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Pour être sûr de ne pas commettre d'erreur stratégique, ni de passer à côté d'un détail important concernant cette machinerie complexe supposée classer Luxembourg dans le "hit" des trois pays les plus sollicités pour l'implantation de ce que sera l'Europe virtuelle, nous les avons rencontré tous les deux séparément. "Les deux", cela veut dire ceux qui sont à la base de tout ce qui est communication, interne comme externe, aux affaires gouvernementales. 

Distribution des rôles

A savoir le Ministre François Biltgen, avec lequel nous avons dialogué dans les bureaux de son autre Ministère, où il porte la casquette de Ministre du Travail. Voir cette charge combinée avec les fonctions de Ministre délégué aux Communications en laissera peut-être certains pantois, mais  à  l'ère où il y a interpénétration de domaines qui, il y a  dix ans, étaient encore à des années lumière les uns des autres, cela ne peut finalement que s'avérer bénéfique. Dans tout ce qui est e-business, nous risquerons p.ex. de devoir importer pas mal de potentiel professionnel étranger. Avoir une même personne aux deux endroits stratégiques à cette démarche (communication et emploi) ne pourra être qu'un avantage, la même étant capable de créer les raccourcis nécessaires aux démarches administratives pouvant être, le cas échéant, plutôt pénibles.

La deuxième personnalité clé dans ce jeu de la coordination nécessitant beaucoup de subtilité est Jean-Paul Zens, installé dans la très belle Maison de Cassal,  rue Large. Réputé depuis des années comme Premier Conseiller de Gouver-nement au Service des Médias et des Communications, sa multi-fonctionnalité en a fait un des personnages les plus prisés dans le jeu gouvernemental. Tout ce qui implique modernisme et évolution vers de nouvelles technologies de communication est de son domaine. En tant que Commis-saire près de la SES aussi bien que de la CLT-UFA, ou comme Président du Fonds National à la Production Audiovisuelle, Zens est de toutes les réunions portant un réel regard sur l'avenir numérique du pays. D'autant plus que même le fameux ILT (Institut Luxembourgeois des Télécom-munications), rebaptisé ré-cemment ILR (Institut Luxembourgeois de Régula-tion) tombe lui aussi sous sa tutelle. Mais en ce qui concerne celui-ci, vu son ouverture récente à l'énergie, à la poste et au gaz, il nécessitera le traitement d'un dossier séparé d'ici peu.

 e-Luxembourg: start-up

Nos deux invités ont l'un comme l'autre insisté sur un fait dès l'entrée en matière. Ce ne sont pas eux qui vont être les pions ou les gages grand-ducaux dans  le Monopoly européen du e-business. Leur rôle se limitant à être au centre des négociations nationales, à collecter les données et à faire ce qui est leur travail dans tous les domaines concernés, c'est à dire: coordonner. Pour le reste, il s'agit de réunir autour d'une table tous ceux qui sont liés à un secteur concerné de près ou de loin par l'évolution réclamée par l'Europe Unie, qui s'est fixée comme but absolu de devenir le continent le plus dynamique et le plus compétitif du marché mondial. Un défi pas trop facile à réaliser, quand on pense qu'une partie des objectifs devra être atteinte à la fin de cette année, les deux autres ayant une, respectivement deux années de plus à leur crédit.

La toile d'araignée

Il s'agit de ne plus perdre une seule minute dans cette bataille pour la prospérité nationale du nouveau millénaire. Voilà pourquoi ont été réunis dans une Commission Nationale toutes les Institutions concernées, à savoir l'Economie, l'Education Nationale et la Recherche, les Finances, la Fonction Publique, le Travail, et bien sûr le Ministère de l'Etat par le biais du Service Médias et Communication. Sous toutes ces autorités ont été formés des groupes de travail individuels, lesquels seront reliés par un seul secrétariat de coordination.

En coulisses

Comme dans tous les grands spectacles, c'est le "back stage" qui assure le vrai fonctionnement sur scène. Ici, pour réunir tous les fils, une seule personne a donc été déléguée à cette fonction, laquelle redistribue l'information. Isabelle Marinov, juriste de formation, devrait être celle dont le numéro de téléphone et l'adresse e-mail seront conservés aussi précieusement qu'un code secret bancaire, puisque c'est elle qui servira de "secrétaire de direction' à tout ce beau monde. Quant à François Schaack du Ministère de la Fonction Publique, il sera certainement autant sollicité, car son rôle de Secrétaire d'Etat à la Reforme réclame de lui d'être le maître "e-contrôle" en matière de téléprocédures, publications de réglementation dans les domaines  du BtoB, BtoC, et autres. C'est chez lui que les textes de loi seront comparés, et éventuellement réajustés avant leur acheminement dans les bureaux de la rue Large.

Voilà pour l'organisation du chantier, qui peut ressembler vers l'extérieur à un capharnaüm, mais n'est en fait que le contraire. Car cette machinerie, dont les rouages semblent compliqués à déceler pour le laïque, a été mise en route justement  pour éviter la lourdeur administrative habituelle. Grâce une toile bien tissée, les bases à créer connaîtront les avantages de l'interpénétration ministérielle, ce qui facilitera beaucoup p.ex. les démarches de toute personne ou société nécessitant  l'obtention d'autorisations, certificats ou autres. Là, où plusieurs démarches étaient nécessaires au préalable, il sera ainsi possible de faire ses demandes à une seule adresse stratégique. Qui sera, elle aussi, virtuelle. Ce qui évitera même le déplacement.

Grâce à ce système, il ne sera donc plus nécessaire d'aller déposer sa demande dans un endroit, de payer son timbre dans le second et de réceptionner dans le troisième. E-Europe veut après tout aussi dire "économie de temps". Car c'est la vitesse qui décidera de plus en plus de la prospérité du pays entier, règle d'or du e-business oblige.

Programme d'action

Tout le monde l'attend avec impatience. Le plan d'action définissant la vraie stratégie à suivre, bref, la colonne vertébrale du e-Luxembourg. Pour cela il faudra encore attendre deux bons mois. Nos deux interlocuteurs sont restés  optimistes à ce sujet. Et plus encore. Car il ne s'agira pas seulement d'inclure dans le plan d'action tous les points que l'Europe Unie réclame, mais de créer une dynamique prête à porter Luxembourg vers d'autres cieux que le paradis financier qui lui sert déjà de cocon douillet. En attendant ce plan définitif, nous avons essayé de percer le voile sur quelques questions que tout le monde se pose dès maintenant quant à cette révolution économique européenne.

Le secteur privé

L'implication du secteur privé semble évidente dans une prise de décisions qui le concerne de près. A notre question,  de quelle manière les sociétés constituant le privé pourront faire partie du partenariat, la réponse semblait claire: le privé ne peut pas, mais doit absolument être impliqué. Cela a d'ailleurs déjà été fait lors de la Journée de câblo-distribution, qui a démontré que les grands acteurs de ce secteur étaient bien informés puisque confrontés à des défis de développement provoqués par eux-mêmes. Alors qu'il s'agissait aussi de rassurer tous les petits câblo-opérateurs communaux en les motivant à aller de l'avant, leur participation évolutive étant tout aussi importante pour une répartition homogène des réseaux. Dans d'autres domaines, des groupes de travail seront certainement organisés par thèmes, afin d'impliquer au maximum tous les concernés.

Les aides gouvernementales

Il ne faudra pas s'attendre dans un premier temps à revoir surgir une sorte de "tax-shelter" adapté au secteur IT. C'est plus dans l'encadrement professionnel que le gouvernement voit son rôle que dans l'allègement financier. L'état ne se voit pas en Business Angel distribuant des chéques, mais plutôt en bon conseiller secondant les assujettis au développement. Dynamiser l'esprit d'entreprise semble plus approprié que de soutenir la prise de risque sur le dos de l'imposable. Par contre, l'Etat veut se compromettre à motiver les banques de la place à une prise de risques un peu plus importante dans le domaine du "venture capital'. A part de devenir une plaque tournante en matière de télécommunication, il serait tout aussi judicieux de faire de Luxembourg une vraie plateforme du e-banking, l'infrastructure étant déjà plus ou moins implantée. Des débuts assez prometteurs étant faits dans ce domaine, il s'agit juste de persévérer.

Silicon Valley à Contern'

Les rumeurs n'étant plus à freiner, nous avons voulu en avoir le c'ur net sur des spéculations nous prédisant l'implantation de grandes firmes telles que Yahoo Europe, Amazon.com ou même MCI à Contern' Sourire de la part de nos interlocuteurs. Les noms des firmes ne jouent à leurs yeux pas vraiment un rôle fondamental. Le fait est qu'il y a négociations en cours à plus d'un égard avec des sociétés parmi les plus prestigieuses au niveau mondial. Mais il ne s'agit pas pour autant de se perdre dans des présomptions utopiques. Il est bien entendu de première importance de faire passer les autoroutes de la communication par notre pays, et surtout celles qui n'ont plus recours au câble.

Mais d'un autre côté, il faut aussi prendre note de ses propres limites, tout en essayant plutôt d'exploiter au maximum nos avantages. Ainsi, les deux responsables sont persuadés que nous n'aurons jamais une Silicon Valley, ni une Sophia-Antipolis à Luxembourg. Le charme méditerranéen de Nice a des atouts que nous ne pourrons égaler, tout comme nous n'avons pas  p.ex. les avantages de Dublin qui a une plateforme informatique très importante et un potentiel de main d'oeuvre à disposition dont nous ne pouvons que rêver. Par contre, réceptionner les informations mondiales à Luxembourg, et les ficeler suivant les besoins nationaux pour les distribuer en "packages" individualisés, pour cela nous avons tout ce qu'il faut sur place. Il suffira juste d'affiner et de bien coordonner une fois de plus.

L'offre d'emploi

Allons-nous finir par procéder comme l'Allemagne p.ex., en important des centaines ou même des milliers de petits génies informatiques de pays lointains? Y aura-t-il des green cards et autres autorisations spéciales pour pallier au manque de ressources humaines au niveau de l'informatique? Le Ministre du Travail reste assez discret à ce sujet, mais promet que nous ne manquerons jamais de potentiel là où il y aura de réelles nécessités. Il est à supposer qu'il y aura certainement un traitement au cas par cas, et que les demandes de sociétés seront analysées individuellement, le problème résidant dans les différences de degrés de formation. Ce qui, en période de chômage accru, pourrait devenir un problème non négligeable. Prudence donc à ce sujet du côté des autorités. La brume ne pourra être dissipée que lorsque nous serons devant des faits accomplis.

Formation et éducation

Certains membres du gouvernement, réticents jusqu'à présent à l'implantation d'universités sur le sol national, semblent réviser leur conviction. Si rien de décisif n'a encore été entrepris à ce sujet, une chose est claire. Il s'agit de développer le potentiel sur place. C'est- à-dire d'offrir des formations continues aux universitaires ayant déjà fait leur entrée sur le marché de l'emploi. Même le management se verra p.ex. ainsi offrir la possibilité de prendre des congés prolongés pour retourner en fac. Voilà pour le côté pragmatique permettant une replanification des carrières.  Il s'agira bien entendu aussi d'attirer les nouveaux talents étrangers par une communication promotionnelle bien ciblée, cela étant avant tout le rôle du Service des Médias ou celui du Service Information Presse.

Quant aux équipements techniques dans le secteur primaire et secondaire, c'est bien entendu au Ministère approprié de développer le programme adéquat, mais il semble aussi que les moyens seront mis à disposition pour précipiter l'évolution. Enfin, dans les administrations l'évolution se fera par étapes et secteurs. Sans vouloir brusquer ses fonctionnaires, le gouvernement tend plutôt vers une politique de la séduction. Installer d'abord de nouveaux systèmes dans les secteurs qui s'y intéressent de plus près, pour persuader les autres par la suite du bien fondé et de la rentabilité de cette action. Voilà une décision qu'on pourrait considérer de maligne, surtout dans un secteur dont les droits des acteurs sont pratiquement inviolables.

Les dead lines

Elles semblent être plutôt à court terme, les échéances que l'Europe nous impose. Néanmoins, nos deux interviewés sont confiants dans ce point. Et pensent que même si nous n'y arriverons pas tout à fait pour l'un ou l'autre point, nous devrions tellement être à l'heure en ce qui concerne tous les autres, que l'Europe devrait être prête à nous pardonner quelques petits dépassements. Surtout si cela n'est prévisible que dans des points de moindre importance. Les-quels? Pour les déterminer il faudra sans doute attendre ces deux mois au bout desquels nous devrions au moins apercevoir si la colonne vertébrale du programme sera assez forte pour que nous puissions une fois de plus traverser cette ère de restructuration internationale la tête haute.