Gérard Maitrejean, partner au sein du cabinet d'avocats OPF Partners (Photo: OPF Partners)

Gérard Maitrejean, partner au sein du cabinet d'avocats OPF Partners (Photo: OPF Partners)

Les statuts de la société ayant la même vocation qu’un pacte d’actionnaires, la question de l’utilité de ce dernier vient tout naturellement à l’esprit. Les raisons qui poussent les actionnaires vers la signature d’un pacte, plutôt que l’inscription de leurs accords dans les statuts, tiennent essentiellement à un souci de confidentialité. Les actionnaires, pour des raisons évidentes, ne souhaitent pas que leurs arrangements les plus sensibles soient accessibles publiquement, par simple consultation des statuts de la société.

Inspiré du modèle anglo-saxon

Dans la pratique luxembourgeoise et internationale, un grand nombre de pactes sont inspirés par la pratique anglo-saxonne. «Bien que chaque pacte soit un contrat sur mesure, une trame similaire s’y retrouve, inspirée par les modèles d’outre-Manche. L’avantage de ce format est de constituer une base commune compréhensible par des investisseurs de juridictions différentes», explique Gérard Maitrejean, partner au sein du cabinet d’avocats OPF Partners.

Dans le pacte, les parties vont régler, entre autres, la gouvernance de la société, le droit pour les actionnaires de céder leur participation, la politique de dividende, la politique d’investissement, la manière de désinvestir, leurs conventions de vote et les méthodes de résolution de conflits.

À côté des avantages liés à la confidentialité d’un pacte d’actionnaires et des apports de la common law à la pratique luxembourgeoise, il convient tout particulièrement de garder à l’esprit un certain nombre d’écueils possibles lors de la rédaction. «Premièrement, à la différence de la majorité des articles des statuts, les provisions contenues dans un pacte ne sont pas opposables aux tiers. Typiquement, les clauses restrictives de transfert des titres de la société ne seront pas opposables à un tiers acquéreur de bonne foi», précise Gérard Maitrejean.

Deuxièmement, un pacte ne peut déroger aux règles d’ordre public de la loi sur les sociétés. «Certaines de ces règles visent à assurer la bonne gestion de la société, comme le principe de révocabilité à tout moment et sans motif des administrateurs d’une société anonyme.»

D’autres règles visent à préserver les droits des minoritaires, au travers, par exemple, de règles de majorité rehaussée ou de l’interdiction plus ou moins large de supprimer le droit de vote des porteurs de titres. «La plupart du temps, on remédiera aux limites imposées par ces règles via des mécanismes en dehors du pacte. Par exemple: l’interposition d’un véhicule regroupant les investisseurs minoritaires ou la création d’une classe d’actions ayant, de facto, un pouvoir politique réduit et un pouvoir économique proportionnel à l’investissement consenti pour sa souscription.»

D’autres encore visent à protéger les tiers créanciers. Ces dernières, présidées par le principe de l’intangibilité du capital et assorties de sanctions pénales, empêchent la société de faire des distributions qui excèdent les profits générés. «Le pacte d’actionnaires devra en tenir compte dans ses clauses ayant trait à la politique de dividende ou au prix de rachat des titres d’un actionnaire sortant.»

Il convient également de mentionner la prohibition des clauses léonines, c’est-à-dire des clauses privant un actionnaire de toute chance de participation aux bénéfices ou le protégeant de toute participation aux pertes. Finalement, la loi sur les sociétés impose un certain nombre de mentions dans les statuts, notamment quant aux droits et obligations attachés aux titres émis par celles-ci. «Il faudra donc veiller à ce que les statuts, nonobstant l’existence d’un pacte d’actionnaires, contiennent de telles mentions.»

Troisièmement, pour les sociétés cotées, un pacte d’actionnaires peut, au sens des législations sur les marchés financiers, être constitutif d’une action de concert, entraînant des obligations d’information aux autorités financières et/ou l’obligation de faire une offre publique d’acquisition. De plus, s’agissant de contrats de droit civil et pour autant que le droit applicable soit le droit luxembourgeois, les pactes d’actionnaires sont régis par les règles du Code civil. «Il conviendra, par exemple, de ne pas céder à la tentation, pour un actionnaire majoritaire, de stipuler des obligations lui incombant tout en dépendant de sa volonté exclusive, violant ainsi la prohibition des clauses dites purement potestatives (c’est-à-dire des clauses dépendant de la volonté d’une des parties contractantes, ndlr).»

Finalement, pour autant que le pacte puisse être soumis à un droit autre que le luxembourgeois, il ne faut pas perdre de vue que les provisions de la loi luxembourgeoise gouvernant le fonctionnement de la société restent applicables (principe dit de la lex societatis). «La soumission à un droit étranger ne permettra donc pas, par exemple, de déroger aux principes de la loi sur les sociétés protégeant l’exercice du droit de vote.»

Le régime de partnership: une nouvelle alternative?

Il faut finalement mentionner l’introduction, en juillet 2013, d’un nouveau régime de partnership dans l’arsenal législatif luxembourgeois, instaurant une refonte des sociétés en commandite simple et créant la société en commandite spéciale. «Comme il a déjà été mentionné précédemment, les limites imposées à la liberté contractuelle font que les investisseurs ne peuvent pas régler librement leurs rapports au sein d’une société luxembourgeoise ‘classique’», conclut Gérard Maitrejean.

Les nouvelles sociétés en commandite spéciale et sociétés en commandite simple laissent une très grande marge de manœuvre à la liberté contractuelle, tout en préservant la confidentialité des accords entre investisseurs. Elles sont donc susceptibles de constituer une alternative aux pactes d’actionnaires.

Jurisprudence

L’exécution des conventions d’actionnaires

Illustration de la très relative capacité des conventions d’actionnaires à être exécutées et de l’attention qui doit être portée, lors de leur rédaction, à l’application des dispositions du Code civil.

Lors du jugement du tribunal d’arrondissement du 5 mars 2009 (n° 114096 et 118470), les demandeurs étaient les actionnaires minoritaires et les anciens administrateurs d’une société anonyme luxembourgeoise.

Une assemblée générale avait révoqué les demandeurs de leurs fonctions d’administrateur avec effet immédiat. Ils demandèrent au tribunal d’annuler la décision de l’assemblée générale, sur base de différents motifs, dont un dérivant d’un pacte entre les actionnaires.

Une clause de ce pacte prévoyait en effet que la révocation des administrateurs devait être prise par une majorité de 90% des actionnaires. Cette majorité n’ayant pas été obtenue, les demandeurs ont fait plaider que le pacte avait été violé et que, partant, la décision de l’assemblée devait être annulée.

Le tribunal a décidé qu’il n’y avait pas lieu d’annuler la résolution au motif qu’elle aurait été votée en violation de la convention d’actionnaires. Le tribunal motive sa décision en ces termes: «Il est en effet admis, en application du droit commun des obligations et spécialement de l’article 1142 du Code civil, que l’inexécution des pactes extrastatutaires se résout en dommages et intérêts. Il en suit qu’à supposer pour les besoins de la cause que la délibération de l’assemblée générale ait été prise en violation du pacte d’actionnaires (ce qui reste à être établi), elle ne pourrait être annulée et ne donnerait droit qu’à des dommages et intérêts.»

Les termes du jugement ne le disent pas, mais ils sous-entendent que cette règle de majorité n’était pas reproduite dans les statuts. Si elle l’avait été, et sous réserve de sa validité (cf. ci-après), les demandeurs auraient disposé d’une base beaucoup plus efficace pour demander l’annulation de la décision de l’assemblée générale.

Il est cependant à noter que le tribunal aurait de toute façon pu motiver sa décision de débouter les demandeurs par la contrariété du pacte d’actionnaires au caractère d’ordre public du principe de révocabilité ad nutum des administrateurs d’une société anonyme. En effet, la loi sur les sociétés prévoyant que ceux-ci sont révocables à la majorité simple, la clause exigeant une majorité de 90% pour la révocation d’un administrateur est contraire à l’ordre public.

D’une manière générale, l’inobservation par une partie de ses obligations découlant d’un pacte d’actionnaires ne permet pas de demander une exécution en nature et se limite à une résolution en dommages et intérêts. À cet égard, les parties à un pacte d’actionnaires feront donc bien, avant la signature, de se poser la question de savoir si une compensation financière est de nature à les satisfaire en cas d’inexécution, tout en tenant compte des délais de procédure et des aléas liés à l’obtention de ce type de dédommagement.

En cas de réponse négative à cette question, la partie concernée se fera donc conseiller sur le mode de structuration de son investissement de manière à garder le contrôle sur le respect de ses obligations, c’est-à-dire de façon à ne pas être dans la position de celui qui doit obtenir l’exécution de ses droits.

En bref

10 points à retenir

  1. Il s’agit d’une convention privée.
  2. Il garantit une clause de confidentialité.
  3. L’objet du pacte doit être mentionné.
  4. Il s’inspire du droit anglo-saxon.
  5. Les provisions contenues dans un pacte ne sont pas opposables aux tiers.
  6. Il ne dispense pas de respecter les règles d’ordre public.
  7. Il peut être constitutif, pour les sociétés cotées, d’une action de concert.
  8. Le droit civil est essentiel
  9. Le principe de la lex societatis s’applique en cas de soumission à un droit étranger.
  10. Le nouveau régime luxembourgeois de partnership peut apporter une alternative en la matière.