Nicolas Schmit, ministre du Travail et de l'Emploi (Photo: Julien Becker)

Nicolas Schmit, ministre du Travail et de l'Emploi (Photo: Julien Becker)

Monsieur le Ministre, dans quel état se trouve, selon vous, le marché de l’emploi au Luxembourg?

«Je dirais qu’il est convalescent. Oui, le taux de chômage reste élevé, mais avec une légère tendance à la diminution des demandeurs d’emploi (cette interview a été réalisée avant la publication des chiffres pour le mois de mai, qui mentionnent un taux de chômage en hausse à 7,3%, ndlr). Dans le même temps, il y a une hausse en termes de création d’emploi, que l’on retrouve dans les offres disponibles auprès de l’Adem. Très timidement, donc, la conjoncture qui est en train de s’améliorer semble avoir quand même un certain impact, même encore très modeste, sur le marché du travail au Luxembourg. Je reste modérément optimiste dans le fait que, dans les mois à venir, nous observerons un certain reflux après une sorte de stagnation.

Il n’en reste pas moins vrai que la situation des jeunes et des séniors, en particulier, reste préoccupante...

«Tout jeune au chômage est évidemment un chômeur de trop. Mais il faut relativiser. Si on considère le nombre de jeunes qui n’ont pas d’emploi et qui en cherchent un, par rapport à tous les jeunes, y compris ceux qui sont encore à l’école et ceux qui ont déjà un emploi, nous n’avons alors plus qu’à peu près un jeune sur 20 qui n’est pas en situation emploi. Le taux élevé du chômage de 18% chez les jeunes s’explique aussi par cette particularité statistique.

Nous avons mis en œuvre la ‘Garantie pour la jeunesse’, qui a pour but de guider les jeunes de moins de 25 ans en leur proposant plusieurs options de parcours: soit via le système scolaire, soit dans le milieu professionnel avec un accès au premier marché du travail, soit encore par le biais d’actions ponctuelles, comme un service volontaire. L’idée du dispositif est de proposer à un jeune de moins de 25 ans une offre d’emploi, un complément de formation, un apprentissage ou un stage dans les quatre mois qui suivent la perte d’un emploi ou sa sortie de l’école.

Quand espérez-vous en voir les premiers effets?

«J’ai déjà annoncé que nous ferons un premier bilan dans un an. Il faut évidemment impliquer un certain nombre de partenaires: l’école, mais aussi les entreprises qui donnent une chance aux jeunes.

J’entends surtout mettre l’accent sur l’apprentissage. L’artisanat fait déjà beaucoup d’efforts en la matière. Il est aujourd’hui indispensable de reconquérir l’industrie, de plus en plus consciente du manque de personnels qualifiés et qui n’arrive pas à les attirer. Le meilleur moyen pour le faire reste d’organiser son propre apprentissage. Nous travaillons d’ailleurs avec une firme industrielle-phare pour mettre en place de tels schémas d’apprentissage. Je compte bien prendre contact avec les principales entreprises industrielles pour voir comment y organiser cet apprentissage.

Il faut assouplir la relation entre l’école et l’entreprise et voir comment mieux organiser la présence des jeunes à la fois en école et en entreprise. Claude Meisch (le ministre de l’Éducation nationale, ndlr) est en train d’étudier des formules flexibles. J’ai confiance que nous y arriverons et que nous relancerons l’apprentissage professionnel et la formation duale dans les entreprises.

Quid des séniors?

«Je suis davantage préoccupé par leur situation. Il est vrai que leur nombre augmente, en particulier pour les chômeurs de longue durée. Cela s’explique notamment par les mesures de reclassement qui amplifient un peu la situation. Mais perdre son emploi quand on a 45, voire 50 ans, devient plus problématique. C’est pourquoi nous sommes sur le point de lancer une initiative sur cette catégorie de personnes: un ‘Pacte de l’âge’. Nous avons choisi une grande entreprise avec laquelle nous allons travailler pour donner un signal envers les séniors. Nous allons présenter très prochainement cette initiative et nous espérons bien que d’autres vont rejoindre ce pacte.

Dans ce contexte, la réforme de l’Adem qui est engagée depuis deux ans, suite au départ de Mariette Scholtus, tombe-t-elle on ne peut mieux?

«Je suis satisfait de ce qui a été réalisé jusqu’à présent, mais nous n’en sommes pas encore au bout. Il y a encore beaucoup de chantiers à réaliser à l’Adem, ce qui montre aussi à quel point son état était désastreux. Nous sommes par exemple en train de travailler sur une informatisation beaucoup plus poussée: je souhaite que nous arrivions à une sorte de e-Adem, où le ‘matching’ puisse se faire en ligne entre les demandeurs d’emploi et inscrits à l’Adem d’une part, et les entreprises d’autre part. Il y a vraiment un grand chantier de modernisation de l’informatique à mener. J’y tiens beaucoup aussi parce que l’Adem doit s’adapter à ses concurrents privés.

On note en effet une multiplication des plateformes de recrutement ou d’aide à la recherche d’emploi en ligne…

«Les intermédiaires du privé existent en effet et je ne peux que m’en féliciter. Ce qui compte, c’est que les jeunes retrouvent un emploi, peu importe le moyen. Mais si on parle d’un bon service de la part de l’Adem, il faut qu’elle soit à la hauteur de ce qui se fait en matière d’intermédiation. C’est un des grands chantiers qui a été négligé ces dernières années. Il y a un rattrapage terrible à faire. Les premiers résultats seront très tangibles fin d’année, début d’année prochaine.

Partagez-vous la vision du président du syndicat OGBL et président de la Chambre des salariés, Jean-Claude Reding, qui appelle à des réformes, avec un ‘s’, du monde du travail, compte tenu des évolutions sociologiques et sociétales?

«Oui, et j’y adhère même à plusieurs niveaux. Nous allons prochainement reprendre les travaux du projet de loi sur la réforme du dialogue social en entreprise (le texte, initialement espéré d’être voté au cours de la précédente législature, avait été remis partiellement en cause par le Conseil d’État et la procédure législative finalement interrompue par la tenue des élections anticipées, ndlr).

Je sais que les employeurs, pour utiliser un terme diplomate, ne sont pas très favorables à ce texte. Mais si on ajuste un certain nombre de choses sans malgré tout modifier le fond, ce projet devait aller de l’avant et être adopté avant la fin de l’année.

Le renforcement du dialogue social est important en entreprise. Une sorte de démocratisation en entreprise ne va pas à l’encontre de la compétitivité. Cela peut au contraire en être un des éléments: on voit par exemple qu’en Allemagne, un dialogue social fort a permis d’opérer des changements, des ajustements et des innovations qui se sont passés dans de meilleures conditions que là où un tel dialogue n’est pas développé. Je suis pour que nous nous inspirions fortement de ce modèle allemand.

Deuxièmement, il est essentiel d’aborder de façon plus ciblée tout ce qui touche aux conditions de travail. Je pense notamment aux maladies professionnelles touchant au stress ou au burn-out et qui constituent un problème grandissant, mais aussi un coût humain et financier considérable.

Troisièmement, bien sûr, il faut dans l’entreprise une mobilité interne plus forte. C’est-à-dire une bonne formation continue. Les entreprises doivent investir davantage dans leur personnel pour permettre cette mobilité interne. Nous devons regarder de plus près comment il est possible d’améliorer ce volet-là.

On n’a pas le sentiment que l’état d’esprit actuel des syndicats aspire au retour d’un dialogue social serein…

«Même si je ne suis pas le farouche défenseur d’une flexibilité ou d’une flexibilisation du travail, je dis néanmoins qu’il faut aussi regarder là où il y a des situations de blocage et qui ne correspondent plus à la réalité du fonctionnement des entreprises. Il faut bien sûr prendre en compte les intérêts des salariés, mais aussi regarder la situation objective des entreprises. Je compte d’ailleurs reprendre prochainement un dialogue avec les partenaires sociaux sur le temps de travail, l’organisation interne du travail… Il faut l’aborder sans idée préconçue.

Le gouvernement veut être ouvert et regarder là où un peu plus de souplesse serait indiquée. Et quand je dis ‘souplesse’, cela ne va pas nécessairement contre les intérêts des salariés. Nous sommes par exemple aussi en train de discuter de la préparation du projet de loi sur les comptes épargne-temps. J’espère que le projet de loi sera présenté avant la fin de l’année.

En matière de formation, le cadre législatif actuel doit-il être amélioré, ou bien n’est-ce qu’une question de mentalité?

«Les lois sont une chose. Les pratiques en sont une autre. C’est aux entreprises de se prendre en main et de considérer que la formation constitue un investissement. La compétitivité des entreprises se joue sur la productivité, sur l’innovation. Et quand on dit ça, on parle aussi d’investir dans le capital humain, même si l’expression n’est pas belle. Il faut aider les entreprises. Les instruments sont là, il n’y a pas besoin d’en inventer d’autres. L’artisanat l’a bien compris, par exemple.

Récemment, la société américaine Kabam, active dans le gaming, a annoncé qu’elle allait quitter le Luxembourg faute d’avoir pu trouver les ressources humaines dont elle avait besoin. Cela vous inquiète-t-il?

«Cela constitue en tous les cas un vrai appel aux jeunes pour choisir un métier, un apprentissage, et de regarder un peu l’évolution du marché du travail. Je regrette que beaucoup de jeunes choisissent des carrières administratives. Je les encourage à voir s’il n’y a pas davantage de perspectives dans les métiers techniques… C’est la même chose pour ceux qui veulent faire des études: nous avons besoin d’informaticiens! Nous n’en avons pas assez… Il faut ouvrir les jeunes à ces aspects-là, à ces nouveaux métiers, à ces nouveaux secteurs de l’économie luxembourgeoise. Il faut sortir des chemins classiques.»

Frontaliers

Pas une variable d’ajustement

Force vitale de l’économie luxembourgeoise (ils sont près de 163.000, représentant plus de 40% de l’emploi total intérieur), les travailleurs frontaliers sont souvent considérés comme étant le premier fusible à sauter lorsque la situation économique des entreprises les oblige à quelques réajustements de leurs effectifs. Une «légende urbaine» à laquelle Nicolas Schmit n’adhère pas du tout. «On ne peut pas prouver que les travailleurs frontaliers subissent une situation de discrimination. Bien sûr, si le marché du travail tourne un peu moins bien, les frontaliers ont un peu plus de difficulté à trouver un job ici. Et puis cela dépend aussi des secteurs: quand l’industrie va mal, cela touche davantage les frontaliers. Je n’ai, en tous les cas, aucun cas qui m’ait été rapporté, dans la situation de plans sociaux, que des frontaliers aient été licenciés plutôt que des travailleurs nationaux. C’est un mythe.»

La situation est évidemment différente dès que l’on considère le marché intérimaire. «Mais cela est logique quand on sait que plus de 80% des travailleurs inscrits en intérim sont des frontaliers.»

Quant à l’indemnisation des chômeurs frontaliers dans leur pays de résidence, le ministre du Travail et de l’Emploi est contre l’idée d’un changement dans la législation en vigueur. Actuellement, le Luxembourg verse, pendant trois mois, les indemnités de chômage d’un travailleur frontalier qui serait de nouveau inscrit auprès de son administration de l’emploi «locale». «Je sais qu’il y a eu des velléités de la part de la Commission européenne de changer le système, en souhaitant que le pays où a travaillé un frontalier prenne intégralement en charge ses indemnisations de chômage. Je suis absolument contre. Nous ne sommes pas dans un marché de travail unifié. Chaque pays a son agence pour l’emploi et il nous est impossible, par exemple, de contrôler si un chômeur résidant en France ou en Belgique fait bien tous les efforts pour retrouver un emploi. Cela n’empêche évidemment pas de réfléchir à des améliorations là où c’est possible, notamment en matière de formation, d’apprentissage des langues ou encore de projets transfrontaliers.»