Damien Petit (Photo: Banque Degroof)

Damien Petit (Photo: Banque Degroof)

La détermination du profil de risque de l’investisseur constitue le préalable incontournable à tout acte d’investissement. L’analyse de la situation financière de l’investisseur, sa tolérance au risque, ses objectifs de rendement, ses contraintes (liquidité et fiscalité notamment) et son horizon de placement doivent en effet être appréhendés avec le plus grand soin avant d’optimiser la répartition des avoirs.

L’investisseur souhaitant améliorer la rentabilité de son portefeuille – capter la prime de risque des marchés actions – doit pouvoir supporter une volatilité plus élevée et dès lors disposer d’un horizon de temps suffisamment long.

L’allocation stratégique d’actifs

L’objectif de l’allocation stratégique d’actifs consiste à construire le portefeuille diversifié offrant le meilleur couple rendement/risque en fonction du profil d’investisseur du client. Le caractère stratégique de l’allocation provient de l’horizon temporel de long terme auquel s’applique cette allocation et du nombre limité de classes d’actifs considéré.

Le gestionnaire se cantonnera généralement aux actifs purs: les actions, obligations et la liquidité. Les différentes recherches de Brinson etal. (Gary P.Brinson, Brian D.Singer, and Gilbert L.Beebower, 1991. Determinants of Portfolio – Performance II: An Update. Financial Analysts Journal 47 (3): 40-8) ont démontré l’importance de cette allocation stratégique pour l’investisseur à long terme, celle-ci contribuant pour environ 90% à la variation de la performance d’un portefeuille.

L’allocation tactique, qui se concentre sur un horizon de temps plus limité en tentant de profiter d’inefficiences ponctuelles des marchés par l’entremise de la sélection de titres individuels (stock picking) ou d’un choix de dates d’achat et de vente de titres (market timing), n’explique par contre qu’une portion très congrue de la performance globale du portefeuille.

La gestion du risque

L’allocation stratégique d’actifs mise en œuvre, le risque du portefeuille doit alors être étroitement géré. Une méthodologie simple et efficace consiste à effectuer un rebalancement du portefeuille afin d’éviter une dérive trop importante de l’allocation par rapport à la stratégie définie initialement. On distingue deux méthodologies de rebalancement différentes.

D’une part, le re­ba­lance­ment calendaire. Celui-ci s’opère à intervalles réguliers (par exemple sur une base trimestrielle, semestrielle ou annuelle). D’autre part, le rebalancement conditionnel, activé lorsque les pondérations s’écartent d’un certain pourcentage par rapport à l’allocation de départ.

Ainsi, avec un seuil d’intervention fixé à 5%, un portefeuille composé à l’origine de 50% d’actions, 40% d’obligations et 10% de liquidité sera automatiquement rebalancé si le poids des actions dépasse 55% ou passe en dessous de 45%.

Peu onéreux pour le client, cet exercice de rebalancement impose au gestionnaire un systématisme qui le contraint à réduire son exposition aux actifs affichant une surperformance au profit des actifs enregistrant des performances relatives plus limitées. Le rebalancement ne laisse ainsi pas de place aux émotions (euphorie, peurs extrêmes).

Les études basées sur les performances historiques montrent que ces deux approches de rebalancement ont permis de réduire la volatilité d’un portefeuille équilibré et la perte maximale annuelle, tout en améliorant la performance.

Une approche systématique et contrariante peut également être mise en œuvre par l’entremise d’une grille de lecture de l’environnement macrofinancier reposant sur quatre piliers: les perspectives économiques, les niveaux de valorisation, le sentiment des investisseurs et la liquidité.

La combinaison optimale pour les marchés actions cumulerait un faible niveau de valorisation, une accélération de la croissance économique, des liquidités abondantes (politiques monétaires expansionnistes) et un sentiment déprimé des investisseurs. On observe en effet que les investisseurs peuvent être fortement influencés par les rendements du marché, augmentant la pondération des actions lorsqu’elles enregistrent de fortes progressions, mais omettant d’accroître leur exposition après des corrections majeures.

Les conclusions de l’analyse des quatre piliers, menée fin 2012, plaidaient indiscutablement pour une surpondération des marchés actions au sein du portefeuille équilibré. Les niveaux de valorisation paraissaient à l’époque toujours attractifs avec des estimations de rendements attendus à 10 ans avoisinant 7% au niveau mondial sur base d’hypothèses conservatrices au niveau de la progression attendue à long terme des bénéfices.

Le sentiment des investisseurs restait par ailleurs déprimé et la liquidité abondante au vu notamment de l’assouplissement quantitatif mené aux États-Unis. Le redressement des indicateurs précurseurs en cours d’année au sein des pays développés est également venu confirmer l’amélioration graduelle de la conjoncture mondiale.

L’analyse des quatre piliers invite à réduire le risque en ce début d’année

L’analyse actuelle des quatre piliers invite les investisseurs à plus de prudence, d’autant que le poids des actions a fortement progressé au sein d’un portefeuille diversifié compte tenu des performances relatives de 2013.

Certes, les perspectives macroéconomiques pour 2014 paraissent plus enthousiasmantes, l’économie mondiale bénéficiant principalement d’un moindre resserrement de la politique budgétaire aux États-Unis et en zone euro. L’orientation des trois autres piliers est par contre moins encourageante. D’une part, à l’exception des marchés émergents, les valorisations se sont très nettement tendues ces derniers trimestres. Les espérances de rendements au sein des marchés développés avoisinent dorénavant seulement 5%.

D’autre part, le sentiment des investisseurs, très optimiste, incite également à réduire le risque du portefeuille. Enfin, les conditions de liquidité sont également moins favorables avec la normalisation progressive de la politique monétaire outre-Atlantique. Une réduction de la pondération des actions au niveau du benchmark semble dès lors tout à fait appropriée en ce début d’année.

Perspectives

La prévision, un art difficile

Comme le disait l’humoriste français Pierre Dac, «la prévision est un art difficile, surtout lorsqu’elle concerne le futur». De manière générale, la grande majorité des stratégistes, et c’est un comportement humain classique, projettent les tendances de l’année précédente, mais en plus modérées; cela nous donne un consensus pour les marchés d’actions d’une progression de l’ordre de 10% en 2014 venant après un cru 2013 exceptionnel, certains préférant les actions américaines, d’autres les européennes.

Les États-Unis restent une destination privilégiée. La croissance retrouve un rythme de croisière de l’ordre de 3%, le marché de l’emploi reste bien orienté tout comme le marché immobilier. Effets de richesse obligent, le consommateur américain retrouve quelques couleurs. Si l’on ajoute des thèmes comme la réindustrialisation du pays et à terme l’indépendance énergétique, le pays reste un endroit incontournable pour les investisseurs.

La zone euro présente une situation plus mitigée. Si l’année 2013 a vu la zone sortir de la récession, et si la situation des pays périphériques a favorablement évolué, la croissance globale reste très atone et les craintes de déflation sont réelles. Dans ce contexte, il est difficile de diminuer les poids des dettes. La France, dont les indices PMI sont décevants, pourrait être le nouveau maillon faible, surtout si l’écart de taux entre la France et l’Allemagne continuait de s’orienter à la hausse.

Les marchés émergents nous paraissent une destination intéressante: surtout ceux comme le Brésil, l’Indonésie, l’Inde ou la Turquie dont les monnaies et marchés ont été très vulnérables, en raison de leurs balances courantes déficitaires. Celles-ci sont en voie d’amélioration et ces pays pourraient être une bonne surprise en 2014.

Quant à la Chine, sa situation paraît plus complexe avec une croissance qui est dans une tendance baissière, cela étant inéluctable en raison de la taille atteinte par ce pays. Difficile également de connaître le poids exact de l’endettement, issu du «shadow banking», des acteurs économiques aussi bien privés que publics.

Les marchés obligataires aussi bien gouvernementaux que d’entreprises devront aussi être travaillés sélectivement, les politiques de taux zéro ayant probablement gonflé artificiellement les prix de nombreux produits. Les investisseurs à la recherche de rendement «à tout prix» ont parfois perdu leur capacité de discernement.

Extrait de la chronique financière d’Hervé Burger (stratégiste chez Fuchs & Associés), publiée sur paperJam.lu le 16/01/2014.

Lexique

Chaque mois, propose des définitions de termes économiques et financiers. Des mots, des expressions que l’on entend souvent et dont on croit connaître le sens… Mais pas toujours.

Fonds propres

C’est la valeur comptable nette du patrimoine de l’entreprise, qui peut être augmentée via une opération d’augmentation de capital social. Ils représentent l’argent apporté par les actionnaires à la constitution de la société ou ultérieurement, ou bien sont laissés à la disposition de la société en tant que bénéfices non distribués sous forme de dividendes. Ces fonds propres permettent de financer une partie de l’investissement de la société, mais aussi de servir de garantie aux créanciers de l’entreprise qui financent l’autre partie de l’investissement.

Tier 1

C’est la principale catégorie de fonds propres des institutions financières. Elle rassemble essentiellement le capital social, les résultats mis en réserve et les intérêts minoritaires dans les filiales consolidées, moins les actions détenues en propre et le goodwill. Le ratio Tier 1/total des actifs ajustés du risque est un indicateur mesurant le degré de capitalisation des institutions financières. Le minimum réglementaire requis est de 4%.

Tier 2

Catégorie de fonds propres qui vient en complément du Tier 1. Elle regroupe entre autres les réserves de réévaluation des actifs, les provisions générales pour les créances douteuses, ainsi que les instruments hybrides de dette et de capital. On y distingue les Upper Tier 2 (titres subordonnés à durée indéterminée) et les Lower Tier 2 (titres qui sont toujours subordonnés, mais qui ont une date d’échéance supérieure à cinq ans et sont assortis d’un coupon obligatoire).

Le secteur du mois

Utilities: un secteur chahuté…

Majoritairement représenté par les producteurs et distributeurs d’électricité, le secteur a connu de nombreux bouleversements, reflétés dans l’évolution des prix de l’électricité à la production. Ainsi, le développement des énergies renouvelables a fortement pesé sur les prix en «peakload» (pic de consommation) en réduisant drastiquement le recours aux types de génération plus coûteux (gaz notamment).

D’autre part, les prix en «baseload» (flux continu), souvent déterminés par les centrales au charbon, ont souffert de la chute de la matière première (effet collatéral du gaz américain bon marché) et de la chute des prix des certificats CO2 (très largement excédentaires). À cela sont également venus s’ajouter l’impact récessif de la crise financière sur la demande, des problèmes d’endettement nécessitant des ventes d’actifs et un interventionnisme politique croissant.

Mais les performances boursières sont à la hauteur des perspectives. La sous-performance est près de 80% depuis 2009. Récemment, le secteur a montré quelques signes de vigueur, surperformant même quelque peu le marché, mais sans réelle amélioration fondamentale.

La sous-performance relative et la reprise économique sont souvent avancées pour justifier l’attrait du secteur. Néanmoins, l’effet rattrapage est rendu difficile par le caractère assez structurel (et non conjoncturel) des facteurs mentionnés. Quant à l’argument de reprise, le lien n’est pas aussi direct, comme l’illustre le cas de l’Allemagne avec une demande estimée en recul de 1,1% en 2013 (efficience énergétique et croissance des unités de génération décentralisées, c’est-à-dire renouvelables). Enfin, les politiques de couverture, judicieusement mises en place, n’ont pour effet que de décaler le problème.

Pour 2014, une sous-pondération apparaît donc justifiée. Au vu de la faible décote du secteur (5-6% en P/E par rapport au marché) et des perspectives assez moroses, nous ne privilégions pas des noms tels qu’E.On, RWE ou encore Enel au sein d’un portefeuille de valeurs individuelles.