouest à connotation stratégique, voire militaire.

Dans ce cheminement, et quelles que soient certaines vues personnelles sur la politique russe en Crimée, l’Europe et certains autres pays dits développés ont de nouveau perdu en crédibilité. Dans le monde global d’aujourd’hui, le fait de se laisser guider exclusivement par de vieilles approches géopolitiques témoigne d’un manque de vision de la réalité économique et met, pour l’Europe, d’autant plus sa crédibilité en jeu que ce Vieux continent ne partage pas forcément les idées économiques libérales américaines. L’espace européen est basé sur des valeurs fondamentales de libre échange et de libre circulation autrement plus valorisantes que les approches géopolitiques désuètes réactualisées aujourd’hui par une diplomatie américaine à bout d’arguments.

Impact sur les espaces économiques

Les phénomènes de globalisation des économies nous ont en effet montré qu’une dynamique de bien-être et de croissance économiques résultait davantage d’une organisation efficace d’espaces économiques plutôt que d’une extension purement quantitative de la surface d’un pays. La géoéconomie s’oppose en ce sens à la géopolitique, qu’elle met au centre des développements économiques des stratégies d’ordre commercial et d’échanges entre pays, sans forcément faire référence à des territoires géographiques avoisinants. La géoéconomie peut ainsi se référer à un «espace virtuel» affranchi de frontières territoriales.

La vision géopolitique de la crise ukrainienne dans laquelle s’est laissé enfermer l’Europe a ainsi largement négligé non seulement des arguments géoéconomiques qui lui aurait davantage servi et lui auraient évité une perte sensible de crédibilité dans le maniement de cette crise, mais a également ignoré une réalité géoéconomique qui est matérialisée par l’existence des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). La réaction violente des États-Unis et, dans leur sillage, de l’Europe, a mis les BRICS dans une situation difficile qui risque de renforcer leur volonté de rendre cet espace encore plus efficace encore plus rapidement, sans réfléchir à une collaboration dans ce contexte avec l’Europe.

Banque de développement pour les BRICS

Certes, la plupart de ces pays BRICS risquent de voir chez eux des mouvements contestataires comparables aux agissements ukrainiens et n’accepteraient nullement des remises en question de l’intégrité de leur territoire. Mais aucun de ces pays n’est prêt à affronter une nouvelle guerre froide qui les obligerait à choisir un camp alors qu’ils viennent de choisir un modèle de coopération basé sur l’économie et la finance. Rappelons à ce sujet que les BRICS viennent de créer leur propre Banque de Développement comme alternative de financement à la Banque Mondiale ou le Fonds monétaire international. Cette institution formalise un espace économique et financier bien réel (par opposition à l’espace virtuel en termes de territoires): la croissance économique mondiale risque, dans quelques années, d’être tributaire de cet espace virtuel auquel pourront se joindre d’autres pays émergents tels les MIST (Mexique, Indonésie, Corée du Sud, Turquie). Certains de ces pays sont aux bords territoriaux de l’Europe, d’autres aux frontières des États-Unis.
Si l’Europe continue à s’enfermer dans de vieilles visions géopolitiques, nous devrons revoir ses perspectives de croissance économique à long terme.